Dans une petite salle du nord de Paris, quelques passionnés se retrouvent pour le pur plaisir de se ligoter sans complexe. Rendez-vous à la Place des Cordes, où l’on dénoue les préjugés qui sanglent le “shibari” depuis bien longtemps.
Sous le regard de quelques habitués, elle commence à suffoquer. Comme une proie prise dans une toile d’araignée, la modèle ne peut que se laisser porter par le rythme des cordes qui serpentent le long de son corps tatoué. Elle décolle donc du sol, pivote à l’horizontale et enchaîne toute une série de positions plus inconfortables les unes que les autres. A chaque transition, alors que les cordes enserrent la chair, les lieux résonnent de quelques cris légers desquels il est difficile de distinguer la part de douleur et celle de plaisir.
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Pourtant, malgré ce curieux spectacle, le discret dojo perdu dans le Nord-Est parisien n’exhale pourtant aucun parfum de scandale. Car si le shibari, cet art de l’encordage hérité du jiu-jitsu japonais, traîne dans nos contrées une réputation sulfureuse et sexy, la Place des Cordes fait d’emblée mentir les stéréotypes. En y jetant un rapide coup d’œil, difficile de voir ici le moindre signe d’orgie sexuelle ou de lanière de cuir. Au contraire, quelque part entre arts martiaux, danse, yoga et massage, la petite salle cachée sous une toiture en verre donne davantage l’impression d’être un lieu paisible dédié au bien-être et au sport. Surplombant les tatamis, une mezzanine accueille même un coin bibliothèque dédié à la discipline et sur les canapés disposés un peu partout, chacun peut se reposer tranquillement en sirotant du thé vert mis à disposition de tous.
La caresse de la corde
Sourire accueillant, petits lunettes et cordes posées sur l’épaule, Cyril Grillon, l’un des propriétaires des lieux pourrait d’ailleurs plus facilement passer pour un prof d’escalade que pour un dangereux obsédé sexuel. Pourtant, en décidant d’abandonner son job d’entrepreneur dans le domaine des jeux et de l’événementiel pour se consacrer entièrement à la Place des Cordes, ce dernier fait d’emblée figure d’inconditionnel du shibari. Ici, tout le monde l’apostrophe pour un conseil, une corde particulière ou simplement une sympathique tape sur l’épaule.
“Le truc c’est qu’il fallait décorréler le monde des cordes de ses images d’Epinal que sont le SM et le sexe, explique-t-il avec simplicité. Mais aujourd’hui encore, quand je fais mon coming-out et que je dis que je fais du shibari, la première réaction est de croire que je fais tourner une boîte à partouze. Pourtant, l’idée est de ne surtout pas être ça.”
Mais si le sexe est donc interdit à la Place des Cordes, le lieu n’est pas pour autant exempt d’une évidente sensualité propre au shibari, comme le reconnaît sans réserve le propriétaire du lieu : “D’une certaine manière, appliquer une corde ressemble beaucoup à une caresse. Sauf qu’ici, attacher quelqu’un n’est pas un moyen mais un but. Si tu as vraiment envie d’immobiliser une personne uniquement pour le sexe, dans ce cas une paire de menottes fait l’affaire. Tu l’attaches au radiateur en trente secondes et après tu fais ce que tu as à faire. Mais chez nous, c’est le fait de poser une corde qui a du sens et qui est excitant. Moi quand j’attache quelqu’un avec des cordes, ça me prend deux heures.”
Faire reconnaître le shibari comme un sport
Pour faire reconnaître sa discipline, Cyril travaille donc à tisser des liens avec d’autres organisations européennes, dans l’espoir un jour de pouvoir faire reconnaître le shibari comme un sport et de fonder une fédération :
“Des gens n’aimeront pas cette manière de se structurer et la normalisation du shibari qui va en découdre, mais ça n’empêche pas n’importe qui de continuer à pratiquer chez lui sans règle précise s’il le souhaite.”
C’est le cas par exemple d’Olivier, photographe familier des milieux BDSM qui tout en s’amusant à s’attacher la jambe explique qu’il ne veut pas vraiment voir le shibari se diluer dans ce qu’il nomme “le mainstream”. A ses côtés, sa femme d’origine russe n’est pas totalement d’accord et semble quant à elle plus nuancée sur cette question de démocratisation des cordes. En filigrane, ces divergences d’opinions prouvent avant tout que le shibari est donc aujourd’hui à un moment clef de son évolution. En quittant progressivement le monde fétichiste pour s’ouvrir à tous via des initiatives comme la Place des Cordes, la discipline risque bien d’attirer bon nombre de curieux, quitte à froisser certains puristes adeptes du “pour vivre heureux, vivons cachés”. Mais que ces derniers se rassurent, le shibari n’est pas encore un phénomène de masse. Pour l’instant, les salles de sport du monde entier se contentent des cordes à sauter.
La Place des Cordes, 30, rue du Docteur-Potain, Paris XIXe
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