A Los Angeles, l’artiste français Vincent Lamouroux repeint entièrement en blanc un motel menacé de destruction. Visible à partir du 26 avril, son geste fait écho à une pratique entre land art et street art, où les artistes font du monochrome un piratage du réel. Morceaux choisis.
Une ville portuaire industrielle au nord de l’Italie, peut-être Gênes, peut-être pas, un décor morne où le brouillard ne se dissipe jamais : voilà le cadre du film Le Désert Rouge (1964) de Michelangelo Antonioni, dans lequel les personnages – Giuliana, Corrado, un marin sans nom – errent et grelotent dans un hiver perpétuel. Sans soleil et sans rêves, le paysage exsangue est à l’image de leur vie intérieure. D’où l’importance, pour le cinéaste, de truquer le réel afin d’obtenir l’effet adéquat. D’où également cette folle anecdote, avérée et attestée, qui raconte qu’il aurait, de nuit, fait repeindre par ses assistantes les arbres, les bosquet et une rue entière en blanc et en gris.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un motel repeint en blanc pour protester contre la gentrification
Changement de décor. Nous sommes à Los Angeles, dans le quartier branché de Silver Lake, par une belle journée de printemps. Le ciel est bleu, sans aucun nuage, et la luminosité aveuglante. Au point de faire paraître blanc le Bates Motel, un établissement quelque peu interlope situé au croisement du Sunset Boulevard et de la Bates Avenue. Sauf qu’en se rapprochant, on se rend compte qu’il l’est bel et bien, blanc. Et les palmier et panneaux d’affichages autour de lui, blancs également.
Une intervention que l’on doit à l’artiste français Vincent Lamouroux, qui depuis le 20 avril recouvre le bâtiment de peinture à la chaux de couleur blanche (la chaux est biodégradable et sans risque pour l’environnement, nous rappelle-t-on). Le Bates Motel, dans un état de délabrement avancé, plus populaire auprès des squatters que des touristes, avait à plusieurs reprises fait l’objet de pétitions visant le faire démolir, symptomatique en cela d’un quartier en pleine gentrification, où les hôtels de luxe, restaurants et clubs haut de gamme imposent une rénovation forcée et loin d’être souhaitée par tous.
Dans un communiqué, Vincent Lamouroux annonçait avoir voulu « transformer le motel en fantôme ». Par son caractère éphémère, Projection, le titre qu’il donne à son œuvre, vient désigner ce moment de mutation: à partir du 26 avril, date de l’inauguration, la peinture s’effacera progressivement jusqu’à disparition totale deux semaines plus tard, anticipant ainsi le sort du bâtiment condamné.
Les Buttes Chau(x)mont passées à la chaux
En 2010 déjà, l’artiste blanchissait à la chaux un bosquet du domaine forestier de la Meuse dans le cadre du parcours d’art contemporain Le Vent des Forets. Deux ans plus tard, c’est en plein cœur de Paris qu’il reproduisait son geste, et s’en prenait cette fois à un bosquet du parc des Buttes-Chaumont à l’occasion de la Biennale de Belleville.
La localisation exacte de l’œuvre n’était alors pas dévoilée, et le commissaire de la Biennale, Patrice Joly expliquait :
« Changer le vert pour le blanc, c’est un peu vouloir transformer le plomb en or, cette vieille lune des alchimistes, et contredire l’ordre naturel des choses, des saisons ; c’est aussi s’attaquer à un confort rétinien profondément inscrit dans notre système d’évaluation et de perception de l’espace environnant ».
Pour Mondrian, la nature est trop verte
Son geste résonne avec toute une lignée d’artistes alchimistes chez qui la transfiguration du réel ne s’opère pas sur la toile mais à la surface même des choses. Ainsi Mondrian, dont l’aversion pour le vert, et tout ce qui rappelle la nature, est légendaire, aurait-il fait repeindre en blanc la fleur et la tige d’une fleur en plastique de l’atelier parisien qu’il occupe à Paris dans les années 1920, un atelier légendaire entièrement composé à la manière d’une de ses compositions géométriques rigoureuses.
Des rochers bleus semés aux quatre coins de la planète
Mais c’est surtout à la suite du Land Art, qui émerge dans les années 1960, que le monochrome envoie valser le chevalet et vient se frotter aux choses. A l’image de l’art nomade du français Jean Vérame, qui depuis 1965 fait œuvre d’une obsession : la couleur bleue, dont il vient ponctuer en aplats les paysages du monde entier, repeignant ici un groupe rocheux au milieu du désert, là les galets du lit d’une rivière, depuis le désert du Sinaï jusqu’au canyon d’Amarillo au Texas, en passant par le massif du Tibesti au cœur du Sahara central.
Un monolithe noir dans le centre de Rennes
Plus près de nous, en 2007, Benoît-Marie Moriceau, à l’occasion d’une résidence dans le cadre de l’association rennaise 40m3 Le Château, recouvrait entièrement de peinture noire un hôtel particulier du centre-ville : spectral, inquiétant, le monolithe noir, intitulé Psycho, venait percer le cadastre urbain. Bien qu’immédiatement repérable, le bâtiment se défaisait de sa présence propre, et laissait la place, par ce tour de passe-passe, à une multitude de récits – comme dans le film hitchcockien du même nom, la maison devenait le théâtre fantasmé d’événements dérobés à la vue.
Entre Land Art et street art, ces pratiques font du monochrome un piratage du réel aussi punk que poétique – « un trou dans la vie », dirait l’artiste Robert Smithson, l’un des pionniers du Land Art.
{"type":"Banniere-Basse"}