Le funk absurde et rigolard de Bentley Rhythm Ace tourne cette semaine en France, quelques semaines après la sortie de leur album BRA, vite rebaptisé ici WonderBRA. Un joyeux fourre-tout où les grands méchants beats se farcissent des mélodies bécasses sur un trampolino. Mais le duo prévient déjà la mode qui le drague outrageusement : […]
Le funk absurde et rigolard de Bentley Rhythm Ace tourne cette semaine en France, quelques semaines après la sortie de leur album BRA, vite rebaptisé ici WonderBRA. Un joyeux fourre-tout où les grands méchants beats se farcissent des mélodies bécasses sur un trampolino. Mais le duo prévient déjà la mode qui le drague outrageusement : il ne participera pas au concours de big-beat.
Ca commence par un éclat de rire, puis une de ces voix que l’on réservait, dans les années 70, aux disques de bruitages ou aux cours de psychologie en cassette prévient : « Vous a-t-on déjà chatouillé au point de vous faire rire comme ça, aux larmes ? » Le premier album de Bentley Rhythm Ace n’a pas commencé depuis trente secondes qu’on sait déjà à quelle sauce ce groove barjo va dévorer : une béchamel de gaz hilarant, d’acides, de sucre et loufunkeries. Ce groupe est tellement triple buse qu’on le soupçonne d’ailleurs d’avoir choisi ce nom sans queue ni tête uniquement pour le plaisir de le contracter. Soit BRA. Soit : soutif, comme on disait dans la cour de récréation. Un lieu que Bentley Rhythm Ace n’a jamais quitté, puisque groupe parfaitement récréatif mais aussi étonnamment créatif. Car sous ses allures de lecteur débonnaire du magazine Loaded le seul journal masculiniste au monde , le vilain canard des Midlands, cette mare très noire du milieu de l’Angleterre, étonne aussi par sa fluidité, sa pertinence. On attendait un de ces groupes à l’estomac ceinturé d’un infâme bourrelet de bière, on le trouve finalement plutôt leste. Et surtout, le duo que l’on soupçonnait d’entretenir la flamme (la flemme, aussi) des Happy Mondays se révèle autrement plus libertin qu’une simple groupie de Grand Vivant ce qui le séparera toujours de ces incorrigibles pantins qui, dans la nuit parisienne, se rêvent Pacadis mais mourront vieux, sur la Côte d’Azur, en prenant leurs gouttes et en votant FN.
Car Bentley Rhythm Ace, le bienheureux hérétique, ne répond pas du tout aux normes NF du groove anglais (NF pour « neurones fatigués », « nivellement flagada », « nightclubbing fonctionnaire », « niveau faiblard » ou « navet foireux »). Et s’il est effectivement complètement con, ce n’est que sur les bords, dans la marge, là où KLF, les Chemical Brothers ou les Beastie Boys furent très cons. Car « con », on ne le sait pas forcément, est une abréviation d’iconoclaste, de concasseur, d’anticonformiste. Et aussi, un peu, de déconneur. Une maladie contractée très jeune par Richard March, aujourd’hui dissimulé sous le pseudonyme de Barry Island alors qu’il y a dix ans, on avait déjà interviewé le même homme, répondant alors au sobriquet de Richard Poppie. Car sous ses airs juvéniles, son sourire de voleur de confitures, Richard March n’est pas tombé de la dernière pluie acide : il fut, dans les années 80, l’un des maîtres d’oeuvre des efforts de paix et des négociations entre rock et dance au sein de Pop Will Eat Itself. A l’en croire aujourd’hui, il fut même celui que les journaux télévisés appellent « l’artisan de la paix » pour décrire ces habiles cuisiniers qui font avaler des couleuvres. « Les échos et les boucles, c’est nous qui avons inventé ça. A l’époque, seuls des mecs comme Rick Wakeman pouvaient se payer un sampler. Alors le sampler, je l’ai fait tout seul, avec mes mains. » Difficile, aujourd’hui, d’évoquer la bêtise hilare et l’écriture parfois renversante de Pop Will Eat Itself devant Bentley Rhythm Ace. Car immédiatement, son associé Mike Stokes menace de parler, lui aussi, de son ancien métier, d’évoquer les souvenirs glorieux de la camaraderie virile qui unit les hommes en tournée, à l’arrière du camion. Car Mike, avant d’être pris en stop par Bentley Rhythm Ace, avait beaucoup vécu à l’arrière du camion. Avec un seau et une pelle : il était cantonnier.
Quand on demande au duo l’acte fondateur de leur amitié, on sent approcher une zone de turbulences et de trous noirs où l’un et l’autre n’ont aucune envie de replonger. « Je passais des disques psychédéliques dans une soirée et il est venu me dire que ça lui plaisait, se souvient Mike. On s’en serait presque embrassés, tellement on se sentait seuls à l’époque. »
On saura juste que la musique aura une nouvelle fois sauvé la vie d’un homme ici, sous la forme d’une correspondance sur cassette, où se dessine un rêve flou, obsessif : faire fondre sa discothèque en un feu de joie, histoire de voir couler dans un même magma Burt Bacharach et le Wu-Tang, les derniers développements du groove anglais et les plus infâmes déchets de la musique honteuse, achetée au kilo dans des brocantes paroissiales. Pas chien, Bentley Rhythm Ace se souviendra avec tendresse de ces vinyles dénichés pour quelques pièces jaunes aux puces, sur un Return of the hardcore jumble carbootechnodisco roadshow aux références aussi douteuses que poilantes. C’est précisément de cette époque de flou existentiel que date l’album du groupe. Enregistré à d’uniques fins personnelles, mixé dans une chambre sur des haut-parleurs arrachés à une voiture, sans autre ambition que de tuer le temps, il s’offrira, sans le moindre relifting, sans le moindre ébarbage, une bien curieuse promenade de santé dans les charts anglais une année plus tard. On n’avait pas vu ça depuis le triomphe juste de Natural one, l’hymne malingre de Folk Implosion, dans les charts américains : la lo-fi venant narguer la hi-fi, les gueux venant pousser les boeufs vers la sortie. Grand moment de plaisir que d’entendre le groove décalqué et Fisher Price de Bentley’s gonna sort you out en lieu et place de Ma chandelle est morte, l’Elton Connerie de rigueur. Grande joie que de croiser, sur un même disque, les notes de synthé rigolardes de Funkytown et les beats lourds et noirs des Propellerheads, le funk cossard et affectueux de De La Soul et les pilonnages rythmiques de Trouble Funk, des mélodies dignes des Schtroumpfs et un jazz-funk à rendre liquides les sous-pulls acrylique de Starsky & Hutch. Comme avec les Chemical Brothers jouant aux imbéciles heureux, on ne croit bien entendu pas Bentley Rhythm Ace quand le groupe convoque le hasard, une collision accidentelle au secours de son fascinant fatras. C’est bien connu, les cancres n’aiment pas qu’on raconte qu’ils ont bien fait leurs devoirs. « Notre problème, c’est que nous ne sommes pas très sérieux. Même enregistrer finit par ressembler à un jeu. C’est comme le Tetris : on empile au hasard des sons, des samples, on tasse tout ça et ça finit par faire des lignes. De toute façon, on ne pouvait rien calculer, rien planifier : nous sommes trop stupides pour ça. »
Difficile de parler du groove paillard et sans souci de Bentley Rhythm Ace sans évoquer le label Skint, maison mère d’un bouillonnement appelé à submerger l’Angleterre cet hiver. Car derrière le duo de Birmingham, la boutique de Brighton possède un stock à la diversité et à la richesse assez humiliantes pour la concurrence : de Fatboy Slim aux fantastiques Lo-Fidelity All Stars (que ceux qui pensent encore que la techno a les chocottes de la scène viennent se frotter au chaos de ces hooligans), un futur serein de la dance anglaise se bricole ici même, dans l’échoppe de Damian Harris. Un fouineur à la définition de dance-music suffisamment large et tolérante pour que beaucoup voient en lui un Alan McGee pour le prochain millénaire comme l’Ecossais rouquin, Harris profite scandaleusement de sa position de patron pour sortir sur son label ses propres disques, sous le nom de code de General Midfield. Il décrivait récemment en ces termes ad hoc la composition de son équipe : « Moi, je suis l’arrière, le type solide de l’équipe. Fatboy Slim est notre butteur flambeur. Les Lo-Fidelity All Stars sont nos ailiers indomptables et les Bentleys… Eh bien, les Bentleys ont été prêtés à un autre club. » Car Skint, tout comme Creation, a dû ouvrir largement son capital au grand capital pour assurer sa survie. Désormais distribué par EMI, le label continue pourtant de fonctionner à l’instinct, au coup de foudre et au coup de gueule : alors qu’il aurait aisément pu s’assurer une rente à vie en reposant grassement sur son invention le big-beat, né ici , il est déjà parti fouiner ailleurs. Laissant à l’industrie lourde la charogne d’un mouvement mort-né, déjà faisandé, qu’elle ne manquera pourtant pas de se disputer férocement. « Dans quelques mois, le marché sera totalement envahi par des disques de big-beat à chier », prévoit Harris. On peut compter sur Bentley Rhythm Ace, hyène rieuse sous ses airs de panda, pour ne jamais se laisser ainsi mettre en cage dorée. « Personne, autour de nous, ne se rapproche de ce côté vaudeville. C’est autant du cabaret que de la techno. Nous faisons des bruits crétins, autorisons au ridicule le droit de monter sur scène. »
Il faut avoir vu ce groupe en concert pour apprécier le gouffre qui le sépare des esthètes austères de la néo-cold-wave, des forçats de l’étiquette « intelligent » à toutes les sauces comme si l’intelligence, que ce soit intelligent-techno ou intelligent-jungle, était une autopromotion, un titre qui s’achète comme la Légion d’honneur. « Au départ, la dance-music underground n’avait d’autre but que de faire danser. Et puis, petit à petit, on a essayé d’en faire une subdivision de l’art contemporain, on a tout intellectualisé alors que l’esprit même de l’acid-house était de sortir les disques les plus idiots possible. J’avais déjà le problème avec Pop Will Eat Itself, avec la prétention et le sérieux du rock indé d’alors. Toute ma vie, j’ai été pourchassé par les peine-à-jouir. » Avec ses barbes postiches, sa teuf-teuf en carton-pâte, sa techno festive et son carnaval d’absurdités, Bentley Rhythm Ace offre ainsi un parfait antidote au jus de cervelle servi par Photek ou Pressure Drop l’un et l’autre aussi jouissifs, comme peuvent parfois être très voisins la fête et la tête. Leur meilleur single en date l’affirme : Bentley’s gonna sort you out (« Bentley va vous soigner, vous sortir de là »). Ça s’appelle la médecine douce-dingue.
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