Dans ces années Flower Power, l’Amérique se montre insouciante et libertaire. A la tête de la Family, Charles Manson bascule dans la folie et commandite les meurtres de Cielo Drive qui jettent à jamais un voile noir sur le pays et la contre-culture.
En cette fin de printemps 1968, loin de l’épave alcoolique et droguée dont témoignent tristement les dernières images de lui, Dennis Wilson est à l’apogée de son charme. Beau, riche et célèbre, le batteur des Beach Boys est un pur hédoniste auquel peu de femmes résistent. Telle n’est d’ailleurs pas l’intention d’Ella Jo Bailey et Patricia Krenwinkel, deux auto-stoppeuses qu’il croise sur la route de Malibu et qu’il embarque prestement, direction sa luxueuse villa de Pacific Palisades, à Los Angeles. L’affaire aurait dû en rester là, mais très vite, Bailey et Krenwinkel sont ralliées par un groupe d’une douzaine de hippies, dominé par un homme de petite taille, dont le regard fou et les cheveux longs tranchent avec l’âge avancé, du moins pour les canons de l’époque.
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De passage chez Dennis, où squatte désormais la belle équipe, Neil Young fait à son tour connaissance avec cet étrange individu : “A un moment, un gars s’est pointé, a pris ma guitare, et s’est mis à chanter. Il s’appelait Charlie. Ses chansons étaient des trucs qu’il improvisait comme ça, et il ne les jouait jamais deux fois de la même manière. Un peu à la Dylan, mais pas tout à fait parce qu’il n’y avait pas vraiment de message. Cela dit, les chansons avaient quelque chose d’envoûtant. Il était plutôt doué.”
De voyou à gourou
Comme lui, Dennis Wilson est séduit par les talents de compositeur et de chanteur de Charles Manson, suffisamment en tout cas pour l’introduire dans le milieu musical de Los Angeles et le présenter, entre autres, à Terry Melcher, le producteur des Byrds. A l’époque, Melcher vit sur les hauteurs d’Hollywood, au 10050 Cielo Drive, une maison où va bientôt lui succéder le couple formé par Roman Polanski et son épouse, la sublime Sharon Tate. Sans que personne ne puisse encore s’en douter, un engrenage infernal vient de s’enclencher. Lorsque sa route croise celle de Dennis Wilson, Charles Miles Manson a déjà passé la moitié de sa vie sous les verrous.
Né en 1934, d’un père inconnu et d’une mère adolescente et alcoolique, il est très vite ballotté de maisons de redressement en geôles diverses, où il apprend à lire, puis à jouer de la guitare. Entre deux séjours à l’ombre, il se signale par des braquages de stations-service, vols de voiture et autres trafics illicites, trouve même le moyen de se marier, quand il ne s’essaie pas au proxénétisme.
En mars 1967, après avoir purgé une énième peine de prison, il est libéré sur parole, la tête farcie de chansons des Beatles, de préceptes bibliques et de théories fumeuses sur l’écroulement imminent de la race blanche. A San Francisco, où il échoue, la révolution hippie s’avère une aubaine pour ce redoutable manipulateur.
Il se découvre une vocation de gourou et se constitue un harem de jeunes paumées, parmi lesquelles Susan Atkins, une strip-teaseuse toxicomane qu’il ne tarde pas à mettre enceinte. A l’automne, il embarque sa petite troupe, baptisée The Family, à bord d’un vieux bus scolaire, direction Los Angeles et ses rêves de gloire. Car Manson croit dur comme fer à son destin de rockstar, même si, sur place, rien ne se passe comme prévu.
Entre orgies et prêches apocalyptiques
Certes, Dennis Wilson lui a entrouvert quelques portes, mais dérouté par l’irrationalité de son comportement, il a fini par le chasser de sa villa, non sans avoir dilapidé, pour lui et sa suite, une petite fortune en nourriture, fringues et pénicilline – cette dernière destinée à traiter la syphilis dont souffrent peu ou prou tous les membres de la Famille. Et Terry Melcher, qui le fuit comme la peste, ne donne plus signe de vie.
Charles Manson trouve alors refuge dans un ranch délabré des environs de L.A., qu’il “loue” à un vieux cowboy en échange de faveurs sexuelles dispensées par l’une ou l’autre de ses adeptes. Entre orgies et prêches apocalyptiques, imprégné de LSD, il écoute en boucle l’Album blanc des Beatles, sûr d’y trouver la confirmation de ses prophéties racistes. Pris dans cette spirale de terreur et de folie, certains membres de la Family – ils seront jusqu’à cinquante, hommes, femmes et enfants – désertent la communauté, d’autres suivent aveuglément les préceptes d’un gourou aux abois, à court de dollars et de drogue.
C’est le cas de Bobby Beausoleil. Le 27 juillet 1969, pour une sombre histoire de dette impayée, ou plus sûrement pour lui soutirer de l’argent, ce guitariste illuminé (1) torture à mort Gary Hinman, un dealer de ses amis. Susan Atkins et Charles Manson sont de la partie. ;Sans nouvelles de Terry Melcher, Manson ordonne dans la foulée une descente au 10050 Cielo Drive. Le 8 août, quatre membres de la Family, Susan Atkins, Charles “Tex” Watson, Patricia Krenwinkel et Linda Kasabian, cette dernière préposée au guet, se présentent au domicile supposé du producteur.
Le massacre de Cielo Drive
A l’intérieur, en l’absence de Polanski, Sharon Tate passe la soirée avec Jay Sebring, coiffeur hollywoodien en vogue, Abigail Folger, une riche héritière, et Wojciech Frykowski, son petit ami. Peu après minuit, dans un accès de folie sanguinaire, tous quatre sont sauvagement assassinés. Au total, deux cents coups de couteau sont portés, dont seize sur Sharon Tate, enceinte de huit mois. Steven Parent, un ami du gardien ayant la mauvaise idée de passer par là, est lui aussi poignardé à mort.
Accompagnés cette fois de Leslie Van Houten, Tex Watson, Patricia Krenwinkel et Linda Kasabian remettent ça dès le lendemain. Toujours sur les instructions de Manson, ils investissent une maison choisie au hasard sur Waverly Drive, dont Van Houten, Watson et Krenwinkel massacrent les occupants, un couple de commerçants nommés Leno et Rosemary LaBianca.
Sur les murs, avec le sang de leurs victimes et comme ils l’avaient fait la veille, ils laissent des inscriptions susceptibles d’incriminer les militants noirs des Black Panthers : “Death to pigs, war, Healter Skelter” (sic)… Et de fait, les flics pataugent, impuissants à faire le lien entre les différents meurtres et la secte de Manson.
Tandis qu’à Los Angeles la paranoïa enfle et les ventes d’armes explosent, tandis qu’on traîne Polanski dans la boue, qu’on accuse Sharon Tate de pratiques sataniques, il faut attendre le mois de novembre et l’arrestation de Susan Atkins, coupable d’un banal vol de voiture, pour que l’enquête prenne un tournant décisif. En se confiant à une codétenue infiltrée par la police, Atkins fait tomber Manson. Débute alors le procès réputé le plus long et le plus cher de l’histoire des Etats-Unis.
Charles Manson, qui se présente à l’audience le front tailladé d’une croix (elle deviendra gammée au fil du temps), n’exprime aucun regret. Il est condamné à mort en mars 1971, mais il échappe à la chambre à gaz et voit sa peine commuée en prison à vie. Jusqu’à son trépas, en novembre 2017, il fera l’objet d’un culte morbide, relayé entre autres par les Guns N’Roses, Nine Inch Nails ou Marilyn Manson. Pour ce qu’elle incarne de rêve brisé et d’utopie dévoyée, pour ce qu’elle symbolise de maléfique et de fascinant à la fois, sa figure hantera encore longtemps la culture populaire américaine.
(1). Membre éphémère de Love, il a composé la B.O. de Lucifer Rising, le film culte de Kenneth Anger.
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