La poussée du FN dans les sondages relance le débat sur une candidature unique de la gauche à la présidentielle en 2012, dix ans après le choc du 21 avril et la qualification de Jean-Marie Le Pen. Les avis sont partagés.
Quand François Hollande, ancien premier secrétaire du Parti socialiste, et Jean Glavany, ancien directeur de campagne de Lionel Jospin en 2002, se rencontrent à l’Assemblée nationale, ils parlent bien évidemment des sondages qui placent Marine Le Pen en tête du premier tour de l’élection présidentielle. Dont ils font une lecture différente.
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Le député de Corrèze, probable candidat à la primaire pour 2012, milite pour une candidature unique de la gauche, ou au moins pour une limitation du nombre des candidats. Ils étaient huit à gauche et à l’extrême gauche en 2002, avec le résultat que l’on sait : l’élimination de Lionel Jospin au premier tour, le 21 avril, et la qualification de Jean-Marie Le Pen, battu au second tour, le 5 mai par le front républicain constitué autour de Jacques Chirac.
Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées et soutien déclaré de Martine Aubry, vient de se pencher sur les conditions de la victoire de François Mitterrand en 1981 – le PS s’apprête à célébrer dans un mélange de nostalgie et d’euphorie le trentième anniversaire de l’alternance – et en a tiré la conclusion que la multiplicité des candidatures n’était pas forcément un obstacle à la création d’une dynamique de second tour.
Lundi 7 mars, Robert Badinter, l’une des « grandes voix » de la gauche, est l’invité du 7/9 de France Inter. Il tonne au micro pour inviter socialistes, écologistes, communistes et trotskistes à tenir compte de « l’avertissement » que constituent la percée de Marine Le Pen dans l’opinion et « le triomphe du national-populisme dans toute l’Europe ». « La gauche doit mesurer que la division, l’éclatement des candidatures sont autant d’avantages pour Mme Le Pen, et on en connaît les fruits amers. »
Interrogé sur ce qui semble aujourd’hui du domaine de l’utopie, François Hollande reconnaît que la mécanique de l’union est une horlogerie délicate à manier. « Mais il faut tout faire pour réussir », ajoute-t-il.
« C’est déjà difficile de faire plus de 20% ou 25% au premier tour dans une présidentielle. Et aujourd’hui, nous sommes interpellés par le niveau du Front national. Car le 21 Avril, ce n’est pas un sondage. C’est déjà arrivé. En 2002 ! », s’emporte l’ancien patron du PS.
François Hollande relève aussi le taux « irréel » de l’abstention – 35 % – dans les sondages et souligne qu’en totalisant les intentions de vote, « la gauche de gouvernement n’est pas à plus de 40 % ». « Il faudra, au lendemain des élections cantonales, réunir la gauche et lui poser la question : qu’est-ce qu’on fait ensemble ? », insiste-t-il.
Jean-Marie Le Guen, l’un des lieutenants de Dominique Strauss-Kahn, lui répond qu’il n’y a pas de raison « d’interdire aux écologistes et à Jean-Luc Mélenchon de s’exprimer ».
« Ceux qui veulent préempter chez nous l’idée qu’il n’y ait qu’un seul candidat ont une attitude contre-productive et peu réaliste, qui témoigne en fait d’une absence de confiance en soi », ironise le député parisien.
Jean-Marie Le Guen pilonne depuis plusieurs jours les positions de François Hollande, dont la progression dans les enquêtes d’opinion tracasse le camp du patron du FMI.
Dans ce débat, les partenaires les plus concernés du Parti socialiste sont les écologistes car, au PS, personne n’imagine sérieusement faire reculer Jean-Luc Mélenchon ni les candidats d’extrême gauche.
« Si dans un an les sondages se situent au niveau d’aujourd’hui, si le FN, le PS et l’UMP sont dans un mouchoir de poche, il est évident que je pousserai le camp écolo à une candidature unique », explique Daniel Cohn-Bendit, qui défend cette approche avec José Bové.
« Mais aujourd’hui, nous devons défendre nos positions, aller vers une candidature, et en même temps négocier avec le Parti socialiste un programme de gouvernance et des circonscriptions » aux législatives qui suivront la présidentielle de 2012, précise-t-il aussitôt.
« Nous verrons la situation à l’automne, nous n’avons pas à nous rabattre dès maintenant sur quelqu’un que nous ne connaissons pas. On verra, quand on aura la photo avec les candidats réels, côté écologiste et côté socialiste. On ne fait pas de la politique avec du virtuel. »
Le député Europe Ecologie-Les Verts Noël Mamère, qui avait obtenu 5,2 % des voix en 2002, est plus catégorique. Il appelle les siens à ne pas « céder à la pression du PS ». « Il y en a assez de ces chantages. Si M. Jospin a perdu en 2002, c’est parce que les siens lui ont manqué et non parce qu’il y avait un candidat écologiste », affirme-t-il.
« Pour combattre Mme Le Pen, je reste convaincu qu’il ne faut pas se désister ni laisser la place au PS. Un bon nombre d’électeurs écologistes n’iront pas voter PS au premier tour », lance-t-il en forme d’avertissement.
« Il faut être raisonnable, personne ne nous tend un piège avec Marine Le Pen, c’est la société qui nous tend un piège avec le Front national« , réplique Daniel Cohn-Bendit. Frédéric Sawicki, chercheur en sciences politiques, spécialiste du Parti socialiste, est un peu sur cette ligne Hollande-Cohn-Bendit.
« La différence avec 2002, c’est que maintenant, le 21 Avril fait partie des calculs. En 2007, Jean-Marie Le Pen était moins haut dans les sondages, donc cela n’avait pas été pris en compte. Là, ce qui change la donne, c’est le niveau de l’extrême droite. On est obligé de se demander qui occupera la troisième place en avril 2012. Et cette question va peser lourd sur la stratégie, les thèmes de campagne et les candidatures. »
Frédéric Sawicki souligne que le Parti socialiste « a entre les mains pas mal de cartes ». « Quelle est la capacité de sacrifice de ses élus locaux ? Car il faudrait que le Parti socialiste offre aux écologistes un nombre de circonscriptions suffisant pour garantir, in fine, la constitution d’un groupe à l’Assemblée, soit 45 à 50 circonscriptions. » Pas gagné…
En attendant que les états-majors politiques se saisissent du dossier de l’union, des initiatives éclosent comme des crocus en hiver. Alain Uguen et Dominique Touret, respectivement animateur et trésorier de Cyber Acteurs, une association de défense de l’environnement, des droits de l’homme et de la paix basée à Quimper, veulent promouvoir l’idée de primaires socialistes élargies à toute la gauche, et notamment aux candidats écologistes.
Ils invitent à glisser dans l’urne un autocollant en ce sens, en lieu et place du bulletin de vote, lors des scrutins des 20 et 27 mars pour les cantonales. Un bulletin nul, donc, mais qui aurait, selon eux, le mérite de « sensibiliser » le PS et Europe Ecologie-Les Verts. Le mot de la fin revient bien évidemment à François Mitterrand, qui, au congrès d’Epinay de 1971, n’hésitait pas à citer Henri Krasucki, alors figure montante de la CGT, pour défendre la stratégie d’union à gauche :
« Où trouve-t-on les militaires, sinon parmi les civils ? Où trouve-t-on les socialistes, sinon parmi ceux qui ne le sont pas ? »
Hélène Fontanaud
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