Stéphane Breton coud un patchwork de photos en noir et blanc et en fait le support onirique d’une quête amoureuse dans un superbe documentaire de création.
Reprenant pour La Lucarne de Luciano Rigolini le principe de son court métrage Nuages apportant la nuit, Stéphane Breton utilise comme unique substrat de ce documentaire de création –accompagné par sa voix prenante et les nappes orchestrales de son musicien fétiche, Karol Beffa– des clichés en noir et blanc de quelques photographes de l’agence Vu: Michael Ackerman, Lorenzo Castore, Arja Hyytiäinen, Juan Manuel Castro Prieto. Même s’il s’agit d’images fixes, le montage n’est pas un vain mot: cen’est pas un bête bout-à-bout mais un travail dynamique fondé sur des allers et retours visuels, des répétitions, des agrandissements, des recadrages.
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Mystérieux quidams et images de rues désertes
Apartir de ce savant patchwork à l’atmosphère étrange, le cinéaste imagine les déambulations urbaines d’un personnage s’exprimant à la première personne et narrant, grosso modo, sa recherche d’une jeune femme avec qui il a passé quelque temps et qu’il désespère de retrouver. Ça n’est finalement pas très éloigné de ce film de Breton tourné à Paris il y a quelques années, Le Monde extérieur, d’où sourdait, grâce à quelques plans simples volés à de mystérieux quidams et à des images de rues désertes, une inquiétante étrangeté qui tenait en haleine.
Avec son ton confidentiel et semi-gouailleur, Breton fait merveille, échafaudant insensiblement un récit de fin de monde: Paris1913, Leningrad1990, Detroit2015 ou Paris2035 ? Toutes ces hypothèses sont envisageables avec ce film dont l’esthétique s’inscrit dans la lignée de splendides prédécesseurs, également constitués d’une suite de photographies (notamment LaJetée de Chris Marker), qui tiraient leur magie de la fixité de leurs protagonistes et de leurs scènes.
Force onirique
En revanche, la voix off ne connaît aucun répit. Le héros erre, enquête, commente, avant d’imaginer un dialogue avec sa bien-aimée disparue. Comme dans une fiction, on retrouve de loin en loin certains personnages. En particulier une vieille femme étrange qui l’invite chez elle, lui raconte des sornettes. Dans la rue, il aborde d’autres quidams aux mines patibulaires.
La constante de cette œuvre, c’est sa force onirique, induite non seulement par la voix off intimiste, mais aussi par le noir et blanc charbonneux, les regards étranges, les visions plus expressionnistes que réalistes, le mélange d’apocalypse et d’archaïsme. Chère humaine retrouve mieux qu’un film traditionnel ce qui fait la matière des rêves: le ressassement aussi obsessionnel qu’évanescent de lambeaux de vie épars dont la signification nous échappe.
Chère humaine documentaire de Stéphane Breton. Lundi 21, 23 h 40, Arte
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