Le journaliste Bruno Duvic anime une nouvelle émission de reportages sur Inter. Il parle de l’état de la presse écrite, des conséquences de la grève à la Maison ronde et de la France post-“Charlie”.
Après six ans de matinale, est-ce un soulagement de reprendre un rythme normal ?
Bruno Duvic – Oui. Cela fait quatorze ans que je suis à Inter. J’ai fait onze ans en horaires décalés : trois ans de flashs de minuit, deux ans de journal de 7 heures, six ans de revue de presse. J’ai adoré, mais ce n’est pas un rythme naturel, et on encaisse moins bien à 39 ans qu’à 25.
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Quel est le secret d’un anchorman comme Patrick Cohen, qui continue à animer la Matinale au fil des années ?
Patrick, c’est un mystère et un miracle ; il est hors norme, il a une résistance à toute épreuve. Un anchorman a une pression maximum à cause des enjeux d’audience et d’image. Il tient tous les fils, de l’animation, de la programmation, du lien avec la rédaction.
Tu espérais prendre sa place ?
Si un jour cela se présente, je serais sans doute ravi, mais il n’en a jamais été question. Il n’y a jamais eu de malaise de ce point de vue. J’ai pris beaucoup plaisir en le remplaçant lorsque j’étais joker, mais je n’en ferai pas une maladie si rien ne se passe… Je suis pris entre la passion de l’actualité et l’envie de décélérer.
Après ces six années de revue de presse, comment vois-tu l’état de la presse écrite ?
La presse française est certes moins riche à tout point de vue que la presse anglo-saxonne, mais tous les jours je trouvais de très bons papiers. Ce qui me frappe, c’est le processus d’accélération de l’actualité qui conduit les quotidiens à avoir souvent un jour de retard. Il y avait tous les jours un décalage entre ce qu’on traitait, nous, dans la Matinale, et ce que j’étais amené à traiter en revue de presse. Quand j’ai commencé, c’était presque un geste militant de citer les pure players qui débutaient comme Rue89 ou Mediapart. Aujourd’hui, ce serait une faute professionnelle de ne pas le faire. J’ai croisé ce matin la kiosquière de la rue de Babylone qui vient de fermer boutique et qui m’a confié qu’elle s’énervait lorsque, les jours de grève de la distribution des journaux, je disais à l’antenne que je les lisais sur tablette !
Quelles traces la grève à Radio France du printemps a-t-elle laissées au sein de la Maison ronde ?
Il existe clairement une tension latente. On a tous été traumatisés par le conflit. Rien n’est à exclure quant à une reprise de la grève, tout va dépendre des négociations en cours entre la tutelle et la direction. Je fais partie de ceux qui pensaient que la grève est partie trop tôt, trop vite, trop fort, et que du coup elle a manqué sa cible. Le combat était en partie légitime mais il s’est traduit par une perturbation dommageable de l’antenne durant un mois. On n’échappera pas à la nécessité de faire des économies : toute la question est dans le comment. Je veux croire qu’il est possible de garder la richesse de la radio de service public tout en faisant des économies. Mais il est nécessaire de batailler avec la tutelle.
Quelle est l’ambition de ta nouvelle émission, Un jour en France ?
Elle procède en partie d’un effet post-Charlie. On s’est tous aperçu en janvier qu’il y avait des aspects de la réalité sociale qui nous échappaient. Tout le monde a été surpris à la fois par les quatre millions de personnes dans la rue et par les perturbations dans les écoles pendant les minutes de silence. Or, nous, journalistes, nous sommes censés capter la réalité du présent. Une réflexion a été menée en ce sens avec Laurence Bloch, directrice de France Inter, qui m’a proposé le projet. Cette émission a l’œil sur les voyants, qu’ils soient rouges ou verts. Qu’est-ce qui fait et défait la société ? Qu’est-ce qui se passe ? Où est-ce que ça grince, ça bouge, ça frotte ? Je travaille avec la rédaction et avec des reporters dits des programmes qui réalisent chaque jour de longs reportages. Et je reçois des invités sur le mode de l’expertise, de l’expérience, avec des déclinaisons locales – élus, militants, citoyens…
Avais-tu des modèles d’émissions ?
Pour l’aspect reportage, Les Pieds sur terre ou Là-bas si j’y suis. Pour le dialogue avec les auditeurs, le ton posé et curieux d’un Michel Field. Pour le rythme, les émissions de Pascale Clark.
Des sujets à venir ?
On ira à Valognes, ville de la Manche où le service des urgences a fermé cet été, dans les centres de recrutement de l’armée, dans un club de rugby local pour voir quelles valeurs de sociabilité le monde du rugby charrie, dans des écoles en Seine-Saint-Denis. Il y a plein d’endroits où j’ai envie de retourner, comme au Petit Bard à Montpellier, où des femmes voilées exigeaient récemment plus de mixité sociale, ou à Ivry, ancienne zone industrielle marquée par une éviction des classes populaires…
C’est donc la volonté d’ausculter la France sous toutes les coutures…
Oui : allons voir les gens, écoutons-les, organisons un dialogue avec les auditeurs. La petite impression que j’ai après les quatre premières émissions, c’est qu’entendre la parole des auditeurs sur la longueur, ce n’est pas si fréquent que cela. Nos premiers retours sont rassurants : on nous dit que cela fait du bien. J’aimerais que l’émission se délocalise : cela aurait du sens qu’elle se tienne là où vivent les gens.
La grève a remis au grand jour la question des journalistes précaires à Radio France. Que faire d’eux ?
Pour mon émission, je travaille avec des pigistes. Cette émission a besoin de reporters. Les pigistes précaires sont la richesse de Radio France. Il faut en prendre soin.
émission Un jour en France, du lundi au vendredi de 10 h à 11 h, France Inter
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