Ayant fui devant les blindés de Bachar al-Assad, Hakim organise depuis un an une base arrière au Liban. Trafic d’armes, évacuation de blessés à la frontière, incitation à la désertion, le jeune Syrien de 27 ans raconte son quotidien.
Avec sa barbe de trois jours soigneusement taillée, son jean usé, sa coupe démodée et son teint hâlé, Hakim* ressemble à n’importe quel autre réfugié syrien. Assis en tailleur, il déchire un morceau de pita et plonge ses doigts dans un caviar d’aubergine cuisiné par sa mère. Pesant chaque mot, il détaille la manière dont il encourage la révolution syrienne. Installés au Liban depuis un an, Hakim et sa famille ont trouvé refuge dans une école. Ils vivent à neuf dans une pièce de 20 mètres carrés. A part quelques ustensiles de cuisine, un réfrigérateur et des matelas entassés derrière un rideau, la pièce est dépourvue de meubles. Elle sert de séjour et de dortoir. Seuls les murs bleu turquoise semblent combler le vide.
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En mai 2011, le jeune homme de 27 ans fuit la Syrie et abandonne les barricades pour un tout autre combat. Désormais, il officie comme relais à l’Armée syrienne libre (ASL) et soutient la révolution de l’extérieur. Avec le temps, il a “diversifié ses activités” et “développé son réseau”. Hakim est un opposant de l’ombre, un maillon d’une chaîne bien organisée. Les détails sur la mission qui lui est assignée sont difficiles à obtenir. Il faut parlementer, négocier chaque information et promettre de ne pas indiquer l’endroit où il se trouve. L’entretien attise la curiosité. Les allées et venues se multiplient, les plus âgés surveillent ses propos.
Depuis huit mois qu’il collabore avec l’Armée syrienne libre, Hakim en est devenu un homme à tout faire. Il encourage la désertion des soldats de l’armée syrienne, récupère les blessés à la frontière, incite les journalistes à entrer en Syrie et encourage le trafic d’armes. Il dit ne pas “regretter” les combats auxquels il a participé dès les premiers mois de la crise syrienne. La bataille de Tall Kalakh, une ville située à quelques kilomètres de la frontière libanaise, sera son dernier combat sur le sol syrien. N’ayant pas les moyens de s’acheter une kalachnikov, qui à l’époque coûte déjà 2 000 dollars, il opte pour une carabine à 500 dollars et pioche dans ses économies pour se l’offrir. Mais, les blindés de l’armée s’avèrent plus forts. Il est contraint de fuir le pays et parvient péniblement à rejoindre le Liban.
« Je sais exactement de quoi le régime est capable »
Quelques jours après son arrivée, il est arrêté par l’armée libanaise. Pendant ses quarante jours de détention, les soldats le menacent de le livrer aux autorités syriennes s’il refuse de se mettre à table.
“Pour moi, c’était inimaginable de retourner là-bas. Je savais exactement qui avait brûlé les chars, qui avait tué des soldats, explique-t-il. Avec tous les morts que j’ai vus, je sais exactement de quoi le régime est capable.”
L’armée libanaise ne réussit pas à mettre la main sur ses armes, le jeune homme continue de ne rien lâcher. Il profite même d’un soutien politique du Mouvement du 14 mars – coalition libanaise prooccidentale qui souhaite la chute de Bachar al-Assad. “Le fait d’être libre me prouvait que je pouvais continuer à encourager la révolution”, confie-t-il entre deux bouffées de narguilé à la fraise.
Son premier objectif : encourager les désertions. Sa méthode est rodée. Il prend contact avec des habitants de sa région, en priorité des commerçants. Ils doivent alors discuter avec les soldats et leur parler des exactions commises par le régime pour les inciter à quitter les rangs de l’armée. Au Liban, Hakim parfait la campagne de communication. Depuis maintenant trois mois, l’ASL lui envoie des vidéos de propagande qu’il a appris à monter sur un téléphone portable dernier cri. On y voit des soldats de l’ASL perchés sur des Jeep, victorieux et fiers de défendre la révolution, le tout sur fond de chant patriotique.
Hakim affiche une mine satisfaite quand il montre le fruit de son travail. Il enchaîne les vidéos. Certaines sont d’une extrême violence, d’autres soulèvent des interrogations. Sur l’une d’entre elles, on devine une scène de combat entre l’armée et des rebelles, mais le cadrage ne permet pas de distinguer le moindre soldat de l’armée régulière. Peu importe, Hakim est persuadé que ces vidéos “donnent du courage aux soldats”. Il n’apprécie pas que l’on insiste sur la fidélité “exemplaire” de l’armée syrienne au régime. Pour lui, ces vidéos sont utiles et les “nombreuses désertions” isolent toujours plus Bachar al-Assad. Une fois achevées, les vidéos sont envoyées en Syrie et diffusées auprès des soldats.
« J’ai grandi dans la peur du régime »
L’opposant a également pour mission d’inciter et d’aider les journalistes – surtout étrangers – à passer en Syrie. “La bataille de l’image est aussi importante que la bataille par les armes”, insiste-t-il. Mais depuis la mort de Rémy Ochlik et Marie Colvin, beaucoup refusent de passer la frontière. Dans ce cas, Hakim embarque parfois les caméras et les fait passer pendant quelques heures en Syrie. “Aujourd’hui, je sais à quel journaliste il faut dire quoi”, lance-t-il d’un ton naturel. Pour certains, il n’est donc qu’un simple réfugié, pour d’autres, un opposant actif.
En un an, Hakim est passé du statut de petit-électricien-de- quartier-sans-problème à un révolutionnaire aguerri. Il paraît avoir été programmé pour endosser ce rôle.
“J’ai grandi dans la peur du régime. Chez nous, même les murs avaient des oreilles”, dit-il.
Il parle de son enfance et entonne le jingle de Houna London (Ici Londres), la BBC en langue arabe, qui, contrairement aux médias officiels, symbolisait, à l’époque, l’information indépendante. “On n’osait pas monter le son, de peur que les voisins entendent”, se souvient-il.
Hakim considère que son histoire familiale a influencé ses choix. En 1982, son oncle, alors soldat, refuse de participer à ce qu’on appelle aujourd’hui “le massacre de Hama”. Il est expulsé de l’armée et jugé sympathisant des Frères musulmans. La famille est alors étiquetée “ennemie du régime”. “Je n’ai jamais digéré ce massacre. Cette révolution constitue d’une certaine manière une revanche.”
Explosion du prix des armes
Et cette revanche passe surtout par les armes. Hakim s’occupe d’établir le contact entre les “forces mortes” et l’Armée syrienne libre. Il fait en sorte que les populations civiles puissent recevoir des armes. Il laisse entendre qu’il réceptionne également les cargaisons. “Comme j’ai fait mon service militaire, je sais reconnaître une arme de qualité”, se vante-t-il, avant d’énumérer plusieurs bévues. La dernière en date concerne une livraison de roquettes. Envoyée à Qousseir, une ville proche de Homs, la marchandise s’est révélée inexploitable. Les réservoirs étaient remplis de grains de riz. Pour Hakim, c’est un “sabotage des forces pro-régime”. Ou cette autre histoire de roquettes, où sur une commande de deux cents, seules huit ont fonctionné. A 700 dollars pièce, la perte financière n’est pas négligeable.
Depuis le début de la crise syrienne, le prix des armes a explosé. La roquette serait donc passée de 100 à 700 dollars et la kalachnikov de 800 à 2 500 dollars. Hakim assure que “la plupart des armes proviennent de Libye”. Même s’il refuse de détailler les sources de financement et les pays qui contribuent à ce trafic, il finit pas confirmer que la Tunisie, la Libye, la Jordanie et la France y participent. Et lorsqu’on lui demande s’il a eu affaire à des membres de la DGSE (Direction générale des services extérieurs), l’opposant sourit pour la première fois et clôt la discussion par un “khalas” – “ça suffit”, en arabe.
Ses propos résonnent avec la dernière déclaration du président libanais Michel Sleiman. Il y a une semaine, le chef d’Etat expliquait son refus que le Liban devienne une “base militaire contre la Syrie”. Une déclaration tout à fait positive pour Hakim. “Officiellement, il n’y a que des réfugiés qui ont besoin d’aide et c’est très bien comme ça.”
Murielle Lafont, photo Aimée Thirion
*Le prénom a été modifié
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