Sur un premier album neuf et fringant, les Gallois de Super Furry Animals déroulent une musiqueà la facilité trompeuse. Accouché dans la douleur, entre désolation sociale et dérives alcooliques, Fuzzy logic révèle avant tout l’at tachante éloquence du chanteur Gruff Rhys.
Parfois, je peux être un formidable loser. Je suis le roi pour gâcher les occasions de briller. Encore récemment, pour notre premier passage en France, nous avons trouvé le moyen de donner le plus mauvais concert de notre carrière, précisément le soir où tout le monde nous attendait et où le show était diffusé sur une radio nationale. Dans la vie, je n’ai jamais réussi à concentrer mes efforts, à m’appliquer jusqu’au bout. Je peux être parfaitement motivé et puis me mettre à boire comme un trou et tout faire échouer parce que je suis bourré. Au pays de Galles, l’alcool fait partie de notre culture, même si cette passion pour la boisson n’est pas toujours revendiquée et si une partie du pays n’est pas très à l’aise avec sa réputation. Moi, elle ne me pose aucun problème. J’ai grandi une bouteille de bière à la main, comme tous les gamins de ma génération. L’alcool est devenu une partie importante de ma vie à l’âge de 13 ans, simplement parce qu’il n’y avait rien d’excitant à faire là où j’habitais. Il n’y avait pas de clubs, pas de salles de concerts, seulement quelques pubs. Je viens du nord du pays de Galles, près de la mer d’Irlande : là-bas, même Cardiff paraît loin. Alors boire, c’est une occupation comme une autre, un truc pour tuer le temps, une activité par défaut. On commence avec du cidre gallois qui est très sombre et assez alcoolisé , puis ensuite, c’est la dégringolade : bière, gin, whisky. Au pays de Galles, la consommation d’alcool chez les adolescents reste un sujet tabou. Le plus souvent, les parents préfèrent fermer les yeux, ils n’osent pas affronter le problème, incapables d’en discuter avec leurs gamins. Alors peu à peu, discrètement, l’alcool s’installe. C’est ce qui s’est passé dans mon cas, comme chez tous mes copains. Mais bon, de toute façon, je n’ai aucune leçon à recevoir de mes parents sur ce sujet : ils boivent encore plus que moi.
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J’ai 25 ans mais j’ai probablement le foie d’un type de 50 ans. Je bois tous les jours, sans exception. Je me réveille parfois bourré de la veille, surtout lorsque nous sommes en tournée avec le groupe. C’est à la fois une réalité qui me déprime et l’une de mes seules sources d’amusement dans la vie, avec le rock d’ailleurs les deux sont intimement liés. Quand j’étais adolescent, ma seule occupation était de former des groupes, j’ai dû en avoir quatre ou cinq successifs. Et lorsque nous décrochions un contrat pour un concert, alors c’était forcément pour jouer dans un pub et la soirée se terminait forcément au bar, avec quelques bouteilles d’alcool offertes par le patron. Il n’y avait aucun moyen d’échapper à la spirale de la boisson ou alors il fallait renoncer à toute vie sociale. Quand je suis devenu majeur, je suis parti m’installer à Cardiff, en même temps que tous mes potes de mon âge, mais ce déménagement n’a pas changé grand-chose à ma vie. Les vingt copains buveurs que nous étions à Bangor ont reconstruit le même univers claustrophobe à Cardiff. Nous avons retrouvé les mêmes habitudes, les mêmes tics de consommateurs. Même si je n’ai rien d’un nationaliste extrémiste, je me suis toujours retrouvé à boire avec des gens qui avaient la même langue d’origine que moi. C’est vers eux que je me suis toujours dirigé en premier. Au sein de Super Furry Animals, nous parlons toujours en gallois, c’est notre langue maternelle. L’anglais ne nous sert qu’à communiquer avec l’extérieur. Avec le gallois, on se serre les coudes, on partage un même héritage. A ce jour, il y a environ un demi-million de personnes pour qui le gallois est la première langue. Nous ne sommes pas exactement une race en voie de disparition.
J’ai gardé un petit dictionnaire franco-gallois. Il est avec mes affaires de classe, dans un tiroir chez mes parents. J’aimais bien étudier votre langue, mais je n’étais pas très doué pour les disciplines académiques. A l’école, la moitié des cours était en gallois, l’autre moitié en anglais. Et pourtant, le gouvernement britannique refuse toujours de considérer le gallois comme une seconde langue officielle pour cette partie du Royaume. Londres ne tient aucun compte des particularités régionales, se moque totalement des Gallois, des Ecossais, des Irlandais. Refuser de reconnaître les spécificités culturelles d’une région constitue un acte politique lourd : c’est une façon de signifier que le pouvoir central fonctionne toujours sur le mode colonialiste. Personnellement, il y a longtemps que je ne supporte plus l’arrogance des Anglais. En Grande-Bretagne, il n’y a aucune représentation politique proportionnelle, alors les gens n’ont plus envie de s’impliquer en politique. Ça fait des années que l’immense majorité des Gallois vote pour le parti travailliste, mais à Londres ce sont toujours les mêmes ringards de droite qui gouvernent. Franchement, il y a de quoi se décourager.
Le manager de Super Furry Animals vient de passer six mois en prison pour avoir saccagé des bureaux gouvernementaux, à Cardiff. Il appartient à une organisation non violente qui réclame l’installation de panneaux de signalisation et de plaques de rue en gallois, mais devant le mépris des membres du gouvernement, il n’a pas eu d’autre recours que de frapper un grand coup. Au tribunal, il a exigé d’être jugé en gallois et il a obtenu gain de cause. Ça lui a coûté six mois de sa vie mais il a fait avancer la cause galloise. Avec Super Furry Animals, la lutte est plus subtile. Nous ne pouvons pas nous permettre d’imposer le gallois comme langage unique pour nos chansons, ce serait un choix absurde et gagne-petit. Le vrai combat pour la reconnaissance de notre culture, il se joue à Newcastle, à Londres, à Liverpool, lorsque nous donnons des concerts en anglais, accessibles à tous et que nous racontons notre vision de ce qu’est le pays de Galles en 1996. C’est pour nous le seul moyen d’échapper aux vieux clichés qui circulent sur notre compte : les Gallois sont grognons, ils bossent tous à la mine et jouent au rugby après le boulot. Nous avons beaucoup d’admiration pour le travail de Gorky’s Zygotic Mynci (groupe gallois qui chante presque exclusivement en gallois) : ce sont des mélodistes fantastiques, mais je ne suis pas sûr qu’ils aient adopté la meilleure attitude possible. En se cantonnant à leur langue maternelle, ils deviennent la cible de ceux qui pensent déjà que les Gallois forment un peuple têtu et rétrograde. Je suis très conscient de la chance que j’ai de pouvoir parler deux langues : me limiter au gallois serait franchement barbant. Moi, j’aimerais parler français, allemand, italien, russe. Je me sens profondément européen, comme la majorité des gens de mon pays. Dans le rock anglais actuel, il y a un retour au nationalisme qui m’effraie de plus en plus. Il y a une flopée de groupes qui sont réellement persuadés qu’il existe un lien entre le lieu de naissance et le talent artistique. « Nous sommes anglais donc nous sommes géniaux. » Cette façon de penser me fout la trouille.
J’ai grandi dans un milieu pauvre, sans aucun espoir auquel me raccrocher. Dans ma région, il n’y a pas de classe sociale moyenne ou supérieure : tout le monde appartient à la classe ouvrière. Il n’y a donc pas de modèle de réussite, aucun exemple à suivre. Au mieux, on devient médecin ou fonctionnaire. Les gens se contentent de suivre le cours banal de leur vie. Ils n’ont aucune attente, aucun besoin. Ils sont résignés, mais dans un sens plutôt positif, se contentant de ce qu’ils ont, simplement heureux d’être en bonne santé. Réussir à s’arracher de ce milieu par la musique nous a donc demandé beaucoup de boulot et de courage. Il faut être sacrément obstiné pour décrocher un concert à Cardiff, encore plus pour traverser la frontière et aller jouer à Bristol. Quant à Londres, le voyage nous a longtemps paru impossible… Au départ, tout le monde nous disait que nous n’y arriverions jamais, mais nous avions la foi. Nous sommes arrivés à Londres avec la rage au ventre, bien décidés à ne pas nous laisser marcher sur les pieds. Lorsque nous avons rencontré des journalistes anglais pour la première fois, nous avons été très clairs avec eux. « Bonjour, messieurs. Nous sommes gallois et fiers de l’être, mais si vous débitez les conneries habituelles au sujet de notre pays, on vous pète les deux jambes. Le premier qui écrit que nous sommes des bouseux aura des comptes à nous rendre. » Et depuis cette petite mise au point initiale, tout va bien : personne n’a encore osé écrire que les Gallois se tapaient des moutons.
Fuzzy logic (Creation/Sony)
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