Entre blessures intimes et souvenirs douteux, impossible de faire le tri chez Jeff Buckley, à la fois authentique écorché et crâneur agaçant. A l’heure du retour en triomphe – Olympia et disque disque d’or – visite d’un jardin secret ignoré par les pauses et le discours : la discothèque d’un enfant émerveillé qui voudrait être son père, Miles Davis et Jim Morrison à la fois.
Miles Davis – So what
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Une musique à jamais associée à Los Angeles, à mon enfance, à ma découverte de Miles… J’ai commencé vers 1984 par ses quintets, avec Wayne Shorter et Herbie Hancock, que j’écoutais 24 h sur 24. J’étais fasciné par le son, c’était la première fois qu’un musicien de jazz me parlait à ce point j’étais certain que sa trompette était sa voix.
J’ai immédiatement senti son amour tentaculaire pour la musique… Je me suis mis à lire, à écouter, à regarder tout ce qui le concernait, ébloui par son élégance, son innocence, sa colère. Le plus drôle, c’est que je sens qu’il a appris son art en route, qu’il a commencé à enregistrer en étant un musicien très approximatif. Sur Koko, ce n’est même pas lui qui joue mais Dizzy Gillespie, car Miles en était incapable. Mais pendant que les pros jouaient à sa place, lui n’en perdait pas une miette, il était farouchement déterminé à trouver sa propre voie.
Je suis amoureux de cette période du bop, par les légendes entourant la 42e Rue. Même s’il ne les a jamais énoncées lui-même, j’ai fait miennes plusieurs de ses doctrines : rechercher l’excellence chez les autres musiciens, les pousser à donner ce qu’ils ont de meilleur en eux et, surtout, être impitoyablement exigeant avec soi-même. Sans Miles, je n’aurais jamais eu ma carte d’entrée dans le jazz, je serais resté à l’entrée. Il m a invité et puis, en s’éteignant, il a tué le jazz qui n’est plus resté qu’une musique d’ameublement, sans odeur et sans goût.
Un jazz sans art et sans danger, qui a abandonné son côté physique et le contact avec la rue. Keith Jarrett disait que Miles essayait en permanence de se faire dépasser par sa musique, qu’il la laissait filer pour le plaisir. A mon échelle, sur scène, j’aime moi aussi me laisser doubler. Ma musique a hérité de ses harmonies, de son économie de moyens. Keith Jarrett disait aussi que Miles avait des ambitions de débutant qu il est toujours reste un bleu, sonnant comme un novice. Moi, je n’arrive pas à chanter comme un enfant. Je chante comme une femme.
Piaf – Je ne regrette rien
Tellement romantique, tellement français que ça pourrait devenir écoeurant. Pourtant, chez elle, on sent que rien n’est simulé. Chaque émotion devient épique parce qu’elle a vu les bas-fonds, la mort de près. Il y a un tel poids dans cette voix, comme une fleur qui essaierait de percer sous un pavé. J’ai toujours eu une attirance pour ces personnages qui invitent la tragédie à leur table, qui viennent des eaux troubles, s’interdisent confort et facilité.
Pour moi, Edith Piaf est une junkie qui a transformé le monde extérieur en aiguille de seringue pour s’en injecter à fortes doses. Quand on la découvre comme moi à 16 ans, c’est un choc. Moi aussi, j’avais un besoin terrible de carburant, mais la Californie n’avait plus rien à m’offrir. Pour un petit Blanc californien, une passion aussi intense pour Piaf n’est pas le meilleur moyen de s’intégrer…
Personne avec qui partager ces émotions à des centaines de kilomètres à la ronde. Les premiers Français que j’ai rencontrés m’ont beaucoup déçu : des gosses de riches qui, comme moi, prenaient des cours de musique dans une école très pauvre de Los Angeles. Ils passaient leur vie à parler de Coltrane et de Bird et à tout intellectualiser, fumaient et jouaient beaucoup trop à mon goût. Heureusement, j’ai rencontré au lycée de Willows, en Californie du Nord, une Française qui avait grandi en Algérie, qui a changé mon image de la France. On prenait des cours de guitare ensemble. Sa voix et le rythme de son anglais approximatif me fascinaient. Et puis, dès qu’elle faisait une erreur sur le manche, elle avait une petite façon à elle de tirer la langue qui était irrésistible. Moi, c’était plutôt du genre « God damn shit !? », mais elle, c’était ce petit boat de langue délicat.
Je suis tombé amoureux d’elle et j’ai commencé à tirer la langue moi aussi (sourire)… Je n’ai découvert Paris que l’année dernière. Et là, déjà, je joue à l’Olympia, comme Elle ou le Velvet Underground (silence)… Un honneur terrible et effrayant. Comment passer derrière Piaf ? Je n’arrive pas à comprendre mon succès en France. Peut-être parce que les Français adorent les histoires sous-jacentes et qu’avec moi ils sont servis, il y a du roman à raconter. Ils aiment la poésie et le lyrisme d’une certaine idée de l’Amérique.
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