Histoire bruyante de la jeunesse plonge dans les mouvements culturels impulsés par les jeunes, des années 1950 à aujourd’hui. Une saga turbulente, au rythme d’une bande-son léchée.
En 2019, les oreilles du vieux monde sifflent quand Greta Thunberg diffuse son message pour sauver la planète : “Ici et maintenant, c’est là que nous traçons la ligne. Le monde se réveille, et le changement arrive, que ça vous plaise ou non.” La militante écologiste âgée de 16 ans, figure de proue d’un mouvement mondial animé par de très jeunes personnes, s’attire les foudres d’un pouvoir englué dans le statu quo.
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Inconsciemment, elle met en évidence une ligne de démarcation ancienne, et sur laquelle chaque nouvelle génération repasse invariablement : celle qui sépare la jeunesse rebelle, idéaliste, agissante de ses aîné·es tantôt cyniques, tantôt las·ses de lutter.
Naturellement, la musique est la forme artistique qui reflète le mieux les cris de rage, les désillusions et les rêves de chaque époque
En 1950, rive gauche à Paris, le fondateur de l’Internationale lettriste, Isidore Isou, 25 ans, appelle déjà “la masse des jeunes qui luttent pour tout bouleverser” à cesser de se servir de marchandises “pour devenir consommateurs de leur propre élan” (selon les mots de son manifeste intitulé Le Soulèvement de la jeunesse). C’est là que commence Histoire bruyante de la jeunesse, un documentaire en deux parties réalisé par Aurélien Guégan et Marie Durrieu, et produit par Christophe Nick (ancien journaliste d’Actuel, qui s’intéresse depuis longtemps aux contre-cultures et à celles et ceux qui cherchent à accélérer le cours de l’histoire).
Le documentaire passe en revue toutes les cultures que la jeunesse a inventées, et la manière dont elle s’en est servie pour manifester et répandre ses désirs, de 1949 à aujourd’hui. Naturellement, la musique est la forme artistique qui reflète le mieux les cris de rage, les désillusions et les rêves de chaque époque. Avec sa BO d’anthologie, le film ne s’y trompe pas.
A chaque décennie correspond son style : ce fut le rock de Little Richard faisant trembler l’Amérique ségrégationniste ; le chant possédé de Janis Joplin, porte-parole d’une génération qui dérègle ses sens au LSD pour dérégler l’ordre du monde ; le funk de James Brown relayant la colère des ghettos ; le punk des Sex Pistols et du Clash, Joe Strummer transformant le nihilisme en révolte politique avec White Riot en 1977 ; le rap subversif de Public Enemy ; ou encore la techno d’un Berlin en transe, débarrassé de son Mur.
Jean-Michel Basquiat et Niki de Saint Phalle
Mais la grammaire du péril jeune traverse les disciplines. Elle se lit aussi au cinéma avec la Nouvelle Vague (Jean-Luc Godard mettant en scène, dès 1967, la révolution culturelle qui couve dans les universités avec La Chinoise), dans l’art contemporain avec les œuvres de Jean-Michel Basquiat ou de Niki de Saint Phalle, dans la littérature de la Beat Generation, ou encore dans les avant-gardes politiques.
Un mouvement néerlandais anarchiste peu connu, Provo, constitué par de jeunes artistes et intellectuel·les, a ainsi, dans les années 1960, “douze longueurs d’avance sur l’écologie”, nous rappelle-t-on. Il milite aussi pour désarmer les policiers et en faire des assistants sociaux : un mot d’ordre qui laisse songeur aujourd’hui.
Les jeunes générations semblent se transmettre l’art du contre-pied
Bien sûr, le système capitaliste a tenté de récupérer cette “culture jeune” en passe de devenir hégémonique dans les années 1980. Son énergie, sa force vitale et son audace en font un bon modèle de savoir-vivre pour une société qui érige la vitesse, la performance et la spéculation en valeurs cardinales. Mais les jeunes générations semblent se transmettre l’art du contre-pied.
Aux lignes droites qu’on leur trace, elles préfèrent les tangentes qui mènent à l’underground interlope et aux émeutes urbaines. A Seattle, en 1999, c’est sur un riff de Rage Against The Machine que des jeunes gens surgissent aux yeux du monde sous la bannière de l’altermondialisme. Stimulés par l’expérience zappatiste, il·elles tissent leurs réseaux grâce à internet, avec le site précurseur Indymedia.
“Un violador en tu camino”
Insolente, la jeunesse n’a jamais dit son dernier mot. Dans les années 2000, on la croit amorphe, désenchantée, stérile. Elle tisse pourtant sa toile dans l’angle mort du monde adulte. Ses mèmes – des images virales, populaires, détournées pour délivrer des messages souvent ironiques – inventent un nouveau langage que le groupe The Shoes met en lumière dans le clip de Drifted. C’est aussi cette jeunesse qui soulève la vague récente de révolte féministe autour du globe. L’image des militantes du collectif chilien Las Tesis, le poing levé pour leur performance “Un violador en tu camino”, synthétise soixante-dix ans d’une histoire bruyante et essentielle.
Histoire bruyante de la jeunesse (1949-2020) de Marie Durrieu et Aurélien Guégan, sur Arte le 26 novembre à 23h10 et le 27 novembre à 00h sur arte.tv
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