A peine sorti de studio, Lloyd Cole dévoile son prochain album, celui de la dernière chance, en avant-première de sa sortie automnale. Pendant qu’il procède à une sévère autocritique de son passé récent, les dix chansons de love story plaident pour un retour en grâce.
Le Master Rock Studio, comme son nom fracassant ne le laisse supposer, est un endroit plutôt humble. On y accède après avoir longé une impasse délabrée qui veine modestement une large artère commerçante du nord-ouest de Londres. Dans ce lieu paisible, décoré sans excès, Lloyd Cole n’est pas chez lui, mais c’est tout comme. Depuis trois semaines, il prend ses repas avec le reste de l’équipe, à heures fixes, dans la petite salle du fond. Chacun en parle ici comme d’un hôte d’une rare qualité. Il propose du café aux invités, plaisante avec la standardiste et s’inquiète, avec une gentillesse nullement obséquieuse, de trouver un taxi pour l’assistant qui a fini sa journée. C’est la première fois depuis cinq ans qu’il revient en Angleterre pour raisons professionnelles, laissant femme et enfant seuls à New York, où il s’est définitivement posé après la fin des Commotions. S’il n’a pas précisément la réputation d’un noceur ? plutôt du genre ermite, voire hermétique ?, Lloyd Cole reçoit avec un évident plaisir « je dois téléphoner à mon épouse. Il faut aussi que je termine un petit bidouillage, une chanson trop molle que je tente d’accélérer directement sur le magnéto. J’en ai pour deux minutes. » Lloyd Cole a terminé dans la journée le mixage de son septième album, son quatrième en solo, et a accepté sans faire sa danseuse de le déflorer aussitôt pour nous. Evidemment, on espère fermement entrevoir une éclaircie après le vilain temps qui étouffait Bad vibes, disque bodybuildé et ingrat du littéreux Ecossais paumé au pays des bikers. Entre autres signes encourageants, Lloyd Cole s’est débarrassé de cette barbe de mauvais garçon pas très crédible et semble avoir aussi perdu les bajoues flasques que cet attribut pileux dissimulait. Déjà, on rêve que ce régime ait également emporté les sales tifs de guitares FM et les rythmiques caloriques dont une partie de ses enregistrements solo se sont jusqu’ici repus. Et si Lloyd Cole ? tel que semble l’indiquer sa nouvelle physionomie ? avait renoué avec les accents altiers de sa prime jeunesse, alors, nous n’aurions pas fait le déplacement pour rien.
Dix ans pile-poil après la sortie de Rattlesnakes, il est des anniversaires que l’on préférerait fêter sans nostalgie, mais dans l’ivre ambiance d’une jeunesse retrouvée. Depuis quelques mois, des fuites autorisées distillaient la fausse piste suivante le prochain Lloyd Cole ressemblerait à du Nick Drake. Promesse alléchante que le principal intéressé, visiblement gêné, s’emploie pourtant à réduire aussitôt en pièces. « On doit cette rumeur au patron de ma maison de disques qui est un vrai dingue de Nick Drake. Lorsque je lui ai fait savoir que je souhaitais faire un album plus intimiste que le précédent, avec une formation réduite, il m a immédiatement rétorqué «ah ouais, génial, un truc à la Nick Drake ». Je devais être fatigué ce jour-là, j’ai dû acquiescer pour lui faire plaisir et il s’est aussitôt empressé d’aller répandre la nouvelle sur tous les toits. Le problème, c’est que je ne suis pas moi-même un très grand fan de Nick Drake. Certaines de ses chansons sont magnifiques, mais j’y vois trop d’auto complaisance, de tristesse exhibée. Le seul rapport qu’on puisse trouver entre Cet album et ceux de Nick Drake, c’est qu’il s’agit d’une musique. Créée dans une pièce très réduite, pas dans un amphithéâtre. J’ai voulu retrouver cette simplicité qui faisait défaut à mes disques depuis Rattlesnakes. » Nous y voilà, donc. Lloyd Cole, avec ou sans les Commotions, vit depuis 1984 avec un poids obsédant sur les épaules: assumer en permanence l’héritage d’un premier album trop parfait, qui fut acclamé comme peu de débuts le sont. Pour avoir tant reçu sur les fonds baptismaux, il aura ensuite à payer au centuple les imperfections d’Easy pieces ou Mainstream. « Rattlesnakes était un album de groupe, de jeunes gens sûrs d’eux-mêmes. C’est comme naître, ça n’arrive par définition qu’une seule fris dans une vie. Quoi que l’on fasse, les disques qui viennent ensuite ne sont plus des premiers albums, voilà toute la différence. Et puis, on ne peut pas écrire toute sa vie Are your ready to be heartbroken’ Je fais partie d’une génération qui a grandi en écoutant Bowie, dont chaque apparition se démarquait radicalement de la précédente. Peut-être ai-je péché par excès d’orgueil, en essayant à tout prix de faire des disques trop différents les uns des autres. J’ai admis récemment que n’est pas Bowie qui veut et qu’an album comme Bad vibes ne me ressemble pas du tout. Qu’importe, j’ai la satisfaction d’avoir sorti de très bons et de très mauvais albums. Ce qui me rendrait réellement malheureux, c’est de n’avoir à mon actif que des disques moyens. Et puis, j’ai beaucoup appris à travers ces échecs, d’autant plus que la plupart furent également des bides commerciaux. Je sais aussi que personne n’attend plus rien d’an nouvel album de Lloyd Cole. » Par cette modestie un peu exagérée, qui confine à l’autoflagellation, Lloyd Cole montre en tout cas qu’il mesure la lente érosion de son crédit à nos yeux. Seule la face orchestrale de Don’t get weird on me, babe, exercice à haut risque dont il se tira avec un évident panache, vint ralentir cette fuite aveugle vers le conformisme le plus imbécile. Une des principales erreurs que j’ai commises est sans doute de ne pas l’avoir enregistré entièrement avec orchestre philharmonique. La face rock ne contenait rien d’intéressant. Si les gens avaient à l’époque pu entendre des chansons comme Butterfly, si les radios avaient pris le risque de diffuser ce genre de choses, alors j’aurais probablement poursuivi dans cette voie. Bad vibes a donc été conçu en réaction à ça, et il n’est jamais très sain de reconstruire sur une déception. Avec ce nouvel album, je suis reparti sur d’autres bases. C’est probablement pour ça qu’il se rapproche tant de Rattlesnakes, d’un nouveau départ. J’ai essayé de retrouver mon savoir-faire de l’époque, avec beaucoup d’instruments acoustiques et peu d’effets. » Sans en avoir l’air, Lloyd Cole est doté d’un fameux talent pour vous mettre en appétit. On comprend mieux pourquoi il tient tant à faire lui-même le service, à s’expliquer sans attendre le cycle traditionnel de la promotion. Après ce long et pertinent exposé, lorsqu’il se résout enfin à faire tourner la bande, on lui a par avance pardonné les maigres menus de l’avant-veille, conquis à l’idée que, cette fois, la table sera à la hauteur de sa réputation. Treize titres ont été mis en boîte, dix devraient être retenus au final. L’enregistrement a eu lieu à New York et s’est étalé sur un an, avec pas mal de ratés à l’allumage: « Au départ, Stephen Street devait produire tout l’album, j’admire son travail depuis longtemps. Malheureusement, en cours de route, ma maison de disques a trouvé qu’il ne faisait pas l’affaire. Finalement, j’ai poursuivi seul, avec l’aide d’Adam Peters et de Fred Maher qui ont travaillé sur mes disques précédents. Pour le mixage, je collabore avec Mick Glossop, responsable entre autres des derniers Van Morrison. C’est une grande nouveauté pour moi de m impliquer ainsi dans toutes les étapes. J’y ai acquis une certaine confiance en moi. » Le premier titre qu’il nous donne à entendre, Unhappy song, n’a rien d’un choix arbitraire. Une longue hésitation a précédé: Lloyd Cole fait montre du même souci que ces maîtres de maison qui débouchent leurs plus précieux flacons lors d’un cérémonial lent et précis. Cette chanson malheureuse ? au titre jugé trop dangereux par la maison de disques et qui sera finalement intitulée The June bride sur l’album ? est une valse scintillante où un quatuor à cordes se mélange sans accroc aux balancements délicats d’une guitare acoustique
et à la fluidité d’un orgue. « Je voulais récréer certaines ambiances qu’on trouve chez Leonard Cohen, avec ces chœurs de filles qui chantent comme des gamines, ce qui rend le chant de Cohen encore plus cynique. C’est une chanson à propos du divorce et les voix d’infants ajoutent un peu de pathos à cette histoire, un peu comme les pleurs d’infants sur Berlin de Lou Reed. » Il passe à la suite: Like loyers do révèle une construction plus banale. Un mid-tempo façon Perfect skin, sans génie, mais plutôt agréable. Sur la suivante, Trigger happy, c’est Neil Clark, seul rescapé des Commotions, qui est préposé aux arpèges de guitares pour une ballade souriante, ponctuée par le fameux jingle-jangle byrdsien qui fit jadis grande impression sur chaque plage de Rattlesnakes. « Il s’agit d’une chanson capitale de ce nouvel album car elle sonne exactement comme je le voulais: très intime et dépouillée. C’est mon côté folk, même si je déteste qu’on dise que je pratique une sorte de folk moderne. » Vient ensuite I didn’t know that you care, autre valse au refrain héroïque, dont la partie de cordes rappelle à Lloyd Cole les bandes-son de Maurice Jarre. Traffic, avec son riff haché, se situe dans une lignée plus traditionnelle, proche du premier album en solo à l’heure du dépucelage new-yorkais. La maîtrise des gestes en plus. En revanche, Let’s get lost ne ressemble à rien que Lloyd Cole n’ait déjà produit: un tempo ultrarapide et des airs de country avec un talk-over à la Dylan. « C’est une chanson que j’ai dû écrire après avoir écouté Pavement. Crooked tain est l’an des rares albums qui m ait enthousiasmé l’an passé. La plupart du temps, c’est ma femme qui achète les disques, alors j’écoute ce qu’elle rapporte à la maison, Hole, Jonathan Richman… Lorsque je suis seul, j’écoute plus volontiers les albums ambiants de Brian Eno. Je songe d’ailleurs de plus en plus à enregistrer un album expérimental, entièrement instrumental et bizarre. Peut-être dès l’an prochain. »
S’immisce alors l’intro façon boîte à musique de Baby, une autre ballade, sans doute la plus somptueuse de l’album. On croirait McCartney à la croisée des Beatles et de ses premiers albums solo. «Les Français aiment particulièrement ce genre de chanson, non ? Elle me rappelle les compositions de Burt Bacharach et Hal David, avec une sentimentalité très forte, sans ce paravent pudique derrière lequel j’ai souvent préféré me réfugier. » Le texte y est en effet volontairement premier degré, limite ouin-ouin. « Je pensais intituler l’album Fleur bleue. C’est un terme péjoratif Ah, bon ? Comme si j’appelais un album Mainstream (rire)… Finalement, j’ai opté pour The Theme from Love story, en référence au film. » Et comme pour tempérer ce titre désuet ? que l’on s’attendrait plus volontiers à trouver chez Barry White que chez l’ombrageux et timide Lloyd Cole ?, la chanson suivante remet les choses en bon ordre: Love ruins everything, coécrit avec Mark Nevin ? ex-Fairground Attraction et collaborateur de Morrissey sur Kill uncle ?, dispense une légèreté douce amère et révèle une mélodie tellement chatoyante qu’elle pourrait faire bonne mesure en single. Après le très douceureux Happy for you et entre deux nouvelles ballades ? For crying out loud et le magnifique Be there ?, Sentimental fool présente lui aussi la gaillarde allure d’un hit planétaire.
Une fois la séance d’écoute terminée, Lloyd Cole semble rassuré par nos réactions, lui qui n’avait eu le loisir de lever le nez de sa copie depuis près d’un an. Evidemment, il faudra y revenir plus posément, s’assurer que les grandes qualités du disque, trop furtivement perçues pour qu’on les proclame définitives, supportent sans dommage une seconde confrontation. The Theme from Love story ? devenu entre-temps Love story ? sera dans le commerce en septembre: « j’aimerais que quelques personnes l’écoutent, comme vous aujourd’hui, et en parlent autour d’elles, que le bouche à oreille fonctionne jusqu’a la sortie. Que l’on dise ici ou là que Lloyd Cole a enregistré un nouvel album. Et qu’il est pas mal. »
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