L’équipe du trimestriel XXI lance 6 mois, une copieuse revue qui célèbre avec inventivité le photojournalisme.
Si remettre à l’honneur le grand reportage était l’ambition de la revue XXI, le succès du trimestriel (près de 50 000 exemplaires vendus) a conduit l’équipe à continuer sur sa lancée, cette fois du côté du photojournalisme. Avec un prisme identique : l’obsession des nombres. Vendu en librairie à un prix plus élevé mais sans publicité, 6 mois apparaît comme le bébé (prématuré) de XXI, où le rapport entre image et texte est inversé, mais toujours central.
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La revue donne à voir l’état du monde à travers 350 pages et 12 portfolios, mais aussi à lire : chaque reportage est commenté par au moins une voix, celle du photographe à travers des légendes, quand ce ne sont pas d’autres intervenants qui s’expriment sur le reportage.
« Dans les revues de photo, il y rarement des légendes qui donnent la parole au photographe. Or, pour nous, un travail photographique est avant tout un récit », explique Marie-Pierre Subtil, rédactrice en chef de la revue.
Anciennement grand reporter au Monde (où elle a passé vingt-deux ans), elle s’est lancée avec enthousiasme dans l’aventure, persuadée qu’il y a des lecteurs prêts à mettre le prix pour du journalisme en images (la revue coûte 25 euros). « Un beau livre de photos coûte beaucoup plus cher, et puis le lecteur en a pour six mois ! », souligne-t-elle.
A l’heure où les images d’actualité n’ont jamais été aussi pléthoriques, 6 mois offre une respiration permettant de mieux appréhender le monde. On y découvre le travail de la photographe américaine Darcy Padilla, qui a suivi une jeune femme droguée et malade du sida pendant dix-huit ans. Un reportage bouleversant, accompagné d’un texte d’Emmanuel Carrère, qui a rencontré Darcy Padilla à San Francisco. La littérature nourrit ici le photo-reportage, elle met l’image à distance, en creuse les traces invisibles.
Ce recul peut aussi être sociologique, comme le reportage Les brigades du jean du photographe Justin Jin sur la ville de Zhongshan, en Chine, où sont fabriqués la majorité des jeans vendus dans le monde. Alors que les légendes des photos dénoncent des conditions de travail effrayantes, la revue a choisi de confronter le point de vue du photographe à celui d’un sociologue spécialisé dans le travail en Chine, qui estime que « l’image de l’ouvrieresclave est en partie fausse » aujourd’hui.
Mais 6 mois explore aussi l’histoire du photojournalisme, en rendant hommage à ses grandes figures comme Dennis Stock ou Sergueï Prokoudine-Gorsky, qui photographia la Russie du début du siècle dernier, et dont les photos sont mises en parallèle avec un passage célèbre d’Anna Karénine.
6 mois ne s’interdit rien et fait dialoguer mots et images, présent et passé avec chaleur, inventant même des genres inédits, comme lorsque Sorj Chalandon raconte dans une « photobiographie » la vie du président du Sinn Féin Gerry Adams. Ou comme le dit le reporter de guerre Laurent Van der Stockt dans une interview :
« Nous rêvons tous de publier dans une presse qui se servirait intelligemment de l’image, mais elle n’existe pas. Alors ? … Il faut arrêter de publier ? L’important, c’est d’essayer encore. »
Marjorie Philibert
6 mois en librairie, 25€.
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