Phénomène sans précédent en Angleterre depuis les Beatles, Oasis a mené le bataillon brit-pop des années 90 et ne s’est jamais rangé des guitares. Avec leur parcours parsemé de turbulences et de coups de gueule, les frères Gallagher se souviennent de la difficulté de grandir dans le nord de l’Angleterre. Avec le rock comme seule issue.
Comment avez-vous vécu cette période où l’on a donné Oasis pour mort ?
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LIAM GALLAGHER : Il fallait un temps mort pour redéfinir qui nous étions, pourquoi nous étions là, pourquoi nous en étions arrivés là. Il fallait se détendre, il y avait trop de concerts, trop de travail. Et là, je me suis peut-être trop détendu, je suis rentré à la maison. Mais il fallait que je rentre en Angleterre. Ilbru nous fal- lait une maison, pour y vivre avec ma femme. On ne peut pas passer six mois de tournée à dormir dans des hôtels pour rentrer à Londres et dormir encore dans un hôtel. Mais moi, je savais qu’Oasis survivrait. Ce groupe est immortel, il est la flamme… Je savais que Noel reviendrait. Ça le tuerait d’abandonner Oasis. Je ne le laisserai jamais crever. Quand il doutait, je lui ai parlé. Je lui ai dit “Noel, souviens-toi, tous nos rêves de gamins, le rock’n’roll.” Je lui ai redonné le désir.
NOEL GALLAGHER : Jouer dans un groupe était progressivement devenu décevant, une corvée. J’étais déçu par le groupe, par notre maison de disques… J’ai vraiment cru que je ne reviendrais jamais à Oasis, que le groupe était enterré. C’est d’ailleurs une idée qui ne m’abandonne jamais : je pense chaque jour à tout arrêter, à me ranger. Je ne veux surtout pas être Mick Jagger, continuer à faire semblant à 55 ans. Je veux me retirer quand Oasis est au sommet. Je suis coincé pour le faire là, tout de suite, mais on verra très vite. L’année dernière, Oasis s’était officieusement séparé, je ne voulais plus jouer dans un groupe de rock’n’roll. Toutes ces histoires d’engueulades entre Liam et moi, c’était du bidon : on s’engueule tout le temps, c’est normal, c’est mon frère. Mais le problème de fond, c’était seulement moi : je ne voulais plus tourner, plus donner d’interviews, plus être pris en photo. Jouer dans Oasis avait tou- jours été un boulot mais là, c’était devenu un boulot à la con.
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T’es-tu fait engueuler par ta mère quand tu as annoncé en avoir assez d’Oasis ?
NOEL : Elle m’a sérieusement remonté les bretelles. Elle ne manque pas une occasion de le faire : “Fiston, tu devrais faire attention, c’est méchant de dire ça.” Un de ses soucis, c’est que je m’occupe bien de Liam. Pourtant, il est grand, il n’est pas aussi con qu’il en a l’air, il peut bien se débrouiller seul.
Quelle importance lui reconnais-tu au sein d’Oasis ?
NOEL : C’est le chanteur. Plutôt excellent dans son boulot. Meilleur chanteur du monde. Dans le meilleur groupe de rock du monde. A part ça, il n’écrit rien et ne joue d’aucun instrument.
Pourtant, le groupe n’existerait pas sans lui. Ça a l’air de t’agacer.
NOEL : Je peux très bien me passer de Liam. Je ferai des disques solo quand ça me chantera. C’est quand même moi qui chante Don’t Look Back in Anger, ce n’est pas rien. Lui, par contre, il ne pourrait pas se passer de moi. Je peux lui dire en face : entre frères, on peut se permettre de dire ces choses qui font très mal.
Te sens-tu parfois prisonnier d’un rôle, obligé d’être à la hauteur de la réputation d’Oasis ?
NOEL : Ce n’est pas du tout un rôle de composition : je suis cool, malin et suave (rires)… Mais on oublie qu’il y a une autre facette de ma personnalité.
Je peux être timide, réservé. Un introverti avec une grande gueule… A la maison, je suis la personne la plus silencieuse et tranquille qui soit.Plutôt maniaque mais paisible. Si, pendant six mois, je n’ai rien à faire pour le groupe, que j’ai rendu mes devoirs, bien écrit mes chansons, je n’arrive pourtant pas à me laisser aller : si je me mets en tête d’accrocher un tableau au mur, ce doit être fait avec précision ou bien ça me rend dingue. C’est comme ça pour tout : je hais le travail bâclé, traiter quoi que ce soit à la légère.
Ça ne doit pas être drôle de vivre avec toi.
NOEL : Je détesterais habiter avec un mec comme moi. Je suis sûr que ma femme se plaint en douce. En fait, je suis vraiment taciturne à la maison. Surtout lorsque j’écris. Là, c’est une dure bataille pour me tirer deux mots. Mais je n’ai même pas à m’excuser : c’est mon boulot, je dois le faire, ça fait totalement partie de moi. Si ma femme entre dans mon bureau et qu’elle me demande “Oh, t’es en train d’écrire, je peux voir”, je ferme mes cahiers et je colle mes mains dessus. Personne n’a le droit de voir avant que ce soit terminé. Les gens seraient-ils surpris de vous voir au quotidien ?
LIAM : Je ne suis pas une boule de nerfs 24 heures sur 24. Je suis atroce- ment normal, plat, anodin… Je suis si normal que ça en est douloureux. Avant, je vivais à la vitesse du son, boum-boum-boum. Mais il a fallu freiner, j’allais claquer. Une nuit, après un concert, je me suis mis à étouffer dans mon sommeil. Je me suis vu en Jimi Hendrix, mort étouffé par son vomi après avoir pris trop de drogues et d’alcool. Alors je me relaxe, je glande en pyjama des journées entières. Quand je suis à jeun, je suis même timide. C’est pour ça que je bois. Pour retrouver ma grande gueule, pour devenir quelqu’un. Mais attention, j’ai les moyens de me l’offrir : j’assure mes arrières, je ne suis pas un pantin. Arthur Scargill (leader syndical lors de la grève des mineurs du début des années 80 – ndlr) avait une grande gueule, mais il n’était pas le meilleur chanteur de rock’n’roll du monde, il n’était qu’une merde.
Noel, écris-tu continuellement ou par crises ?
NOEL : Je travaille comme une brute pendant quelques mois et après, je peux prendre un an de vacances. Là, pour donner un exemple, je n’ai rien écrit depuis plus de six mois, après avoir terminé les vingt-deux chansons de Be Here Now et des singles à venir. Je prends bien quelques notes ici et là, qui traînent sur des bouts de papier, où je consigne mes impressions de voyage, mais c’est vraiment en dilettante. Quand je n’écris pas, j’aime bien picoler, regarder des matchs de foot ou aller voir des concerts. A la maison, je passe ma vie à jouer de la guitare, à reprendre des chansons des Beatles, de Jam ou des Smiths. Je lis aussi des tonnes de magazines, j’ai plus besoin d’informations que d’histoires. J’ai énormément de mal à finir un bouquin. Je ne peux pas rester concentré sur un temps aussi long.
LIAM : Les livres, c’est bon pour les connards, les péteux. En ce qui me concerne, je n’ai jamais ressenti le besoin de vivre les histoires des autres, la mienne me suffit. Ceux qui lisent des livres, c’est qu’ils n’ont aucune imagination, ils ont besoin d’être pris par la main. Ils sont bien incapables de lire leur propre cerveau, leurs propres pensées. Les miennes me suffisent amplement.
Est-ce parfois humiliant de lire tout ce que la presse écrit à votre sujet, notamment sur votre manque de manières, de culture ?
NOEL : Il y a beaucoup de dénigrement, de condescendance. Mais bon, je ne peux pas me plaindre, j’ai dit des vacheries bien plus dégueulasses sur beaucoup de gens. Liam, lui, est plus à plaindre, il est poursuivi. Ça lui apprendra d’avoir épousé une star (rires)…
LIAM : J’ai été pas mal blessé par les choses que j’ai lues. Je n’aime pas que ma femme lise que je baise à tour de bras dans son dos. Je ne me suis jamais plaint quand on raconte que je bois ou que je me drogue, parce que c’est vrai. Mais qu’on ne mente pas.
Avez-vous toujours été comme ça, plutôt très solitaires et entêtés?
NOEL : D’aussi loin que je m’en souvienne, c’était toujours comme ça : moi contre les autres, têtu comme une mule. Quand je me suis mis en tête d’obtenir quelque chose, il n’y aura pas une seconde de répit tant que je n’y serai pas parvenu. C’est comme ça dans Oasis, j’entends des choses que personne d’autre ne peut concevoir et tant que je n’ai pas obtenu ce son ou cet arrangement précis, je me bats. Avant, j’allais jusqu’à me battre physiquement pour imposer mes idées. Mais aujourd’hui, je suis trop vieux, c’est uniquement verbal. La musique ne vaut pas qu’on se castagne. De toute façon, il n’y a même plus à discuter : c’est moi qui ai le dernier mot ou je me casse. La démocratie, ça n’a jamais été mon truc. Ça ne fonctionne pas dans un groupe, il ne peut pas y avoir cinq songwriters.
Gamin, quel futur envisageais-tu ?
NOEL : En tant que Gémeaux, j’ai toujours eu une double personnalité : j’étais à la fois certain de réussir dans la musique et tout aussi convaincu que je fini- rais ma vie au chômage. Alors je me disais que la vérité était sans doute au milieu : que je vivrais de ma musique, sans plus.
LIAM : Je voulais devenir quelqu’un, me prendre en main. Et j’ai réussi, tout seul. Ma vie est beaucoup plus facile aujourd’hui que pendant mon adolescence. Je n’étais qu’un gamin effrayé, tout le temps, j’avais peur que ma mère tombe malade, que mes frères soient malheureux.
NOEL : Je n’ai jamais eu peur de rien. Si ce n’est des chiens. Gamin, ils me terrorisaient. Sinon, je savais me défendre.
Vous venez d’une famille très catholique. Avez-vous grandi dans la peur de Dieu ?
NOEL : Ça a été un gros poids sur mon enfance, dont je me suis totalement débarrassé aujourd’hui. Mais jusqu’à l’âge de 13 ou 14 ans, j’allais chaque dimanche à l’église. Cela dit, la “culpabilité catholique” ne m’a jamais empêché, dès cet âge, d’avoir une vie sexuelle bien remplie. Je ne pense pas à Dieu quand je tire un coup ! Je n’ai d’ailleurs jamais parlé à Dieu, j’allais à l’église pour faire comme le reste de ma famille.
Tu disais avoir toujours été obsessionnel. Qu’y avait-il dans ta vie avant le rock ?
LIAM : Ma seule obsession, c’est moi. Le reste – la famille, les amis –, c’est de l’amour. Idem pour la musique. Je ne suis pas aussi taré que mon frère. Moi, ça n’est venu que vers 16 ans, d’un seul coup. J’avais pourtant toujours aimé chanter – notamment à la chorale de l’église.
NOEL : Chez moi, il y avait le football et la peinture. Je dessinais en perma- nence. Et puis la drogue, bien sûr, une grosse obsession depuis mes 14 ans. Manchester City, c’était ma vie, j’écoutais les matchs à la radio. Pas Manches- ter United. Cantona, ce n’est qu’un connard. Je passais ma vie à traîner dans le centre commercial du centre-ville de Manchester, Arndale Centre. Je me suis laissé couler comme ça, comme les autres, jusqu’à l’âge de 18 ans. Là, il y a eu un déclic que je ne saurais expliquer. J’ai décidé d’arrêter de gâcher ma vie, j’ai su qu’une carrière de pop-star s’ouvrait à moi. Ça a vraiment été comme un éclair qui s’est abattu sur moi. Jusqu’alors, je n’avais que très vaguement composé, mais là, je m’y suis vraiment mis, poussé par une force nouvelle. J’ai compris sans doute que je n’étais bon à rien, que je ne trouverais jamais de boulot si je ne cultivais pas le seul don que je possédais. Je n’étais pas assez bon pour faire carrière dans le football, le temps m’était compté si je ne vou- lais pas rejoindre mes copains dans la misère, dans l’héroïne.
La famille Gallagher faisait partie de la vaste communauté irlandaise de Manchester. T’y sentais-tu protégé ?
NOEL : Il y avait un esprit de famille très fort, même si je savais ne pouvoir vraiment compter sur personne. Notre maison était toujours pleine à craquer de familles irlandaises, j’aimais bien leur compagnie.
Après le départ de ton père, vous êtes devenus les “hommes de la famille”. Etiez-vous prêts pour ce rôle ?
NOEL : Je n’y avais jamais pensé comme ça, mais c’est sans doute vrai… Ça m’a forcé à devenir responsable.
LIAM : On m’a fait beaucoup de crasses quand j’étais tout petit, ça m’a endurci. Mon père, surtout, m’a fait beaucoup de mal. L’ancien copain de ma mère m’a lui aussi maltraité. Ils ne m’ont montré que la face la plus sale, la plus moche de la vie – les insultes et les coups. Les hommes et la religion m’ont méchamment brisé. Très vite, j’ai compris que je ne pouvais plus croire en Dieu, mais seulement en moi-même. Et c’est vrai que je suis devenu, malgré moi, un homme. Une sorte de parrain. J’ai grandi trop vite. Mais je demeure ce sale gosse en colère, et je ne suis malheureusement pas près de me calmer. Je n’oublierai jamais une terrible bagarre entre mon père et ma mère. Mon vieux a sérieusement cogné sur la tête de ma mère, elle a décidé que c’en était assez, qu’elle voulait divorcer. Et elle qui allait tout le temps à l’église, on lui a immédiatement interdit de participer à la communion. Elle n’avait plus le droit de manger le corps du Christ parce qu’elle voulait se protéger d’un mari violent. Je n’ai jamais pardonné cette hypocrisie à l’Eglise catholique. La religion a tourné le dos à ma mère. J’ai immédiatement tourné le dos à la religion. Beaucoup de mes tantes ne me l’ont jamais pardonné. Elles me traitent de fou. Mais Dieu, ce brave homme barbu, je n’y crois plus une seconde. A-t-Il une bite ? Est-Il un homme ou une girafe ?
Sur You Know What I Mean, tu évoques pour la première fois ton père : “J’ai rencontré mon géniteur/Et je l’ai forcé à s’agenouiller.”
NOEL : Ce n’est pas mon père, je parle de Dieu. Si je Le rencontre, j’aurai deux mots à Lui dire. Cela dit, je peux me tromper, c’est peut-être effectivement à propos de mon père. C’est ma façon d’évacuer mes états d’âme : j’écris sur un bout de papier ce qui cloche chez moi et soudain, ça ne m’appartient plus, ça ne me regarde plus. Même si ce que j’ai écrit ne finit pas dans une chanson, le simple fait de le consigner par écrit me libère. C’est pour ça que je n’irai jamais voir un psy – sauf si ma femme a peur que je devienne dingue : je me débrouille très bien tout seul. Les gens ne s’en rendent pas forcément compte, mais il y a beaucoup de moi, des choses très dures et horriblement personnelles dans mes chansons.
C’est assez évident sur Be Here Now. On t’y sent vulnérable.
NOEL : (perplexe) Vulnérable ? C’est curieux, car j’ai écrit ces paroles à une époque de ma vie où j’étais heureux – juste avant notre passage à vide. Ce n’est que récemment que je me suis rendu compte que les paroles étaient si person- nelles. C’est peut-être ça, vieillir : baisser sa garde.
As-tu peur de te ranger ?
NOEL : D’avoir des enfants, oui. Je n’en aurai pas, je n’en veux pas. Deux chiens, une femme et je serai heureux. Je prends trop de drogues, je m’amuse trop pour avoir à affronter une telle responsabilité.
LIAM : Moi, pas du tout. Aujourd’hui, je suis l’homme le plus heureux de l’uni- vers. Je ne me plaindrai jamais car j’ai eu tout ce que je voulais : je rêvais de chanter dans un groupe de rock et j’ai le meilleur. Je rêvais d’une belle femme et j’ai la plus magnifique. Je n’arrive pas à croire que Patsy Kensit veuille passer le reste de ses jours avec moi, vieillir et mourir avec moi… Quand le vent souffle dehors, elle me tient au chaud, me réconforte. Je n’attends rien de plus de la vie – si ce n’est qu’on se souvienne de moi comme d’un chic type. Et aussi avoir des enfants. Deux enfants. J’ai besoin d’une famille.
Tu écris sur ton incapacité à communiquer – un mal très répandu dans le nord de l’Angleterre, où les garçons ont une peur clinique de leurs sentiments. En souffres-tu aujourd’hui ?
NOEL : Grandir n’a pas été une partie de plaisir. Je n’ai aucune nostalgie pour l’adolescence : comment peut-on être nostalgique du chômage, de la détresse ? C’est vrai que dans le Nord les garçons sont éduqués pour être vraiment des garçons, interdits d’états d’âme. Moi, je ne pleure jamais. Même quand on assassine John Lennon, même quand Manchester City est relégué en deuxième division. Pourtant, aujourd’hui, je ne combats plus mes faiblesses, ma féminité : elle s’exprime dans Don’t Look Back in Anger ou Don’t Go Away. Mais bon, je n’ai jamais trop aimé m’habiller en fille, alors ça n’a jamais été un gros problème !
LIAM : Je n’ai jamais eu peur de montrer mes sentiments, de pleurer. La musique m’émeut parfois aux larmes. Quand mon frère m’a fait écouter Don’t Go Away, je me suis mis à chialer. Mais ça, je ne peux pas le dire trop fort, je n’ai pas le droit de montrer mes faiblesses, sinon, je vais me faire tabasser. Un garçon, ça ne doit pas pleurer. Je garde les larmes pour quand je suis seul. Dès que j’ai été gentil avec des gens, ils en ont abusé, se sont servis de moi. Je suis obligé de me méfier, en permanence.
As-tu parfois l’impression d’être manipulé ? Que des gens de votre maison de disques ou certains journalistes vivent à travers vous, par procuration, leurs fantasmes rock’n’roll ?
NOEL : Ça arrive constamment. Je dois sans arrêt me souvenir d’où je viens, qui je suis. Faire gaffe aux conseils, ne pas toujours croire ce que me dit mon manager, ne pas écouter ce que raconte la maison de disques. J’ai été déçu par des gens dont je pensais qu’ils étaient mes amis et qui se sont servis de moi. L’avantage, dans ma position, c’est que je peux désormais les virer au premier faux pas et les remplacer immédiatement. Comme cette guerre à la con entre Oasis et Blur… On m’a poussé là-dedans. C’est ce connard de fucking Damon qui a commencé, mais ça aurait dû en rester là, on n’aurait pas dû surenchérir – notre maison de disques et les journaux nous ont encouragés. Ça m’énerve d’avoir été utilisé comme ça, mais c’est le danger quand on commence à déléguer le pouvoir. Si ça ne tenait qu’à moi, je contrôlerais tout ce qui touche à Oasis. Car il y a, en permanence, de par le monde, quelqu’un en train de faire une connerie au nom d’Oasis – et ça me tue de savoir qu’ils sont payés pour ça.
Etre trahi par ses amis rendrait n’importe qui d’autre triste. Mais pas vous. On a l’impression que vous vous êtes tellement battus pour en arriver là que tout état d’âme est proscrit.
NOEL : Moi, je ne suis pas un pleurnicheur. On me paie des sommes ahuris- santes pour faire ce qui me plaît le plus : écrire des chansons. Franchement, je ne vais pas cracher dans la soupe. Quand j’entends certains autres groupes se plaindre d’avoir à donner trop de concerts, trop d’interviews, j’ai envie de leur dire “Trouve un autre boulot, connard.”
Existe-t-il une seule personne qui, aujourd’hui, peut influencer les choix artis- tiques d’Oasis ?
NOEL : Sur l’enregistrement de Be Here Now, personne n’a été admis en studio avec nous. C’est à peu près la dernière parcelle d’Oasis sur laquelle je peux exercer un contrôle absolu. Même le putain de groupe, même le putain de manager, même ma putain de femme n’ont pas à me dire quoi y faire. C’est mon lieu de travail, là où je deviens quelqu’un. Si j’estime que les chansons doivent durer dix minutes, elles dureront effectivement dix minutes. Ce ne sont pas les radios qui vont me dicter leurs choix. Le studio, c’est mon chez- moi, je peux parfaitementclaquer la porte, si je veux.
Est-ce frustrant pour toi, Liam, de ne pas être plus impliqué dans l’écriture ?
LIAM : Je voudrais être capable de bluffer, mais ça ne marcherait pas longtemps. Alors je ferme ma gueule et je fais confiance à mon frère, que je considère comme un génie. Il a mis toute sa vie dans sa musique, tout son cœur. C’est le prix à payer pour le génie. Dans la famille, on ne fait pas les choses à moitié : que je chante, que je fume ou que j’aille aux toilettes, ce doit être fait dans les règles de l’art. Tu devrais voir les merdes que je fais quand je vais aux toilettes (air convaincu)…
Pourquoi n’écris-tu jamais ? Par manque de confiance ?
LIAM : (l’air outré) Par manque de confiance ? Tu te fous de ma gueule ou quoi ? (Il appelle son garde du corps, une montagne de viande)… Tu es prêt à en entendre une bonne ? Il paraît que je n’ai pas confiance en moi (la montagne grogne puis éclate de rire)… J’écris, chez moi, mais personne ne peut voir le résultat. Ces chansons ne seraient pas populaires, pas assez commerciales. Pour- tant, aucune maison de disques n’est digne de les entendre. Et je suis bien assez riche pour ne pas avoir à les vendre. C’est mon jardin secret, où je laisse gam- bader mes pensées. Ça m’aide beaucoup, d’écrire.
Noel, tu es un parfait autodidacte. Comment fais-tu pour expliquer aux musiciens de studio les arrangements, les sons que tu attends d’eux ?
NOEL : Ça prend énormément de temps pour décrire précisément, avec mes mots, ce que j’attends, mais nous y arrivons toujours. Avec des jours de retard. C’est le problème de mon manque d’éducation. Aujourd’hui, je regrette amèrement d’avoir quitté l’école si tôt… J’aurais pu apprendre l’an- glais dans les règles de l’art. Quand j’entends une musique dans ma tête, ça me rend dingue de ne pas savoir la coucher sur papier. Vous ne pouvez pas imaginer ma joie et mon soulagement quand j’entends enfin cette musique restituée fidèlement dans les haut-parleurs du studio… La vraie vie, pour moi, c’est là, dans le studio, à créer de la musique. Le reste, ce n’est que du temps à tuer entre deux enregistrements.
Penses-tu parfois à l’exemple de musiciens cramés par le studio ?
NOEL : Quand l’ambiance devient trop malsaine, psychiatrique, je sais aussi disparaître. C’est pour ça que l’enregistrement de Be Here Now a pris autant de temps : je travaillais une semaine, puis partais une semaine en vacances. Je ne suis pas Spector ou Brian Wilson : je n’ai pas l’impression d’être moins important que ma musique, d’être son esclave. D’ailleurs, je ne suis pas par- ticulièrement maniaque en studio, je reste calme.
T’amuses-tu à terroriser le groupe, les techniciens ?
NOEL : J’ai effectivement l’impression que les gens ont peur de moi. Pourtant, je ne suis un dictateur que le lundi et le mardi. Mais il faut que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. Ces mecs sont là pour faire leur boulot, pour le faire bien. Ils ne sont pas là pour me donner des conseils – ça ne sert à rien, je ne les écoute même pas. Le groupe n’a jamais amené une seule vraie bonne idée concernant mes chansons.
Tu es un passionné et un spécialiste de pop-music depuis l’enfance. Comment conserves-tu cette passion intacte en évoluant toi-même dans ce grand cirque ?
NOEL : C’est bien pire aujourd’hui qu’à l’époque, je me demande même comment c’est encore possible. Je dois tout écouter. Si un jour je n’ai plus de désirs de musiques, j’arrêterai sans doute de jouer. Depuis que j’ai 11 ans, c’est comme ça : j’achète des montagnes de disques, des bouquins, des magazines, j’écoute la radio… Et je rêvasse. Tout ce qui pouvait donner de l’animation dans ma vie était bon à prendre. Il me fallait quelque chose – que ce soit jouer de la guitare ou tourner dans le monde entier comme roadie des Inspiral Carpets – car si je m’étais retrouvé seul avec mon ennui, je serais devenu dingue. Ou, comme la plupart de mes copains de l’époque, je serais mort d’overdose.
Vous employez, dans l’entourage d’Oasis, une brochette de rescapés des années mancuniennes. Sont-ils importants pour vous maintenir les pieds sur terre ?
NOEL : J’ai une femme pour ça. Et aussi une mère, qui reste très attentive. Je lui parle tous les jours, elle me connaît mieux que quiconque. Si j’ai besoin de conseil, c’est uniquement vers elle que je me tournerai. Mais ça n’est encore jamais arrivé. Même à l’époque où je pensais quitter le groupe, je n’en ai parlé à personne. En fait, je n’ai jamais rien demandé à qui que ce soit dans ma vie. Les copains, ils sont là pour accompagner les rigolades, surtout pas pour me dire que je suis en train de devenir un sale trou-du-cul. Leur avis, honnête- ment, je m’en contrefiche. Si ces Mancuniens sont là, c’est qu’ils sont bons dans leur job. Oasis n’est pas une œuvre caritative.
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