Remarqué coup sur coup dans l’épatant En avoir (ou pas) de Laetitia Masson et dans N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois, Roschdy Zem est en train d’imposer sa vitalité gouailleuse et son aisance naturelle devant la caméra.
Si on me critiquait comme vous avez critiqué Beauvois dans votre article, je le prendrais sur un plan personnel. C’est au risque et péril de tout journaliste de m’insulter sur papier glacé. Jusqu’à un certain point, un journaliste peut dire ce qu’il veut, c’est le principe de la liberté de la presse. Mais les mecs qui écrivent des papiers assassins ne se rendent pas compte du mal qu’ils peuvent faire à certaines personnes : Beauvois n’en est pas encore au stade où il n’en a rien à foutre. Là, il a été d’autant plus blessé que le papier est paru dans un journal qu’il aime. Quand tu bosses sur un projet pendant trois ans et que tu te fais démolir en dix lignes, ça fait mal. C’est méchant et gratuit. Le ton de ce papier, on aurait pu l’admettre dans Charlie Hebdo ou Le Canard qui sont des journaux satiriques ; mais chez vous, c’est pas le genre habituel de la maison. Cela dit, quand vous citez Bourvil, j’aimerais bien faire la carrière et les chiffres d’entrées de Bourvil (rires)…
Devenir acteur n’était pas une vocation de jeunesse. J’ai grandi à Bobigny : dans ce coin-là, si tu dis que tu veux devenir acteur, tout le monde se fout de ta gueule. Selon nous, il fallait être fils de producteur ou de cinéaste pour devenir acteur, c’était inaccessible, il y avait une barrière sociale. Au début, le cinéma était une simple distraction. Puis, avec des mecs comme Dewaere, je me suis intéressé au jeu des acteurs et je suis devenu cinéphile vers 16 ans. Avec un pote, on allait à la bibliothèque pour sortir des bouquins de cinéma ; on faisait des jeux – reconnaître un film au moyen d’une image, des trucs comme ça… Je me suis retrouvé dans le métier vraiment par hasard. J’avais 20 balais, pas de diplôme, pas de travail, j’étais même pas délinquant, je foutais rien. J’étais inculte et paresseux. Puis j’ai rencontré une fille qui prenait des cours de théâtre et qui m’a proposé de la rejoindre. Je suis resté deux ans dans cette école qui n’existe plus, l’école Joséphine B. J’ai appris un peu à me comporter, à maîtriser mon corps, à être à l’aise avec le texte… Ensuite, j’ai joué dans quelques spectacles, mais tout ça était très épisodique. Puis, par hasard, j’ai rencontré un assistant de Téchiné qui m’a fait passer un casting pour J’embrasse pas. Ce film m’a permis de m’incruster dans le métier dans la mesure où j’ai eu un agent, ce qui m’a permis de bosser à la télé. Sans être connu, je devenais comédien à plein temps. Quand j’ai rencontré Beauvois, Téchiné avait tellement fait ma pub que j’ai décroché le rôle d’Omar (rires)… Le mec prévu pour ce rôle venait d’être viré – Beauvois avait fait l’erreur de prendre un vrai toxico. J’ai préparé ce rôle à l’instinct parce que je ne voulais pas faire un truc trop caricatural. Il n’y a que pour la longue scène de la pipe de coke que j’ai observé un vrai toxico sur une vidéo. J’ai vraiment étudié en détail le comportement du mec, mais je l’ai joué en dessous de la réalité pour que ça ne paraisse pas trop exagéré.
Jouir du présent sans trop se prendre la tête sur l’avenir : je ressemble un peu à mes deux personnages, surtout à Joseph d’En avoir (ou pas). Il a quelques points communs avec le Omar de N’oublie pas que tu vas mourir: la vitalité, l’opportunisme. Ce sont deux types qui vivent dans le temps présent. Mais Joseph est sain alors qu’Omar est quand même malade de sa toxicomanie. La chance que j’ai eue avec Xavier Beauvois et Laetitia Masson, c’est qu’on est d’abord de la même génération. Tous les deux dirigent les acteurs en douceur, sans coups de gueule. Laetitia est hyper modeste, comme si elle n’avait pas conscience de ses qualités. Au contraire, Xavier en est complètement conscient. Il a un côté schizophrène, c’est pour ça qu’il fait aussi Facteur. Laetitia est pudique, alors que Xavier est plutôt exhibitionniste et narcissique. La direction de Beauvois est basée sur la complicité. Il m’a dit « Fais-moi confiance, ne te regarde pas, ne vérifie pas si tu es bien coiffé… « On a une liberté mais on ne s’en sert pas : on dit exactement le texte. Laetitia te donne le texte et si le texte ne te plaît pas, tu peux dire autre chose. La scène où je rejoins mon pote et où je lui dis que je me suis fait une nana, elle n’était pas du tout écrite et Laetitia ne savait pas du tout ce que j’allais dire : elle m’a fait confiance, m’a dit « Raconte une histoire. » Laetitia et Xavier font plus confiance à l’acteur qu’au scénario, ils acceptent que le texte soit parfois dépassé par la nature de l’acteur et des événements. Pour un acteur, c’est très agréable.
Garrel, c’était spécial – je viens de tourner Le C’ur fantôme avec lui. Il tourne tout en temps réel. Si la scène se passe à minuit, il va la tourner à minuit. A minuit cinq, c’est fini, et si la scène suivante se passe le lendemain, il va la tourner le lendemain. S’il y a un dialogue entre une personne au quatrième étage et une autre dans la rue, Garrel va faire des allers-retours avec sa caméra. Il déteste les manipulations au montage. J’ai fait dans la foulée Mémoire d’un jeune con de Patrick Aurignac et La Petite Lola de Yolande Zauberman, où j’ai la chance d’avoir Béatrice Dalle comme femme et Elodie Bouchez comme maîtresse.
De La Haine à Etat des lieux, j’ai vu tous les films sur la banlieue: il y a des passages où tu la reconnais, mais seulement des passages. La banlieue, c’est pas des émeutes, c’est des journées à ne rien foutre. Les mecs qui volent des voitures sont toujours minoritaires et, généralement, ils ne sont pas aimés par les autres parce qu’ils foutent la merde dans la cité. La banlieue, c’est l’ennui total, la glande. C’est pour ça que j’aimais les cours de théâtre, ça me permettait de rencontrer des gens qui n’avaient rien à voir avec le milieu de la banlieue. Au lieu de « Tiens, on va boire un demi ou fumer un joint dans la cave », c’était « Tiens, on va chez moi répéter Sam Sheppard ». Au départ, c’était comme une thérapie. Je suis resté au cours de théâtre pour changer d’environnement, par curiosité… Puis à cause des nanas (rires)… Parce qu’en banlieue, tu passes ton temps à te branler, dans tous les sens du terme.
J’espère que bientôt on me donnera des scénarios qui commenceront par « C’est l’histoire d’un homme ». Mais ça vient : dans En avoir (ou pas), mon rôle n’est pas déterminé par mes origines. En tant qu’acteur, je comprends qu’un Vincent Cassel fasse un rôle de loub banlieusard : vu son milieu, un rôle comme ça est un cadeau pour lui. Pour moi, ça n’est pas du tout intéressant. Ce qui m’intéresse est de jouer des personnages que je ne suis pas. Ça fait maintenant dix ans que je tourne dans ce métier. Au début, sur les scénarios qu’on me proposait, il y avait marqué « rôle de l’émigré ». Aujourd’hui, on met « rôle du beur ». Moi, je ne me sens ni beur ni émigré. Je n’ai pas envie d’être enfermé dans les histoires de marginaux maghrébins. J’ai eu la chance de commencer avec Téchiné, ce qui m’a permis de m’intégrer dans une famille d’auteurs. Si j’avais débuté avec Zidi, ça m’aurait sans doute aiguillé vers une autre famille. Au début, c’est la chance. Après, ça devient un choix.