Depuis quelques semaines, la ministre des affaires étrangères suédoise détonne par sa liberté de ton et par sa politique résolument orientée sur le droit des femmes. Un discours inédit en langage diplomatique.
Ils sont quatre, mesurent à peine quelques centimètres et sont, à vrai dire, assez moches. Au début du mois d’avril, les ouistitis pygmées du zoo de Stockholm se sont retrouvés bien malgré eux, au coeur d’une tempête médiatique sans précédent entre la Suède et l’Arabie Saoudite. Les primates devaient déménager à Ryad, la capitale du royaume. Mais les autorités saoudiennes leur ont refusé l’entrée, tout comme elles ont gelé les visas des hommes d’affaires suédois et rappelé leur ambassadeur. Une situation inédite entre les deux pays provoquée par la déclaration d’une femme : Margot Wallström, la ministre des affaires étrangères suédoise. Celle-ci avait déclaré un peu plus tôt que la punition infligée par l’Arabie Saoudite au blogueur Raif Badawi était “moyen-âgeuse”. Les Saoudiens ont alors pesé de tout leurs poids devant la Ligue arabe pour empêcher la ministre de prononcer un discours sur le droit des femmes : celle-ci avait tout l’air d’être beaucoup trop incontrôlable.
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“Une diplomate magnifiquement peu diplomate”
À soixante ans, Margot Wallström, le carré blond impeccable et la voix ferme, n’en est pas à son coup d’essai. Dès son arrivée au ministère des affaires étrangères, en octobre, elle a reconnu la Palestine. Quelques semaines plus tard, elle s’en est prise au président russe Vladimir Poutine et à son “règne de la terreur”, après l’assassinat de l’opposant Boris Nemtsov. Quand Hillary Clinton s’est déclarée candidate à la primaire démocrate en avril, Margot Walström a tweeté sobrement qu’elle espère que celle-ci « se fera l’avocate du droit des femmes ». Des termes forts, rarement entendus dans les couloirs souvent feutrés des relations internationales. Et, surtout, qui donnent à la Suède, pays peu audible à l’échelle mondiale, une voix nouvelle. Il n’en fallait pas moins pour en faire la ministre la plus populaire du gouvernement et la coqueluche des médias étrangers. C’est “une diplomate magnifiquement peu diplomate”, salue le Guardian, quelques jours après l’épisode de l’Arabie Saoudite, qui s’est soldé par la fin de la coopération militaire entre les deux pays.
Margot Wallström a derrière elle une solide carrière politique. Après avoir été ministre pendant plusieurs années, elle a rejoint pendant dix ans la commission européenne, où elle ne s’est pas privée de critiquer le manque de représentativité des femmes dans les institutions européennes. En 2010, elle entre à l’Onu en tant que représentante spéciale sur la violence sexuelle dans les conflits auprès du secrétaire général Ban-Ki Moon. Et en octobre, dès son discours d’investiture, elle annonce la couleur : sa politique sera “féministe” et centrée sur le respect des droits humains. Elle s’articulera autour des 3 “R” : “Rights, Representation and Resources” [les droits, la représentativité et les moyens]. “Je veux que plus personne ne dise à présent qu’il n’y a pas de femme compétente autour de nous”, a-t-elle prévenu.
“La Suède n’avait pas eu un discours aussi fort depuis le gouvernement d’Olof Palme, dans les années 1980”
Et tant pis si sa politique détonne vis-à-vis de celle de l’Union européenne [le pays est membre depuis 1995 ndlr]. “La Suède n’avait pas eu un discours aussi fort depuis le gouvernement d’Olof Palme, dans les années 1980”, analyse Cyril Coulet, chercheur et spécialiste des pays scandinaves. L’ancien chef du gouvernement suédois, assassiné en 1986, avait par exemple durement critiqué le régime d’apartheid en Afrique du Sud ou rompu les relations avec les États-Unis après avoir participé à une manifestation contre la guerre du Vietnam. “Avec Margot Wallström, on assiste au retour d’une politique étrangère marquée de valeurs fortes : les droits de l’’homme, l’égalité hommes-femmes et un attachement viscéral à la paix. C’est un pays qui se veut pionnier et entend montrer la voie aux autres”, continue Cyril Coulet. La nouveauté avec Margot Wallström, c’est cet accent féministe, forgé dans un pays très souvent mis en avant pour sa politique novatrice en terme d’égalité des droits.
Et ça marche : les prises de positions de Margot Wallström lui valent la reconnaissance de ses pairs. “C’est une vrai féministe, confirme Ebon Kram, une pionnière du féminisme en Suède. Un homme n’aurait pas conduit la même politique”. À la gauche de la gauche aussi, on salue son activisme. “La décision de mettre fin à l’accord de coopération militaire avec l’Arabie Saoudite est l’une des plus populaires prises par ce gouvernement, confirme Hans Linde, le porte-parole du parti de gauche. Beaucoup de Suédois sont nostalgiques du temps où la Suède avait une voix forte en matière de politique internationale”.
« En quelques sortes, elle est un peu une Femen »
Même les plus extrêmes des militantes voient en Margot Wallström une personne à suivre. “C’est une des politiques en qui j’ai le plus confiance, indique Jenny Wenhammar, la chef de file des Femen en Suède. Nous sommes très fières qu’elle soit venue au secours de Raif Badawi. En quelques sortes, elle est un peu une Femen : nous aussi nous parlons avec tout le monde. Mais nous ne nous privons pas de faire comprendre quand nous ne sommes pas d’accord”. La militante, ancienne membre du parti écologiste, ne lui donne pas pour autant carte blanche. “Cette semaine, elle n’a pas été jusqu’à reconnaître le génocide arménien”, regrette-t-elle.
« Une ministre très populaire dans un gouvernement qui ne l’est pas vraiment”
Et si à droite, on lui reproche de jouer avec le feu, si les grosses entreprises (Ikea, Ericsson ou Volvo) tremblent à chacune de ses prises de position, l’opinion publique semble la suivre. “Elle prend des risques, indique Cyril Coulet. La Suède a très envie d’avoir un siège au conseil de sécurité de l’Onu et a donc besoin d’obtenir le plus de voix possibles. Mais dans le même temps, c’est une ministre très populaire dans un gouvernement qui ne l’est pas vraiment”.
Une popularité qui pourrait faire de Margot Wallström la tête de liste des prochaines élections, qui auront lieu dans quatre ans. “Il y a de vrais espoirs qu’elle change la voix de la Suède, confirme Hand Linde, du pati de gauche. Elle va devoir se battre : tant contre la partie la plus conservatrice de l’opposition que contre certains de ses collègues. Mais elle a le support de beaucoup de Suédois”. Même en Suède, une femme Premier ministre, ça serait une première. Mais au vu de son activisme de ces derniers mois, gageons que d’ici là Margot Wallström saura ne pas se faire oublier.
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