À quelques jours de la sortie de ses EP Broken Bodies (21 juin) et Petit Matin Grand Jour (1er juillet) – dont elle révèle ici le clip en exclusivité -, on a rencontré La Fraicheur, Dj française installée à Berlin. Elle nous dévoile un autre versant de la scène électro berlinoise avec son énergie nourrie par les BPM, son esthétique queer-BDSM et sa liberté sexuelle.
La Fraicheur, figure montante de la scène électro arpente les scènes les plus pointues du moment, entre les Etats-Unis, l’Europe et la Birmanie. La sortie de ses deux EP est l’occasion pour elle de nous raconter la capitale allemande, sa scène queer-underground et les nuits de cette ville aux deux visages qui ont profondément influencé sa musique. Rencontre avec une artiste à suivre de très près.
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https://vimeo.com/169963412
Tu vis à Berlin depuis maintenant 4 ans, qu’est ce que cette ville a changé dans ta carrière ?
La Fraicheur – Je suis venue vivre à Berlin un peu par hasard, par un concours de circonstances, et finalement ça a été la grande surprise de ma vie. C’est ici que j’ai véritablement ressenti l’envie de faire de la musique, notamment parce qu’il y a une énergie dingue qui vient des clubs. Par exemple à Paris, mis à part quand je mixais, je n’allais pas en club, ça m’ennuyait. Je ne comprenais pas l’intérêt d’être dans un cube noir où tu payes une fortune pour entrer, pour avoir une bière, où les gens ne sont même pas agréables et où à 4h il ne se passe déjà plus rien.
Tu parles de « cubes noirs » à Paris, en quoi l’architecture des clubs berlinois est différente ?
À Berlin c’est tout l’inverse de Paris : les clubs sont atypiques, tu as des anciennes piscines, des usines, des bibliothèques avec des chill out, des open airs, différents dancefloors… En terme d’architecture tu entres dans un vrai univers. Tu peux passer une heure à déambuler sans avoir la pression de danser à tout prix, tu sais que la soirée a commencé avant toi et qu’elle va se terminer après toi. Et puis l’air de rien, il arrive un moment où t’es prêt à danser. C’est même plus une question de savoir si tu en as envie ou pas, ton corps a juste eu toutes les basses et toutes les fréquences et il est prêt. C’est ici que je me suis mise à danser en club, ce qui ne m’étais jamais arrivé avant.
En quoi cela a changé ton travail d’artiste justement ?
Me mettre à danser a complètement changé la perception de mon travail, je ne comprends même pas comment j’ai pu être Dj avant. Maintenant quand je mixe, je me sens en charge d’une responsabilité, celle de créer un moment où les gens vont pouvoir exulter. Ça peut sembler complètement ésotérique mais pour moi aujourd’hui, la musique ça sauve la vie. Si tu vas mal pour des questions de boulot, de famille, d’amour, la danse permet de gérer ces sentiments.
Est-ce qu’actuellement, Paris a aussi cette énergie là ?
En ce moment, il se passe un truc à Paris qui me plait, il y a une énergie et un vrai enthousiasme. Les Parisiens ont enfin compris qu’il fallait sortir du periph’, ils ont commencé à investir des warehouses, des usines, il y a des soirées en one shot… Clairement si la vie de la nuit à Paris était si étouffée et étouffante c’est parce qu’elle était liée à l’immobilier, alors qu’à Berlin, le terrain de jeu immobilier est beaucoup plus tranquille. Le seul souci reste la législation française qui considère qu’un club ferme à 6-7h.
Finalement quand on parle des soirées à Berlin il y a une sorte de mythe, mais très peu de photos ou d’archives vidéo, pourquoi ?
Dans pas mal de clubs ici, tu n’as pas le droit de prendre des photos. Ne pas faire de photo ça veut dire être dans l’immersion et c’est aussi un respect pour la liberté des gens, si t’as l’air complètement défoncé avec des cernes de zombie personne ne pourra te juger. Quand je vais danser, je suis à moitié à poil, si je savais que des gens prenaient des photos, je ne le ferais pas. Il n’y a pas de miroirs non plus dans les clubs pour éviter que les gens soient dans la représentation et qu’ils réalisent à quel point ils sont complètement perchés. Mais c’est pas évident d’en parler, j’ai pas envie de raconter ça en mode « zoo ».
Pour les gens qui ne sont jamais allés au Berghain, il y a ce mythe qui tient presque de la légende urbaine classée X, comment tu le raconterais ?
Il ne faut pas oublier que le Berghain, en dehors d’être un des meilleur club techno et house de la planète, c’est un sex-club gay à la base. Là-bas les gens sont à poil, en slip ou avec des harnais. On passe son temps à complexer sur son corps mais au Berghain on s’en fout car il n’y a pas de jugement. Je ne dis pas que les gens ne s’observent pas : le Berghain c’est un des endroits les plus agréable pour faire du people watching. Tout le monde est sur sappé, même à poil il y a du sur-sappage. Il y a vraiment une stylistique, une esthétique.
Et c’est quoi l’esthétique vestimentaire justement ?
Il y a une famille de mode au Berghain, tu le sens tout de suite et il y a plein de choses qui se mélangent. Tu vas avoir du fétiche, du sporty, du mesh (le tee-shirt effet filet de pêche, ndlr), des chaussettes de foot montées jusqu’au genoux, des lignes très minimales et fluides avec des silhouettes allongées et oversized. Et évidemment, c’est beaucoup, beaucoup de noir dans les fringues. À la Gegen (soirée queer fétiche, ndlr) par exemple, les vestiaires sont gratuits car ils veulent que les gens se mettent à poil.
Est ce que sexuellement, cette ville est plus libre et épanouie qu’ailleurs ?
En France, si tu dis « BDSM » [bondage-SM, ndlr] on va considérer que ce sont des pratiques différentes de la majorité, ça va être le truc caché qu’on fait sans en parler. À Berlin les gens se montrent dans la nuit, dans le sens où ils se révèlent. C’est clairement une ville plus décomplexée. Mais plus épanouie ? Je n’en suis pas sure. Il est difficile d’y avoir une relation amoureuse et amicale stable, beaucoup de gens en témoignent.
D’où vient ce rapport au corps si libéré en Allemagne ?
Il ne faut pas oublier d’inclure cette manière de vivre la nuit, la danse et la fête dans la continuité de ce qu’on appelle ici la FKK (« Freikörperkultur », la « culture du corps libre ») et qui est issue du communisme. Sous ce régime communiste on était tous égaux, tous foutus pareil. Il y avait cette absence de « honte » du corps nu (propre à la religion) car le communisme était antireligieux. Donc cela veut dire : tout le monde est a poil l’été aux lacs et dans les parcs. Tu trouveras sans problème des photos à poil d’Angela Merkel dans sa jeunesse, et c’est complètement normal.
Est ce que ça a été dur de se faire un nom en Allemagne en tant que DJ ?
Quand tu arrives ici tu peux remballer ta prétention et ton expérience, tu dois tout recommencer à 0. Ça te pousse à te surpasser. Il faut vraiment participer à la construction de la scène culturelle. Je ne voudrais pas dépeindre Berlin comme « un endroit mythique et une bulle de paradis » parce que c’est très dur de faire sa vie ici, les Allemands n’ont pas besoin de toi donc si tu ne fais pas l’effort de t’intégrer. Personne ne va te faire de cadeaux.
En tant que femme qui évolue dans un milieu très masculin, est ce qu’il est difficile de s’imposer aujourd’hui ?
Avant je ne voulais pas prendre position, je voulais juste faire mon truc dans mon coin. Mais aujourd’hui je n’ai pas le même discours, car j’ai trop vu la différence de traitement entre les hommes et les femmes dans la scène électro. Maintenant à chaque fois que j’ai un moyen de mettre en avant les femmes DJ, j’en profite. Quand je booke mes djs pour des soirées, il y a 50% de filles, c’est comme ça, il y a même pas de discussion. Par exemple, ma soirée « Quer » est certes une soirée queer mais j’y booke autant d’hommes que de femmes, autant de straight que de queer.
Comment pourrait-on améliorer ce problème de visibilité ?
Je ne serais pas contre l’idée qu’un festival qui reçoit des subventions publiques soit soumis à des quotas d’égalité femmes-hommes. Je préférerais que les programmateurs le fassent d’eux même, mais puisqu’ils ne le font pas, je serais pas choquée qu’on les y oblige. Regarde, au dernier weather festival, sur 56 lives ou dj, il y a 6 meufs. À la peacock society, sur 48 intervenants, il y a 7 meufs, ce n’est pas normal.
T’as travaillé en studio avec Greg Kozo sur ton dernier Ep Petit Matin Grand jour, comment c’est passé le travail avec lui ?
On adore faire du son ensemble. C’est un mec gentil, doux, poli, enthousiaste, sensible et surtout très talentueux. Avec cet EP je sors dans la foulée un clip réalisé par Manuel De Lira que j’ai rencontré pendant une tournée au Mexique l’an dernier. Manuel a déjà réalisé un clip pour mon premier morceau Confusion. Ça a été un gros crush dès la première seconde, il a ce petit côté « weird, freak et geek ». J’ai été super touchée quand il m’a montré ses films pornos, c’était tellement différent de ce que j’avais l’habitude de voir. Il a fait ce porno gay limite emo ou tu n’as quasiment pas de cul, tu vas juste voir un mec qui se masturbe dans un bosquet de camélias. C’est superbe. Pour ce nouveau clip il a donc eu carte blanche, je fais confiance à sa sensibilité et à sa perception de l’intimité.
Et tu vas mixer au Fusion Festival le 29 juin, comment tu décrirais ce festival à quelqu’un qui ne le connaît pas ?
Le Fusion, c’est la Mecque des festivals. C’est sur les pistes d’un ancien aéroport militaire désaffecté dans la campagne autour de Berlin, qui peut accueillir des milliers de personnes. Tu ne peux pas acheter ton billet, tu es obligée de participer à une loterie, et si tu gagnes tu as le droit d’acheter ton billet. Tout le monde peut venir avec 3 enceintes, se caler dans un coin un peu écarté et lancer sa scène. Jouer là-bas pour un Dj c’est l’équivalent de faire l’Olympia ou le stade de France, donc je suis super excitée.
Le 25 juin, La Fraicheur sera en Birmanie à la Berlin Club Nacht avant de faire son baptême du feu au mythique et très underground Fusion Festival sur la base aérienne désaffectée de Larz. On pourra ensuite la retrouver en France au Rockorama aux côtés de Chloé et Clara 3000 avant qu’elle ne s’envole pour les USA où elle mixera au festival Oscillator dans un campground gay américain dans une forêt quelque part entre Seattle et Vancouver. La saison estivale se terminera ensuite pour elle en Allemagne avec la QUER, la soirée qu’elle organise au Renate.
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