Une enquête interne de Radio France et le site Article11 visent l’animateur-producteur de France Inter Daniel Mermet. Sur fond de précarité des contrats à la Maison Ronde.
Daniel Mermet se souviendra longtemps de son été 2013. Le 21 juin, le producteur de l’émission culte Là-bas si j’y suis, sur France Inter, recevait le Grand Prix de la Scam (Société civile des auteurs multimédia). Il n’eut pas le temps d’en profiter. Cinq jours plus tard, un article le mettait violemment en cause : « Daniel Mermet ou les délices de l’autogestion joyeuse ». Violemment et longuement : 40 000 signes (l’équivalent d’un petit livre de poche) publiés sur le site Article11. L’auteur, Olivier Cyran, aligne une série de témoignages glaçants. Il y est question d’autoritarisme, d’humiliations et de travail non payé. Daniel Mermet est décrit en petit chef entouré d’une cour de collaborateurs lâches. Et l’on apprend qu’une enquête interne sur ses pratiques est menée par les syndicats de Radio France depuis janvier 2012.
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Ce texte a fait l’effet d’une bombe sur internet. Des centaines de commentaires ont été postés, où des auditeurs se disaient « tristes », « déçus », « abattus ». Puis il y eut la réponse, en soutien à Daniel Mermet, de plusieurs membres de son équipe, dont François Ruffin (créateur du journal Fakir) et Antoine Chao, piliers de l’émission. Là-bas si j’y suis connaît depuis sa création, en 1989, un immense succès. Elle est très écoutée (610 000 auditeurs selon Médiamétrie), encensée par la profession, et chère au cœur de nombreux militants de gauche. Altermondialistes, syndicalistes, alternatifs y ont table ouverte. Le Monde diplomatique est invité une fois par mois – mais le journal, où travaille Olivier Cyran, n’a jamais émis de remarque sur le comportement de l’animateur.
Enquête interne
Pour l’instant, Daniel Mermet se tait (contacté, il n’a pas souhaité répondre à nos questions). Sa situation à la rentrée sera forcément fragilisée. L’enquête interne ne va pas dans son sens. Le SNJ (Syndicat national des journalistes) de Radio France a publié un communiqué, le 10 juillet, qui dresse un constat sévère : « Il se passe des choses que nous considérons inacceptables dans le bureau 528 de France Inter. » Par ailleurs, ce n’est un mystère pour personne que le directeur de France Inter, Philippe Val, n’est pas son plus grand supporter.
Tous deux se détestent cordialement. On apprenait fin juin que l’émission serait amputée d’une journée (le vendredi) à la rentrée, et le budget réduit de 20 %. Si le texte d’Article11 rapporte des faits que personne n’a pour l’instant démentis, sa lecture laisse une sensation de trouble. D’une part, l’auteur (ancien reporter de l’émission) semble en faire une affaire personnelle. Les termes utilisés pour qualifier Daniel Mermet relèvent plus du procès que du journalisme : « patron voyou », « petit tyran », « pervers narcissique », « pacha », « crapuleux », « imposture », « omerta », etc. Ce qui fait beaucoup pour un seul homme.
D’autre part, les personnes mises en cause n’ont pas été contactées. Excepté Daniel Mermet. Il a droit à une citation… de cinq lignes. Et quand François Ruffin a proposé aux responsables d’Article11 de publier sa réponse, ils ont refusé. Au prétexte qu’il « semblait ne faire que peu de cas de la souffrance endurée ». Il l’a donc postée sur son site, Fakirpresse.info.
Querelles internes à la gauche de la gauche ?
On trouvera peut-être une explication à ce trouble du côté des coulisses politiques, dans les querelles internes à la gauche de la gauche. En gros, et pour le dire vite, Article11 et Olivier Cyran sont plutôt du courant libertaire-autonome, qui reproche à Mermet et Ruffin de suivre une ligne dirigiste-étatiste (à titre d’exemple, Olivier Cyran qualifie France Inter de « radio d’Etat »). Les échanges entre les deux camps sont souvent rudes, comme en atteste la prose fleurie des internautes.
Enfin, il est un élément central que cette polémique a mis au jour sans vraiment l’éclairer, c’est le contexte dans lequel se fait Là-bas si j’y suis. « S’il y a souffrance au travail, c’est que la situation à Radio France le permet, signale le SNJ. Comment accepter que la Maison Ronde cumule et accumule des strates de précarité ? » Le 24 juin, les délégués du personnel alertaient la direction « au sujet de la gestion et du recours abusif aux CDD ». C’est en effet une pratique courante à Radio France, même pour les animateurs-producteurs les plus anciens. Seuls les personnels administratifs, des techniciens et des journalistes des rédactions sont en CDI.
La précarité ambiante permet aux producteurs de jongler avec leurs collaborateurs, et de les révoquer à l’envi. « La limite, c’est que l’on ne peut pas passer tout le monde en CDI, souligne Valeria Emanuele, secrétaire nationale du SNJ Radio-France. La radio a aussi besoin de souplesse, car les programmes changent tous les ans. Cette affaire révèle surtout le manque d’attention de la direction à la façon dont les producteurs gèrent leurs équipes. » Or le « cas Mermet » n’est pas une exception à Radio France. Ce que confirme le SNJ : « D’autres émissions pourraient être accusées d’exploiter aussi à outrance leurs collaborateurs. »
Il y a trente ans, Francis Marmande publiait dans Le Monde un portrait élogieux de Daniel Mermet (qui produisait alors une émission de jazz). Son titre était prémonitoire : « En dehors des clous ».
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