Le psychanalyste Pascal Herlem recompose la vie de sa sœur aînée, lobotomisée à 14 ans. Un récit bouleversant de sobriété.
D’abord, elle n’a pas de nom. Dans la première partie du livre, elle est réduite à deux mots : “la sœur”. Une entité impersonnelle, flottante comme un fantôme. Un être absent, mais dont l’absence même est envahissante, obsédante. Il y a sa chambre vide, comme un sépulcre ; la bague du père, “crypte portative”, dans laquelle est enclose une photo de cette sœur dont on nie l’existence, reléguée dans les limbes du secret et des non-dits, soustraite à sa propre famille comme on lui a soustrait une part d’elle-même. A 14 ans, au début des années 50, la sœur de Pascal Herlem a subi une lobotomie. Sans justification médicale. Simplement parce que sa mère, femme dictatoriale, en a décidé ainsi, afin de rendre docile cette enfant difficile. Un geste d’une violence inouïe. “Un massacre.” “Le 21 juin 1952, une intégrité cérébrale prend fin, une identité aussi”, note l’auteur.
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Dans La Sœur, récit bouleversant mais tenu, tendu, d’un bout à l’autre – écriture épurée et colère blanche –, ce psychanalyste, auteur d’essais sur Raymond Queneau et Jean Echenoz, part sur les traces de cette sœur, Françoise, pour lui redonner corps et vie, l’arracher au silence en mettant enfin des mots sur son “drame censuré”. Il replonge dans les eaux troubles du passé et dans les carnets de sa mère pour assembler les fragments d’une existence amputée, sacrifiée. Fillette agressive, sujette à des crises d’épilepsie, considérée comme dangereuse pour son petit frère – Pascal – qui vient de naître, Françoise est d’abord placée, à 12 ans, dans un couvent. Mais son caractère ne s’adoucit pas et la puberté n’arrange rien. Alors vient la solution radicale : la lobotomie – finalement interdite en 1954 en France –, que Pascal Herlem relate dans des termes cliniques qui n’atténuent en rien l’effroi. Celui qu’il a éprouvé et celui que ressent le lecteur.
Toute sa vie, Françoise errera d’institution en institution. Toujours à l’écart du monde, jusqu’à sa mort en 2014. Herlem réécrit son roman familial en remettant au centre celle qui en a été exclue. La Sœur n’est pas un tombeau mais au contraire une magnifique entreprise de réparation qui interroge aussi la place de ceux que la société juge indésirables. Tous ceux que l’on préfère ne pas voir parce qu’ils nous renvoient une image de nous-mêmes qui nous angoisse et nous pétrifie.
La Sœur (Gallimard), 128 pages, 13,90 €
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