La crise interne qui agite le quotidien illustre les contradictions d’un modèle économique entièrement fondé sur la publicité.
Rien ne va plus à 20 Minutes. Le quotidien gratuit vit depuis près d’un an au rythme des hauts et des bas d’une crise interne entre les journalistes et la direction, contre laquelle a été votée mardi dernier une motion de défiance. En cause : un mail adressé à la rédaction où la directrice de la publication, Corinne Sorin, évoque le chiffre de 2 millions d’euros pour estimer les pertes subies par le quotidien, et en donne un équivalent malheureux : 40 postes.
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Dans la mesure où 20 Minutes, entièrement dépendant de la publicité pour survivre, fait les frais de la crise, et où le groupe de presse norvégien Schibsted, propriétaire du journal, va mal, il n’en fallait pas plus pour lire dans cette équation la menace à peine voilée d’un plan social. “On a reçu le mail peu après avoir appris qu’e24 (site économique appartenant également à Schibsted – ndlr) licenciait 6 personnes. C’est une énorme maladresse de communication”, nous confie un journaliste. Une énième, semble-t-il, tant depuis l’été le courant ne passe plus entre la rédaction et sa direction. Car en plus des inquiétudes liées à la mauvaise passe financière que traverse le journal (embauches gelées, suppressions de postes en CDD) la crise de confiance s’articule autour de la qualité du projet éditorial, au sein d’une rédaction qu’on croit, à tort, vouée à produire de l’info consommable et jetable. Les journalistes s’alarment ainsi de l’importance de plus en plus grande prise par les annonceurs dans le fonctionnement du titre, témoigne le même salarié : “Ça a commencé en juin dernier, quand on a appris que le journal allait inclure une page payée par le Crédit Mutuel, ce qui a provoqué une première crise dans la rédaction. Puis, en août, lorsque le rédacteur en chef du web a été licencié, un des arguments qu’on nous a donnés a été : “C’est un mauvais manager”. Le terme est emblématique de la conception d’un journal soumis aux seules exigences de la rentabilité : exaspérant pour des journalistes à qui on reproche, entre autres choses, “d’écrire pour se faire plaisir”.
En décembre dernier, la non-embauche d’un candidat à un poste en CDD au motif qu’il avait écrit un billet favorable aux antipub va pour les salariés dans le même sens : une complaisance grandissante vis-à-vis des annonceurs qui pourrait s’avérer néfaste pour l’image du journal. “Quand 20 Minutes s’est créé, notre antimodèle était Métro, qui faisait du repiquage de dépêches bourré de pubs. On voulait montrer qu’on pouvait être un gratuit et produire de la vraie info. Or, aujourd’hui, on a l’impression que la direction veut nous faire faire de l’info low cost sans le dire.” En clair, 20 Minutes souffrirait lui aussi de la baisse de la qualité du contenu qui frappe globalement la presse, au risque de le dépouiller de tout intérêt. “Au départ, 20 Minutes Paris faisait 48 pages. Aujourd’hui, il y en a 32 et parfois la pub peut monter jusqu’à 50 % du numéro… Or, en tant que journal gratuit, nous devons être encore plus vigilant que les autres titres et établir nettement la ligne à ne pas franchir.” Dans ce contexte, la crise économique servirait de moyen de pression insidieux sur les journalistes : “Honnêtement, je ne pense pas qu’il y aura un plan social, mais ça fait partie de leur stratégie d’agiter des épouvantails. De la même manière, on a annoncé à des salariés qu’ils ne seraient peut-être pas payés au mois de juin… Alors que, dans le fond, personne ne connaît la situation réelle du journal. »
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