Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia marque la fin de la carrière hollywoodienne de Sam Peckinpah et se révèle un échec critique et commercial terrible, alors qu’il s’agit sans doute de son chef-d’ uvre. Lorsque les deux critiques Harry et Michael Medved ont élu Plan fine from outer space d’Ed Wood « film le plus nul […]
Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia marque la fin de la carrière hollywoodienne de Sam Peckinpah et se révèle un échec critique et commercial terrible, alors qu’il s’agit sans doute de son chef-d’ uvre. Lorsque les deux critiques Harry et Michael Medved ont élu Plan fine from outer space d’Ed Wood « film le plus nul de l’histoire du cinéma », Alfredo Garcia pointait en seconde position, juste devant Ivan le Terrible d’Eisenstein! Structuré par une succession interminable de chambres d’hôtel sordides, de villages mexicains dévastés, de paysages déserts et arides gagnés par des nuages de poussière, Alfredo Garcia pourrait passer pour un film laid ? c’est plutôt un film sur la laideur. Si cette esthétique peut dérouter la critique traditionnelle, il est en revanche surprenant que le film ait aussi été désavoué sur la base de son scénario, alors que celui-ci, limpide, emprunte une forme narrative très codée le conte. Le film commence ainsi sur la figure omniprésente d’un père régnant sur un village mexicain (l’équivalent moderne du roi des contes de fées) formulant un vœu des plus excentrique et promettant une récompense fabuleuse à qui saura l’exaucer. Un certain nombre de personnages entrent alors en lice dans l’espoir de toucher la récompense, mais l’un d’eux (Warren Oates, dans son plus beau rôle) arrive à les doubler et à sortir vainqueur. Peckinpah aborde le conte sous un angle révolutionnaire, en délaissant l’aspect symbolique pour revenir à un niveau plus littéral. Lorsque le patriarche demande la tête de l’homme qui a couché avec sa fille, il ne parle pas par métaphore mais au premier degré. En adoptant ce parti pris réaliste, Peckinpah se livre à une critique règle de Morphologie du conte de Propp où le linguiste russe montrait que les contes populaires européens ont une morphologie identique. Selon Propp, le sens de la récompense dans les contes (un royaume et/ou la main de la princesse) est de propulser le héros en haut de la hiérarchie sociale en reconnaissance de ses services, lui évitant de questionner l’ordre établi dont il bénéficie au final.
La phrase de clôture traditionnelle « ils vécurent ensemble et eurent beaucoup d’enfants » vient signifier que l’ordre immuable du conte a été (r)établi. Mais le cinéma de Peckinpah est mû tout entier par la menace inévitable du changement, la fin d’une époque et le début d’une autre signifiant que les choses ne seront plus jamais comme avant. Le héros du conte de fées ne se pose jamais de questions, il ne se demande jamais pourquoi mais plutôt comment . Dans Alfredo Garcia, le personnage interprété par Warren Oates aborde sa quête de manière pragmatique (comment ramasser cette tête et la récompense) avant d’être gagné par une préoccupation beaucoup plus abstraite où il s’interroge sur le sens de sa quête. La récompense est si énorme que le bénéficiaire se sent en droit d’obtenir des explications. En d’autres termes, le héros remet en cause l’arbitraire de la quête qui d’ordinaire rend possible le conte un défi impensable dans la Morphologie de Propp, dont Alfredo Garcia est une critique à peine masquée.
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