Après avoir observé que le caveau avait été manipulé, le gardien du cimetière avoue avoir “eu un choc” : les assaillants avaient décapité le cadavre de Friedrich Wilhelm Murnau et emporté sa tête.
C’est la saison où des têtes tombent. Un directeur de chaîne inopinément congédié, des animateurs non reconduits… Ou un ministre grec qui devance l’appel pour ne pas bloquer l’âpre processus de négociation avec un Eurogroupe qui voulait vraiment sa tête. Toutes ces têtes qui tombent en début d’été, ce sont des métaphores.
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Elles ne tombent pas vraiment. Tout comme les “chasseurs de têtes” qui organisent la valse des postes à responsabilité dans les entreprises n’en veulent pas qu’à la tête de leur gibier mais au corps tout entier – et on passe de la métaphore à la métonymie. On pensait que depuis les Jivaros l’activité vraie de chasseurs de têtes déclinait.
Mais l’actualité de la semaine dernière est venue de façon stupéfiante restituer à la locution toute sa littéralité. Dans son édition du 15 juillet, le quotidien allemand Bild révélait qu’entre “le 4 et le 12 juillet”, un ou plusieurs individus se sont introduits dans le cimetière de Stahnsdorf pour violer la sépulture du cinéaste Friedrich Wilhelm Murnau, auteur d’au moins une demi-douzaine d’absolus chefs-d’œuvre, dont Nosferatu le vampire (1922), Le Dernier des hommes (1924) ou L’Aurore (1927). Après avoir observé que le caveau avait été manipulé, le gardien du cimetière avoue avoir “eu un choc” : les assaillants avaient décapité le cadavre et emporté sa tête.
Cérémonie occulte
Murnau n’aura pas été le premier génie du cinéma profané : en 1978, le cadavre de Chaplin avait été enlevé par des ravisseurs réclamant une rançon – de ces péripéties, Xavier Beauvois a tiré un film, La Rançon de la gloire, sorti en janvier. Mais cette fois, la tête ne devrait faire l’objet d’aucune tractation. Selon le quotidien allemand, des traces de cire laissent à penser qu’il s’agissait plutôt d’une cérémonie occulte dont la décapitation fut le terme.
La fascination qu’exerce depuis un siècle Nosferatu est généralement avancée pour expliquer ce larcin dément. Une croyance s’est peu à peu forgée, prétendant que Max Schreck, l’acteur qui prêta à Nosferatu ses traits émaciés, était un vampire également dans la vie et que le film était de fait en partie documentaire. La farfelue légende a même donné lieu à un film, L’Ombre du vampire (2000), avec John Malkovich en Murnau et Willem Dafoe en Max Schreck buveur de sang.
Fellation administrée par le cinéaste à son chauffeur
Mais c’est bien au-delà du mythe propre de Nosferatu que la vie, et surtout la mort, de Murnau forment une invraisemblable fabrique à fantasmes. Sa disparition prématurée dans un accident de voiture en mars 1931, à l’âge de 42 ans, fut l’objet de beaucoup de rumeurs. L’une d’elle affirme que la raison de la sortie de route du véhicule était la fellation qu’administrait alors le cinéaste à son chauffeur. Dans son outrageant recueil de gossips, Hollywood Babylone, le cinéaste Kenneth Anger ne manque pas de faire des gorges chaudes de cette pipe tragique.
D’autres hypothèses, moins charnelles, plus chamaniques, circulent aussi. Quelques mois avant son trépas, Murnau tournait en Polynésie son ultime film, le sublimissime Tabou. Le tournage fut chaotique (accidents, noyade d’un membre de l’équipe) et le cinéaste se mit à dos toute la population autochtone pour avoir enfreint l’interdiction de tourner sur certains lieux sacrés. Les locaux de la production auraient même été installés sur un ancien cimetière.
Alors même que le film raconte le viol d’un tabou (un jeune homme s’éprend d’une jeune fille dont le corps est déclaré sacré par un chamane et doit rester vierge), le tournage du film fut considéré comme profanatoire et un chamane aurait jeté sur Murnau une malédiction. Sa mort huit jours avant la sortie du film ne fit qu’enfler la légende.
Mythologie occulte et morbide
Qu’aujourd’hui, en Allemagne ou déjà ailleurs, un individu trimballe avec lui, le chérit peut-être comme un trophée ou un doudou, le crâne de ce génie étêté est un nouveau rebond de cette mythologie occulte et morbide. Le corps tabou et profané est devenu celui du cinéaste lui-même. Pour une tout autre raison (mais dans l’ordre chamanique du monde, il n’y a pas de hasard), Libération titrait en une le week-end dernier : “2015, l’été de tous les tabous”. Rendez-vous la semaine prochaine pour un numéro qui sera lui sans tabou.
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