A Amsterdam, sale temps pour les artistes squatteurs : après une longue bataille juridique, la police anti-émeute vient d’évacuer les Tabakspanden, squats emblématiques de la Spuistraat, dont la célèbre Snake House (Slangenpand) occupée depuis 1983.
Qui a visité Amsterdam est forcément passé devant cet immeuble jaune psychédélique, les accros aux réseaux sociaux s’empressant de filtrer-poster sa spectaculaire fresque de serpent (#underground). D’autres y auront apprécié l’une des expos organisées par les artistes résidents, ou même regardé un film indé au Blue Rascal, le cinéma alternatif gratuit tenu par l’activiste culturel Jeffrey Babcock.
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Subissant le même sort que le regretté Tacheles de Berlin, les Tabakspanden ont dû fermer leurs portes après l’échec des négociations avec De Key, promoteur immobilier propriétaire du bloc depuis 2008. Comme l’explique l’entreprise sur son site, “le nouveau plan prévoit 69 condominiums” et “36 places de parking”, tous destinés à la vente. 2 200 mètres carrés seront dédiés au commerce, dont environ 40 % à “des activités créatives et culturelles, comme un Art Mall (sic) et des ateliers”.
Les promoteurs refusent le dialogue
Ecœuré, le musicien et vidéaste Mark Bakker, porte-parole de la Snake House, raconte au magazine Dutch Stories :
“On a longtemps essayé de dialoguer avec eux, et étions prêts à trouver un accord de location ou une solution légale comme certains bâtiments voisins [le squat Vrankrijk, racheté il y a 15 ans par ses occupants, ndlr], mais ils ont refusé de nous rencontrer.”
La mairie, consciente de la place de la Snake House dans le patrimoine culturel d’Amsterdam, aurait débloqué près d’un million d’euros pour tenter de racheter l’immeuble. Malheureusement, De Key en réclamait 2,5. Le collectif d’artistes reproche aujourd’hui à la municipalité son absence de critique et sa naïveté envers De Key. Mark Bakker regrette : “Le centre d’Amsterdam est déjà très gentrifié et risque de devenir trop domestiqué.”
Protestations et bombes de peinture
Si les résidents de la Snake House affirment avoir quitté pacifiquement les lieux le dimanche précédant l’éviction, une bande d’irréductibles squatteurs résiste aux envahisseurs casqués : toute la nuit du 24 au 25 mars, des feux de protestation embrasent la rue ; des pavés sont déchaussés pour ralentir les forces de l’ordre, mais rien n’y fait : au matin, la police anti-émeute débarque avec chevaux, grues et canons à eau. Depuis les toits, les activistes ripostent à coups de bombes de peinture. Une vision chaotique et absurde qui ferait presque sourire si elle n’annonçait pas la mort programmée de tout un pan (contre)culturel de la ville.
Début d’année agité pour Spuistraat
Professeur de média et culture à l’université d’Amsterdam et auteur de Paris-Amsterdam Underground, Christoph Lindner commente : “L’éviction forcée des squats montre qu’Amsterdam accorde plus d’importance aux promoteurs immobiliers qu’à l’art, la créativité et la communauté ; même si la ville utilise le street art et les squats pour se vendre aux touristes.”
Décidément, ce début d’année aura été agité pour la Spuistraat : en février, la vente par l’université d’Amsterdam de la Bungehuis – située en face de la Snake House – avait provoqué la colère d’étudiants qui avaient envahi les lieux onze jours avant d’être eux aussi évacués. Ce bâtiment Art Déco de six étages abritant jusqu’alors la fac de lettres doit devenir un hôtel de luxe du groupe Soho.
Comme les étudiants, les artistes squatteurs refusent de baisser les bras. Le porte-parole de la Snake House conclut : “Nous avons tenté toutes les solutions possibles mais n’abandonnerons évidemment pas. On va essayer de mobiliser l’attention et d’organiser une manif de rue. Nous croyons en la culture bottom-up que nous avons contribué à créer, et espérons que d’autres poursuivront. C’est ça qui nous maintient en vie.”
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