La semaine dernière, des tresses de poils sombres, un entretien d’embauche humiliant, des points de permis perdus jusqu’au crash que rien ne pouvait empêcher.
Mon cher Inrocks. C’est fragile, un homme. Ça fanfaronne, ça a souvent tendance à vouloir dominer l’autre – sa copine, ses potes, son collègue, son clébard –, ça cogne un peu, parfois, mais c’est fragile. Meg Wolitzer l’a bien décrit. “Cet homme montait le premier à l’échelle, lui laissant voir ses boules et les tresses de poils sombres qui les enveloppaient comme une sorte de protection atavique. L’aspect insaisissable de ces boules à l’intérieur de leur sac fin donnait un air fragile même à un homme grand, fort et athlétique”, écrit-elle. C’est donc ça être un homme ? Deux petites boules pudiquement planquées dans un sac fin recouvert de “tresses de poils sombres” ? Je suis à deux doigts de m’attendrir, là.
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Juste deux petites boules dans un sac
Pas étonnant qu’ils aient besoin d’exprimer leur puissance, les choupets, c’est normal. Aucun club de muscu, aucune barbe de hipster, aucun poste de pouvoir, aucune côte de bœuf sanguinolente posée sur un barbecue de jardin ne viendront jamais combler l’immense désarroi de celui qui réalise que son devoir de puissance réside tout entier dans ces deux petites boules planquées. Qu’on songe à tous les puissants, tous les dictateurs, tous les tortionnaires, tous les petits chefs de section, en adoptant le point de vue du pied de l’échelle. Juste deux petites boules dans un sac. Et qu’on songe à tous les autres qui, affligés de ces deux boules et malgré elles, ne parviennent pas à coller au rôle qui leur est assigné. Rien dans le falzard, celui-là. Une vraie gonzesse. Viens te battre si t’as des couilles.
D’où les bagnoles. C’est magique, les bagnoles. Ça vient combler un déficit de puissance (parce qu’elles en ont sous le capot, elles), notre envie de domination (parce qu’elles obéissent aux pieds, aux mains et à l’œil) et nos soifs de conquête (“on la caresse, on se frotte à sa carrosserie, et dans le crash, suprême extase, on se laisse transpercer par ses lames de métal pulvérisé”). La bagnole, c’est la revanche. On peut ne pas être riche et s’offrir une bagnole de riche à crédit.
« assumer un individualisme sans limite”
On peut avoir subi toute la journée “l’entretien d’embauche humiliant, la pression des patrons, les turpitudes des dominants” comme dans Journal d’une femme de chambre, n’empêche qu’au volant on est le maître. Comme le racontent les personnes en stage de récupération de points de permis de conduire filmés dans le documentaire Crash, au volant, on est enfin libres de “ne rien devoir à personne, ne penser qu’à soi, assumer un individualisme sans limite”. Vaincus si souvent, il ne leur reste “que la conduite comme source de plaisir, le sentiment de puissance qui vous gagne en roulant sur l’asphalte”. Un sentiment de puissance qui est “comme un éblouissement que rien ne devrait entraver” ni de vulgaires radars, ni une quelconque mise en danger de la vie d’autrui, “jusqu’au crash que rien ne pouvait empêcher”. On meurt “fast and furious” comme son héros Paul Walker, à 160 kilomètres à l’heure dans un réverbère. C’est fragile, un homme.
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