Magazine adulé dans les années 90 par des jeunes filles qui se moquaient d’elles-mêmes, 20 Ans a droit à un livre qui retrace son positionnement original et persifleur.
Montherlant disait des jeunes filles : “L’ennui, c’est qu’il faut toujours leur apprendre quelque chose.” 20 Ans le savait et avait pris ce rôle très au sérieux. C’est sans doute ce qui explique que ses anciennes lectrices aujourd’hui trentenaires ou quadra en gardent une nostalgie puissante, comparable à celle qu’on peut éprouver pour ses rapports passés avec sa grande soeur.
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C’est ce sentiment qui a poussé l’éditrice Marie Barbier à rendre hommage au titre. Dès les premières pages, on se retrouve immergé dans l’esprit 20 Ans qui n’a plus d’équivalent aujourd’hui : bien loin d’un magazine pour midinettes, le titre déployait un humour noir et une lucidité décapante. Un ton reconnaissable entre mille, forgé par Isabelle Chazot qui en fut la rédactrice en chef de 1990 à 2003 et a su s’entourer de talents pour aller toujours plus loin dans l’audace rédactionnelle.
“La lectrice de 20 Ans était une jeune fille drôle, persifleuse, qui regarde d’un oeil désabusé le spectacle du monde et refuse d’en être la dupe”, explique-t-elle. C’était l’exact opposé de la ‘battante’ de la presse féminine d’aujourd’hui, celle qui carbure au positif perchée sur ses stilettos.”
Florilège de sujets : “Je m’ennuie avec mes enfants.” “Comment se maquiller à un enterrement ?” “Que dire quand on n’a rien à dire ?” Bref, c’est en assumant sa futilité que ce féminin atypique se montrait subversif, avec le charme d’un dandy proférant en soirée des vérités profondes avec le détachement le plus complet.
Une moulinette à concepts avec un ton unique
Bien avant que “l’impertinence” ne se retrouve en étendard des plateaux télé ou que le “décalage” ne soit saupoudré un peu partout dans la presse, 20 Ans énonçait tranquillement tous les mois des horreurs à ses lectrices, la jeunesse de son lectorat lui permettant de s’amuser à un exercice de pédagogie inversée qui prenait systématiquement le contre-pied des idéologies dominantes, un peu comme les romans du marquis de Sade prétendaient enseigner la vertu.
Et l’ennemi, c’était incontestablement le libéralisme et ses mirages, qui poussa des personnalités comme Simon Liberati ou Michel Houellebecq à y exercer leur plume. Le cinéma, les people, les relations humaines, 20 Ans passait tout et son contraire dans une moulinette à concepts brillante où, comme en philosophie, la vérité pouvait surgir d’une dialectique poussée à son paroxysme.
L’impératif du couple était aussi méthodiquement détruit (“Marre du couple”) que le mythe de la libération sexuelle de 68 (“Treize raisons pour ne pas coucher”). Les people faisait l’objet d’un traitement au vitriol (“Albert Dupontel n’est pas drôle”) et étaient poussés de force de leur piédestal (“Il faudrait rappeler que les rock-stars ne sont que des pourritures droguées infiniment moins intéressantes humainement qu’un prof de collège”).
Méchant, désespéré, drôle, 20 Ans accordait la présomption d’innocence à ses lectrices qu’il estimait encore sauvables dans une époque qui faisait tout pour en faire, comme le dit l’une d’entre elles, des “vagins affamés de Marc Jacobs”.
Marjorie Philibert
20 Ans – Je hais les jeunes filles coordonné par Marie Barbier, (Rue Fromentin), 256 pages, 20 €
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