Du banané et inquiet d’Eraserhead au mécano fan de free-jazz de Lost highway, Jack Nance était une figure familière du Lynchland. Le réalisateur évoque son ami et comédien fétiche, décédé le 30 décembre 1996.
Je connaissais Jack depuis vingt-cinq ans. Nous avons été présentés par un metteur en scène de théâtre de San Francisco avec qui Jack avait travaillé. On m’avait conseillé de prendre Jack pour Eraserhead et notre première rencontre s’est déroulée à l’American Film Institute, en 71. C’était intéressant, malgré ces circonstances banalement professionnelles, nous nous sommes tout de suite entendus, ça a fait tilt. Je l’ai enrôlé immédiatement, c’était la première recrue d’Eraserhead et je crois qu’il était le seul qui pouvait jouer ce rôle. J’estime avoir eu de la chance de le rencontrer et de le connaître, c’était un de mes meilleurs amis et je n’arrive toujours pas à croire à sa disparition.
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Je crois à l’action du Destin dans notre rencontre, nous étions faits pour travailler ensemble. Il avait tout ce que je recherche chez un acteur, sans parler de ses qualités humaines. C’était une personne qui pensait et ressentait les choses profondément. Il était passionnant d’observer son visage, même quand il était muet et vous regardait fixement : on pouvait deviner tout ce qui traversait son cerveau et sa conscience, c’était comme plonger son regard dans une rivière profonde. Je tenais à la présence de Jack dans chacun de mes films le seul où il n’apparaît pas est Elephant man. Et puis dans Twin Peaks/le film, sa scène a été coupée au montage. Dans Lost highway, il n’a qu’une seule scène (le collègue mécano qui aime le free-jazz à la radio) mais il y est mémorable. Sa performance que je préfère, c’est dans Sailor & Lula : encore un rôle court mais extraordinaire. Je ne désespérais pas de trouver encore une histoire où il aurait de nouveau tenu un rôle important.
A part moi, il a aussi joué dans un grand nombre de films et de pièces. Il adorait travailler mais il n’était pas assez motivé sur le plan des relations, il ne jouait pas le jeu des mondanités. Il se fichait de l’argent, il se fichait de la gloire, il se fichait d’à peu près tout, sauf du travail. Les gens ne se rendaient pas compte qu’un acteur formidable était chez lui, en pantoufles et robe de chambre, en train d’attendre des coups de fil qui ne venaient pas. Ceux qui ont pris la peine d’aller le chercher ne l’ont pas regretté ; ceux qui auraient aimé travailler avec lui mais ne l’ont pas fait, eh bien trop tard pour eux. Il a quand même tourné dans The Whore de Nicholas Roeg, Barfly de Barbet Schroeder, Hammett de Wim Wenders…
Dernièrement, on se voyait moins souvent. C’est horrible, maintenant qu’il est parti, j’aurais aimé avoir bu un café avec lui tous les jours. C’était toujours un plaisir d’être avec lui : Jack était le plus grand conteur d’histoires que je connaisse. Il avait une façon inimitable de raconter et c’était toujours des histoires tordues, étranges, incroyables… sauf qu’avec lui, on y croyait. Je ne suis même pas certain qu’il ait pu voir Lost highway. Il a eu un grave accident de voiture juste après la fin du tournage : il s’en est sorti avec de multiples fractures et ne sortait plus de chez lui à cause de sa convalescence. Je lui parlais souvent au téléphone, mais je ne l’ai vu qu’une seule fois dans cette dernière période : deux mois avant sa mort, nous avons organisé une petite réunion Eraserhead. Il m’avait semblé en bonne forme, nous avons plaisanté, rigolé c’est la dernière fois que je l’ai vu.
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