Kevin Spacey était le mémorable Verbal Kint, ce mélange d’onctuosité et de roubardise qui embobinait tout son monde dans Usual suspects. On le retrouve en pleine forme dans Swimming with sharks, du nouveau venu George Huang. Autoportrait d’un acteur-éponge.
Spencer Tracy et Sam Peckinpah.
Je suis né dans le New Jersey, mais j’ai grandi à Los Angeles. Ma mère était secrétaire, mon père journaliste. Mon amour de l’écriture vient sans doute de ce dernier, mais j’ai aussi eu la chance de tomber sur d’excellents professeurs à l’école qui m’ont fait connaître des écrivains comme Tennessee Williams, Joseph Conrad, et les contes de fées. À 16 ans, j’avais déjà un goût littéraire très affirmé. Je m’intéresse beaucoup aux biographies. Il me semble important de pouvoir observer de manière synthétique la vie de quelqu’un et non pas à travers un ou deux événements. Toute personne est complexe, le problème est de pouvoir exprimer cette complexité. C’est ce qui rend d’ailleurs si fascinant le personnage que j’interprète dans Usual suspects : il présente tellement de facettes que le spectateur s’identifie inévitablement à lui. Je suis une éponge, j’aime m’imprégner de la vie des autres. Gamin, je regardais aussi beaucoup la télé, je me levais la nuit pour voir des films avec Spencer Tracy, Humphrey Bogart ou Henry Fonda. Je fréquentais régulièrement la grande salle du Melody Theatre à Thousand Oaks dans la banlieue de Los Angeles. Je me souviens avoir été terrifié en voyant Les Chiens de paille de Sam Pekinpah.
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Molière et Tchekov.
Je suis allé à New York à 19 ans pour étudier l’art dramatique. J’ai fait du théâtre pendant dix ans, des pièces à Broadway, off-Broadway, d’autres off-off-off-Broadway, dans des régions perdues. J’ai interprété tout le théâtre classique de Molière à Shakespeare, en passant par Tchekov, plus quelques pièces du répertoire moderne. Aujourd’hui, les metteurs en scène avec qui je travaille sont devenus mes professeurs. L’expérience que j’ai vécue avec Bryan Singer est irremplaçable, ce type est le meilleur directeur d’acteurs que j’aie jamais rencontré. J’adore prendre le visage des autres. Je n’ai pas le souvenir d’avoir été moi-même. J’ai mis beaucoup de temps avant d’apprendre mon métier. J’ai l’impression de le maîtriser seulement maintenant.
Henry V et Henry Miller.
Tout le monde rêve de faire du cinéma. Je n’ai commencé à en faire qu’en 1987. Après avoir joué dans une pièce mise en scène par Mike Nichols, je me suis retrouvé avec un rôle dans La Brûlure, son film avec Meryl Streep et Jack Nicholson. J’ai continué avec Working girl et Henry et June. Cela ne m’a pas posé de problème de jouer des petits rôles au cinéma après avoir été une tête d’affiche au théâtre. Là aussi, j’ai commence en bas de l’échelle : mon tout premier rôle sur la scène est celui d’un garde en collant dans Henry V de Shakespeare. J’étais affublé d’une hallebarde, d’un col en dentelle et de charentaises en velours côtelé et, en plus, je ne disais pas un mot. Il ne faut pas rêver, avec la tête que je me paie, je ne peux décemment pas casser la baraque du jour au lendemain. J’ai pourtant décidé après le tournage d’ Henry et June d’en finir avec les seconds rôles au cinéma, Philip Kaufman est un mauvais metteur en scène, fermé, paresseux, antipathique. Alec Baldwin était supposé jouer Henry Miller, mais il est parti deux semaines avant le début du tournage. Kaufman m’a fait venir à Paris en me laissant entendre que j’avais des chances de remplacer Baldwin. Je tournais au même moment à Porto Rico un navet de la pire espèce. Show of force, que Paramount a préféré ne jamais sortir, dans un grand élan de lucidité. Je débarque à Paris dans l’inconnu et là, on m’apprend que c’est Fred Ward qui a décroché le cocotier. Pas de problème, c’est un bon acteur, on me refilé le rôle de son ami. Quant au film, il est ce qu’il est, c’est-à-dire foiré. L’expérience a été si mauvaise que j’ai préféré arrêter les frais au cinéma. Je me suis retrouvé dans une pièce à New York, Lost in Yonkers, et Al Pacino m’y a repéré. Je ne le connais pas, jamais rencontré, seulement vu au cinéma. Il a parlé de moi à Alan Pakula qui est venu me voir et m’a proposé un rôle dans Consenting adults. Et là, ma carrière a enfin pris un tour intéressant.
Matt Dillon et Faye Dunaway.
Je viens de terminer la mise en scène de mon premier film. Je suis actuellement en plein montage. Il y a dedans des réminiscences d’Un Après-midi de chien. C’est encore une histoire d’otages et de gens confrontés au problème de la survie : jusqu’où peut-on aller pour s’en sortir ? La distribution est fantastique : Matt Dillon, Gary Sinise, Viggo Mortensen, FayeDunaway, Joe Mantegna, Emmett Walsh. Il s’agit de l’expérience la plus intense de ma vie professionnelle. Je me vois très bien arrêter ma carrière d’acteur pour me consacrer à la réalisation. Je déteste ma personne, je ne supporte pas que les gens me connaissent. Mon boulot consiste à convaincre un public que vous êtes quelqu’un d’autre, mais plus vous devenez connu, plus cette gageure est difficile à tenir. Sans compter que, trop souvent, on vous cantonne dans le même rôle. Je viens d’interpréter un méchant et l’on m’en propose désormais à la pelle. Je reste encore très impressionné devant les performances d’acteurs qui vous font oublier qu’ils ne sont que les interprètes d’un rôle, surtout ceux que vous prétendez connaître et qui vous surprennent à chaque fois. La mise en scène est un moyen formidable de raconter des histoires tout en restant invisible.
Bryan Singer et Martin Scorsese.
J’ai rencontré Bryan Singer et Christopher McQuarrie lors de la projection de leur premier long métrage officiel. Nous sommes devenus amis immédiatement, un vrai coup de foudre. La façon dont parle Bryan me rappelle celle de Martin Scorsese : une vraie mitraillette qui débite une passion dévorante pour le cinéma. Un an plus tard, Bryan et Christopher m’ont parlé d’un script qu’ils étaient en train d’écrire. Les mois ont passé et ils m’ont remis leur script en me disant qu’il avait été écrit pour moi. Ils ne m’ont pas précisé de quel rôle il s’agissait, me laissant anticiper sur leur choix. J’ai lu le scénario plusieurs fois, j’étais très dérouté par sa complexité et franchement sur le cul devant line telle réussite. En rencontrant Gabriel Byrne à une soirée, je l’ai convaincu de jouer dans le film, son rôle était très difficile à cerner et il fallait absolument un acteur de son talent. Lorsque je revois le film aujourd’hui, je n’arrive toujours pas à comprendre ce que j’ai fait. Il y a plusieurs raisons à cela : je devais jouer un personnage sur plusieurs niveaux, mais je ne tenais pas à connaître dès le départ toutes les facettes de ce personnage. Bryan a souhaité que je ne voie jamais les rushes du film. Je ne savais pas du tout où j’allais, je n’avais pas la moindre idée de ce que faisaient les acteurs qui n’étaient pas dans les mêmes scènes que moi. J’étais un jouet entre les mains de Bryan. Mais cela ne me posait aucun problème, j’ai confiance en lui. Usual suspects est formidable et je crois qu’au bout du compte, c’est un film qui restera.
Kevin Spacey et George Huang.
Je n’ai pas spécialement tenu à revoir les autres films sur Hollywood en me préparant pour le rôle de Buddy Ackermari dans Swimming with sharks de George Huang. Le personnage est assez simple à saisir : c’est une force de la nature. Et si un acteur n’est pas capable de livrer la performance de sa vie, mieux vaut ouvrir un magasin de chaussures. Il s’agit néanmoins d’un rôle piégé : il ne me fallait surtout pas tomber dans la caricature et le cabotinage et donner au personnage une dimension qu’il na pas dans le scénario. J’essaye de rester au service du scénariste au lieu de me servir la soupe. Je suis un acteur de cinéma, pas un chanteur d’opéra.
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