Petite histoire des glissements progressifs du jeu vidéo dans le plaisir. Jusqu’à de récentes innovations qui mettent en scène des fantasmes assez inventifs.
Réaliser l’impossible en toute sécurité est l’horizon des jeux vidéo depuis moins d’un demi-siècle. Sans remords, on peut y tuer, sauter de plate-forme en plate-forme, commander des armées, se prendre pour Batman, voler des voitures ou broyer des bonbons sur cinq cents niveaux. Le média a mûri et mûrit encore au fil des parties en proposant le plus de choix possibles au joueur.
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Reste, au royaume des possibilités, un angle mort. Celui du sexe. Le spectre hante les pixels, des dragues foireuses eighties de la série des Leisure Suit Larry au sex-appeal de Lara Croft. Mais le jeu vidéo mainstream tâtonne toujours quand il faut passer de la théorie à la pratique : peut-on y faire l’amour avec la manette ou la souris ? Comment simuler le désir ? Et pourquoi ?
Faire grimper la barre d’excitation
Lorsqu’en 2004, Sam Houser, le patron de Rockstar Games, décide d’inclure, avant de faire volte-face, un jeu sexuel dans Grand Theft Auto: San Andreas (le fameux Hot Coffee déterré par hasard par un joueur au sein d’un programme), il écrit dans un mail à son équipe que “(le sexe) est assez naturel (plus que la violence), quand on y pense”. Merci, Sam.
Seulement, il s’agit d’une vision hétérobeauf de la bagatelle : tripoter les commandes pour faire grimper la barre d’excitation (la sienne ou celle du partenaire, ce n’est jamais précisé) dans San Andreas ou payer des prostituées dans GTA 5 (2008). C’est une digression, un bonus sans conséquence dans la progression du jeu, mais surtout une sexualité de domination. “Naturel” ? Plutôt ridicule quand il s’agit de voir des corps mal modélisés faire frotti-frotta.
Dans les années 2010, des personnages un peu mieux dessinés s’étreignent dans les trilogies Mass Effect et The Witcher, mais de manière un peu plus organique dans le scénario. Dans Mass Effect, on cultive des romances (hétéro puis homosexuelles à partir du second volet) avec des personnages humains ou extraterrestres (les Asari) et la pudique scène de sexe en est la récompense – au sens littéral, le joueur gagnant un trophée.
Une vision du désir et du couple encore schématique (rassurante ?), où l’on pense en termes de gains et de dialogues précis à choisir pour courtiser, comme dans un manuel de drague. Reste que conclure avec une Asari à la peau bleue reste ce qu’il y a de plus proche d’un fantasme à la Avatar tout en chamboulant la théorie du genre – les Asari, bien que d’apparence féminine sont en quelque sorte hermaphrodites.
Transformer son écran en baisodrome
Dans The Witcher 3, on revient à une sexualité plus classique : heroic fantasy et biscottos sur fond de seize heures d’images d’acteurs/actrices en motion capture pour alimenter les scènes de bagatelle (par contre, ces scènes de coucherie ne durent pas seize heures). Le joueur peut aller au bordel (et gagner des points d’expérience, forcément) et passer la nuit avec des prostituées en forme de clichés ambulants (aimables avant la passe, glaciales après).
Comme dans tout bon mélo, l’intrigue demande aussi de choisir entre deux femmes, deux amours, dont une certaine Yennefer, présentée dans les premières minutes du jeu lors d’une mémorable scène de sexe sur une licorne, et dont la justification laisse songeur : “Le sexe est la façon la plus rapide d’établir une relation et de fournir une raison au joueur de chercher cette femme (quand elle disparaît)”, déclarait son designer Damien Monnier au Guardian le 28 janvier. Encore une fois, le sexe est un but à atteindre. Quand on dit que les jeux deviennent adultes, ils sont en fait en phase préado. Ou déjà en psychanalyse.
Si les personnages non joueurs scriptés limitent le désir, on peut compter sur les jeux en ligne et les “métavers” (mondes virtuels) pour transformer son écran en baisodrome. Second Life a été pionnier dans ce cybersexe pour tous – enfin, pour ceux qui peuvent payer des organes génitaux à leur avatar.
Représentations moins normatives
Sinon, il faut bien sûr chercher dans les jeux indépendants pour trouver des représentations moins normatives. Pas forcément “sexy”, mais plus honnêtes, car plus troublantes. La designer Nina Freeman a conçu How Do You Do It? à partir de ses souvenirs d’enfance. Ceux de tous ? Le jeu met en scène une fillette essayant de mettre ses poupées Barbie et Ken en position sexuelle avant le retour de sa mère. C’est court, simple sur le papier, mais convoie la perplexité et la maladresse juvénile avec humour, l’équivalent vidéoludique d’un Judd Apatow.
Ute de Lea Schönfelder mise aussi sur l’embarras, mais à l’âge adulte : une sorte de miss Pac Man, où Ute, sur les conseils de sa grand-mère (!), doit coucher avant le mariage avec un maximum d’hommes dans un labyrinthe, sans être vue. Un jeu de réflexes – être rapide, appuyer en rythme sur les boutons pour que Ute jouisse. Un jeu féministe – Ute, et non son partenaire, doit jouir pour gagner des points, sous le regard désapprobateur des mecs la prenant en flagrant délit (et donc forcément pour une salope).
Dans un autre genre, Hurt Me Plenty de Robert Yang touche aux relations BDSM, dominant-dominé. D’un mouvement de souris, il s’agit, après avoir choisi l’intensité de la séance, de donner la fessée à un homme jusqu’à ce qu’il prononce un “code de sécurité” dès qu’il n’en peut plus. C’est un peu distancié : notre partenaire tressaute sous les coups, ses fesses deviennent rouge atomique.
Quand il prononce le code, on peut arrêter ou continuer. Dans ce dernier cas, l’autre finit par s’écrouler, inconscient. Le jeu demande alors de réconforter son partenaire (forcément peiné) en le caressant. Pour ensuite afficher un écran vous interdisant de rejouer un certain temps – une punition. C’est apparemment rudimentaire, mais introduit une notion nouvelle pour le sexe en jeu vidéo mainstream : le consentement, la perte de contrôle. Pour le gamer, le tabou ultime.
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