Abbas Kiarostami, cinéaste inquiet De retour en Iran trois mois après les événements, il a trouvé son pays anéanti et en pleine incertitude quant à son avenir
L’année 2009 a commencé pour moi en Italie. Au début de l’année, je finalisais les repérages de mon nouveau film en Toscane, Copie conforme, avec Juliette Binoche. Et quelques mois plus tard, en mai, le tournage commençait. Ce n’était pas la première fois que je quittais l’Iran pour tourner, j’étais allé en Ouganda pour ABC Africa. Mais c’était la première fois que je travaillais avec des techniciens aussi professionnels, une star internationale comme Juliette Binoche… Je redoutais cette expérience, mais elle fut une des plus sereines et joyeuses de toute ma carrière.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette douceur, pourtant, a été entachée par les événements qui ont éclaté en Iran suite aux élections. Vivre cela à distance a été un vrai drame. Le soir, on montait le film sur un écran, mais juste à côté nous en avions placé un autre qui nous permettait de suivre sur internet tout ce qui se passait à Téhéran. Mon fils a 30 ans et travaillait sur le montage du film. Tous les jours, on se demandait s’il était légitime de rester là à travailler, si on n’aurait pas dû retourner à Téhéran. Je suis finalement rentré en juillet, après trois mois d’absence, et j’ai trouvé mon pays dans un état d’abattement qui m’a gagné immédiatement. Un désespoir généralisé était tombé, comme je n’en avais jamais ressenti. Ce découragement est dû à l’incertitude. Personne ne sait ce qui va se passer maintenant. Tout le monde est touché, dans tous les domaines. Que ce soit un artiste ou un jardinier qui a planté un arbre, chacun se pose la question du fondement de son activité : cela a-t-il encore un sens de produire des choses pour l’avenir, dans un pays qui va à ce point à vau-l’eau ?
Je crains que les quelques jours qui restent en 2009 n’apportent aucune issue, aucun apaisement à cette grande insécurité psychologique et sociale, cette terrible inquiétude. Ce qui est sûr, c’est qu’il est impossible de revenir en arrière. Quand on voit la fougue de la jeunesse qui au printemps dernier est descendue dans la rue, on ne pourra pas faire comme s’il ne s’était rien passé. Ces jeunes n’ont peur de rien, ils y croient, ne lâchent pas, ne se laissent pas abattre. Mais les personnes qui pourraient réformer, modifier le système de la société dans laquelle nous vivons, je crains qu’elles ne soient pas capables de prendre les bonnes décisions.
Je me pose surtout des questions sur la définition de la révolution que nous vivons. Il y a trente ans, notre pays a connu une révolution et j’ai le sentiment qu’elle dure. Toutes les révolutions passent par une phase de terreur, d’instabilité, mais petit à petit elles s’ouvrent. Et elles visent ce pourquoi on les fomente : atteindre une vie meilleure. En Iran, la révolution est devenue une fin en soi, un système. Elle n’a plus de but, les gens se sont habitués à vivre dans une perpétuelle violence et à vivre dans une société inquiétante et dangereuse. Tout cela fait qu’il est difficile de garder l’espoir.
{"type":"Banniere-Basse"}