La sortie d’Emmanuel Macron sur les 35 heures devant le Medef a réveillé les vieilles tensions au Parti socialiste, qui doit faire face à des oppositions internes, à quelques mois d’élections régionales annoncées à risques.
Baignée par un soleil de plomb, la deuxième journée de l’université d’été du Parti socialiste se clôt par un traditionnel banquet réunissant militants, élus et certains membres du gouvernement. Cette année, Manuel Valls et Christiane Taubira y ont participé. Est-ce la chaleur humide qui rend l’air de la salle, où se retrouvent militants du PS et du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), presque insupportable ? Ou bien les propos tenus par Emmanuel Macron devant les patrons du Medef ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En ouvrant le feu sur les 35 heures, le ministre de l’Economie a provoqué un tollé dans les allées de l’espace Encan, qui a accueilli 4 000 militants durant trois jours. Entre les plats, Manuel Valls et le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis déambulent de table en table. Soudain, un militant du MJS se lève et scande : “Les 35 heures, on s’est battu pour les avoir, on se battra pour les garder.” Des “Macron démission”, des “Taubira présidente” fusent dans les rangs du MJS.
Le Premier ministre vient expliquer au jeune socialiste que lui aussi a pu avoir des désaccords dans le passé, mais qu’il ne s’est jamais permis de siffler. En quittant la table, Manuel Valls l’aurait giflé. Plutôt une “tape paternaliste, l’incident a franchement été gonflé”, raconte un témoin de la scène qui ne nie pas que les échanges qui ont suivi entre certains membres du MJS et Jean-Christophe Cambadélis furent “musclés”. Le service d’ordre a dû intervenir pour calmer l’assemblée.
Un château de cartes à reconstruire pour le premier secrétaire du parti
“Ce microévénement est gênant pour l’image du parti. Traditionnellement, le MJS se situe à gauche du PS, mais débattre fait partie de l’ADN du PS, explique le lendemain Maxime, un militant MJS de Paris. Mais on ne fait que mettre encore un peu plus en difficulté la gauche en invectivant le Premier ministre de la sorte.” L’incident est révélateur.
Jean-Christophe Cambadélis pensait la synthèse actée au sein du PS à l’issue du congrès de Poitiers en juin. Malgré l’émancipation de l’aile gauche des frondeurs, il avait réuni, derrière sa motion, Martine Aubry et Manuel Valls ; un exploit. Un autre signe, fin juillet cette fois : le bureau national du PS adoptait le rapport de la commission budget 2016, à la quasi-unanimité.
En déclarant : “La gauche a pu croire, il y a longtemps, que la France pourrait aller mieux en travaillant moins. Tout cela est désormais derrière nous”, Emmanuel Macron a rouvert les plaies d’un parti dont il n’est pas membre. Un château de cartes à reconstruire pour le premier secrétaire du parti.
Entre les deux camps, on tente d’éteindre “l’incendie Macron”
Le chef des frondeurs, Christian Paul, très disponible auprès des médias, enfonce le clou : ”Poitiers ? Un congrès artificiel. Aujourd’hui on a réuni les ingrédients d’une crise politique. Les digressions toxiques de Macron et l’esprit de fermeture du Premier ministre, les ambiguïtés du Président. Nous, on ne lâchera rien”, déclare-t-il à l’ombre d’un stand de livres.
De l’autre côté, les “réformateurs” se frisent les moustaches. Gérard Collomb, le sénateur-maire de Lyon répète, tout sourire : “Nous avons besoin d’Emmanuel Macron.” Entre les deux camps, on tente d’éteindre “l’incendie Macron”. Un peu gêné, Claude Bartolone “comprend” que le ministre de l’Economie ait voulu “qu’on réhabilite la valeur travail”.
Le patron des députés socialistes, Bruno Le Roux, semble agacé : “Ses propos ont été mal interprétés.” Seul l’ancien secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, ose l’humour : “Il a cherché une déclaration qui allait l’empêcher de devenir ministre du Travail en plus de l’Economie. Il l’a trouvée”, susurre-t-il avant de quitter La Rochelle, seul avec son cartable.
Quelle priorité donner à l’exercice du pouvoir ?
Mais cette crise sémantique cache un mal plus profond. Pour le politologue Gérard Grunberg : “Le parti est extrêmement divisé, mais la division dépasse le traditionnel clivage gauche/droite.” La crise politique traversée par la Grèce d’Aléxis Tsípras révèle un réel problème de position pour l’aile gauche du PS.
“Doivent-ils refuser le plan d’aide européen ou alors l’accepter, comme l’a fait le chef du gouvernement grec ? Ils doivent avoir une vision claire : leur opposition est-elle compatible avec le fait de rester dans l’euro ? Si oui, que proposent-ils de crédible face à la situation ?” Faire scission ? “Ils seront marginalisés s’ils quittent le parti. Ils savent pertinemment qu’ils ne pèseraient rien”, analyse le politologue.
Plus largement, jusqu’où le PS doit-il donner la priorité à l’exercice du pouvoir ? “Beaucoup de partis socialistes en Europe se retrouvent désorientés, explique Gérard Grunberg. On l’a encore vu récemment avec les primaires au Labour (où le très à gauche Jeremy Corbyn est favori pour prendre la direction du parti – ndlr). Plus largement qu’en France, on assiste à un affaiblissement de la social-démocratie à l’européenne.”
A trois mois d’élections régionales à risques pour le PS, l’équilibre du parti apparaît toujours plus instable. La menace d’accords entre le Front de gauche et les Verts n’arrange rien. Samedi à La Rochelle, socialistes et écolos ont même trouvé le moyen de s’écharper à propos… des accords en vue des élections régionales justement. Il faut vraiment être gauche.
{"type":"Banniere-Basse"}