De retour en France pour la sortie de son troisième album solo, « Que la paix soit sur vous » (45 Scientific), Ali, qui vit aujourd’hui en Indonésie, a pris le temps de nous parler de son nouvel album et des raisons pour lesquelles il a tourné le dos au rap hardcore de ses débuts…
Réunis par les hasards du calendrier des sorties de disques, Ali et son ex-partenaire de Lunatic, Booba, n’ont jamais paru aussi éloignés. Avec ce troisième album solo, Que la paix soit sur vous (45 Scientific), le rappeur d’Issy-les-Moulineaux pose les derniers jalons d’un parcours artistique humble et spirituel à l’opposé d’un rap game baignant majoritairement dans l’ego-trip…
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Après Chaos et harmonie et Le Rassemblement, ce nouvel album est une nouvelle fois empreint de religiosité. Aujourd’hui, ton rap reflète-t-il un cheminement intérieur ou un message que tu souhaites porter ?
Ali – Les deux, du moins c’est ce que j’espère. Sur le morceau La Clé, je dis à un moment « Cohérent avec soi, avec les autres en accord », c’est la voie que j’essaye de suivre. Je ne suis pas là pour faire du prosélytisme, j’essaye simplement de transmettre mon ressenti par rapport aux épreuves que j’ai vécues. Aujourd’hui, j’essaye d’être en paix avec moi-même, c’est le message que je souhaite transmettre.
Ton rap donne aussi le sentiment d’être un cadre de vie, un message que tu martèles pour ne pas y déroger…
C’est exactement ça. Sur mon titre Que la paix soit sur vous, je dis : “Avant de parler de paix, je me dois de parler en paix.” C’est une phrase que je me répète quotidiennement.
Combien cet album t’a demandé de temps de préparation ?
J’ai terminé Le rassemblement à la fin de l’année 2010, ça va donc faire quatre ans et demi.
Comme tu es moins présent sur la scène rap française du fait de ton expatriation en Indonésie, beaucoup ignorent que tu continues à rapper…
Je sais mais mon métier, ça reste le rap. Culturellement j’ai le sentiment d’appartenir totalement à cette culture hip-hop et, spirituellement, je me sens musulman.
Tu écris quotidiennement ?
J’écris régulièrement mais je me ménage des temps de pause pour me cultiver. Je lis, je m’instruis, je rattrape le temps perdu. J’aime beaucoup la lecture, que ce soit des ouvrages encyclopédiques ou des romans comme l’Idiot de Dostoïevski. J’aime bien l’univers du roman mais je garde davantage en mémoire les émotions plutôt que la trame narrative. Par exemple, j’ai lu Le Vieil Homme et la mer d’Hemingway mais je me rappelle davantage de la tristesse de la fin que de la lecture détaillée du livre.
Tu fais référence au film Ghost Dog dans ton album. Dans ce film, le personnage interprété par Forest Whitaker a un environnement spirituel tout en continuant à accomplir son métier de tueur à gages. On ne ressent pas cette dualité dans ton rap.
Je ne souhaite pas redevenir « vénère » comme je pouvais l’être sur mes premiers morceaux. Et je ne souhaite à personne de l’être. Pour autant, je conclus mon album en disant : « Être pacifié ne m’a pas rendu passif « . Ce n’est pas parce que la situation est violente que je dois réagir de la même manière, bien au contraire. Je n’ai pas envie de mettre de l’huile sur le feu. Je préfère être dans la résolution plutôt que dans la confrontation…
Le fait d’être moins révolté et hardcore ne rend-il pas ton rap moins efficace ?
Je ne pense pas. Par exemple, je ne recherche pas la punchline. Pourquoi ? Si tu définis ce que c’est littéralement, c’est “une ligne qui cogne”. Moi, je ne cherche pas à cogner. Au contraire dans Dialogue, je dis que j’encaisse “les coups bas avec la grâce d’un boxeur de Cuba”.
La seule référence à l’actualité sur cet album c’est quand tu évoques les propos racistes tenus par Jean-Paul Guerlain (“travailler comme des nègres”) et Jacques Chirac (« le bruit et l’odeur »). Le racisme que tu as vécu a-t-il été un leitmotiv artistique à tes débuts ?
Le racisme a été un déclencheur, j’avais envie de me révolter dans mes textes. C’est quelque chose qui m’a profondément marqué, attristé et dégoûté lorsque j’étais plus jeune. Mais je n’ai pas envie de faire étalage de ce que j’ai vécu, je déteste la victimisation. Pour moi, le racisme est une tare humaine nourrie par l’ignorance. C’est un phénomène cyclique. Mon père est blanc et ma mère est noire. Et je me souviens que dans les années 60 lorsqu’elle se rendait en Belgique, elle ne pouvait pas rentrer dans certains magasins. Il y a eu une évolution. Mais est-ce que l’on a retiré le racisme des cœurs des gens ? Je ne suis pas sûr.
Alors que le FN grimpe à chaque élection, comment expliques-tu que peu de rappeurs s’engagent ou évoquent le sujet ?
J’étais en métropole lorsque le FN a terminé en tête des élections européennes et j’ai été bien évidemment choqué. C’est inquiétant de voir que nous ne retenons aucune leçon du passé. Je pense qu’aujourd’hui, il y a un désenchantement de la jeunesse vis-à-vis de la politique. Les rappeurs ne font pas exception à la règle.
Tu écoutes encore du rap ?
Je ne suis pas impliqué, je ne suis pas à l’affût des sorties du rap US et français. Ce que j’écoute dépend surtout de mes rencontres. Par exemple, récemment R.E.D.K m’a invité sur son album. Nous nous sommes rencontrés. Il y a eu un bon feeling entre nous donc j’ai été présent sur son album. Récemment, une radio m’a fait découvrir TiTo Prince et j’ai beaucoup apprécié son rap. Il est très technique, ça m’a donné envie de découvrir ses autres titres.
Dans ton album, tu fais référence aux Sages Poètes de la Rue et aux X-Men comme ton « école de formation » dans le rap. Comment t’es-tu initié à cette musique ?
La première piqure remonte à l’émission H.I.P H.O.P animé par Sidney sur TF1. J’avais 11 ans. A cette époque, quand tu étais enfant issu de l’immigration, c’était la seule émission où tu voyais des gens de couleur. Tu te sentais forcément représenté. Avant même d’adhérer à la musique, il y avait une forme d’identification. Ensuite, j’ai commencé à apprécier le break et le rap. Je me rappelle que l’introduction de l’émission commençait toujours par “Salut les frères et les sœurs”. Vers 13 ans, j’ai commencé à rapper avec mon petit frère. Lui il beatboxait, moi je rappais. On s’amusait comme ça. Lorsqu’au début des années 90, Rapattitude, la première compil de rap français, est sortie, j’avais commencé à faire ma première scène. Avec un ami qui s’appelait Yohan Santini, on avait un groupe qui s’appelait PO.M, les initiales ça voulait dire poètes musulmans. Nous nous étions inspirés des Last Poets d’Harlem au moment de la création du groupe.
C’est Egosyst alias Arafat qui te fait rencontrer Booba. Il a joué un rôle important dans ta carrière ?
Il avait un groupe avec Kohndo qui s’appelait Coup d’état Phonique. Il faut savoir que bien que j’habitais Issy-les-Moulineaux, j’ai fait toute ma scolarité à Boulogne. J’étais au lycée avec Zoxea. Nous n’étions pas dans la même classe mais on s’entendait bien. C’est Zoxea qui m’a présenté Egosyst qui était son cousin. On a partagé des supers moments ensemble mais ce n’est pas lui qui m’a appris à rapper (Egosyst est la personne qui a appris à Booba à rapper-ndlr). J’ai ensuite rejoint le Beat de Boul.
Dans Boulogne Tristesse, Zoxea présente le Beat de Boul comme « l’école de rap la plus talentueuse de la nation ». Tu en gardes quels souvenirs ?
Sur la place Haute de Boulogne, nous étions assis sur un demi-cercle en pierre avec les Sages Poètes de la Rue, la Malekal Morte, Mo’Vez Lang… Zoxea lançait une syllabe et chacun reprenait à tour de rôle la rime de l’autre. Ca nous permettait d’exceller en freestyle, c’est vrai que c’est une magnifique école. Grâce à Zoxea et Dany Dan, j’ai pu faire mes premières scènes à l’étranger, en Belgique. Avant je n’avais connu que les scènes de MJC. Pour un ado, c’était comme un rêve éveillé.
Tu étais à mi-chemin entre le reggae et le rap à l’époque ?
A l’époque, je m’appelais Daddy Ali parce que j’aimais bien le reggae et parce qu’il y avait eu une passerelle intéressante entre hip-hop et raggamuffin avec KRS-One. Avant d’intégrer le Beat de Boul, j’avais donc une technique particulière. J’étais hip-hop et très axé sur les roulements. Mon flow allait très vite. Ensuite, je suis passé à autre chose et Zoxea m’a aidé à me perfectionner. Je me rappelle que lorsque l’on s’entraînait dans sa chambre, il me disait : « Essaye de monter plus haut dans tes notes, redescend pour la rime suivante ».
Sur ton album, on retrouve Hi-Fi que tu as connu à l’époque de Time Bomb…
Ca me fait plaisir qu’il soit présent sur cet album. Il y a quelques années, on a fait un classique ensemble qui est passé inaperçu : Préviens les autres. Si nous avions pu le clipper au moment où le titre est sorti, il aurait pu avoir un beau succès. Notre dernier titre, Innocence, est plus apaisé, c’est différent. Mais je suis content car il est aérien, paisible. Il n’y a pas de refrains.
Est-ce que tu as eu des propositions de majors ?
Quand notre label 45 Scientific a commencé à devenir sérieux après le premier album de Lunatic, j’ai eu de grosses propositions financières mais je n’ai pas donné suite. Humainement, leur conception de la vie ne me parlait pas. Je n’avais pas envie qu’on formate mes disques. Je suis très bien en indépendant.
Est-ce que tu envisages de sortir le premier album de Lunatic que tu avais enregistré dans les studios de Zoxea et qui n’est depuis jamais sorti…
Non, je ne veux pas qu’il sorte car j’estime que c’est un très mauvais album. Il a été fait à l’arrache même s’il y avait du cœur. A mes yeux, il a plus une valeur de mixtape que d’album. On l’a fait en un mois. Et pour moi, Lunatic c’est une page tournée, je ne veux plus en parler. Plutôt que de perdre du temps pour discuter sur la sortie de ce vieil album, je préférerai que Zoxea sorte un album et m’invite dessus, ça serait bien mieux. Ou bien qu’il vienne sur le mien. C’est vraiment quelqu’un que j’aime, c’est un frère et je préfère que l’on se tourne vers le futur ensemble plutôt que vers le passé.
Pourquoi tu rejettes autant l’idée d’évoquer Lunatic ?
Le terme du groupe ne me convient plus car il renvoie à une forme de schizophrénie. Pas entre Booba et moi mais entre moi et moi-même. Le principe de Lunatic c’était de dire, « on fait ce que l’on veut, peu importe les conséquences ». Je ne pense plus comme ça et je souhaite être cohérent avec mon état d’esprit.
Les textes de Lunatic, c’était des extrapolations ou la réalité ?
J’ai dit des choses dures mais avant de le dire, je les avais vécues.
Certains te disaient plus hardcore que Booba…
Je n’ai envie de parler que de moi. C’est vrai que sur les mixtapes de Cut Killer, j’étais très hardcore. J’avais des rages intérieures, des frustrations, des choses que j’avais vécues comme le racisme que j’avais envie d’extérioriser. J’étais révolté mais je tournais cette colère dans la mauvaise direction. Ce que j’ai appris de toutes ces années, je le raconte sur la chanson Tant qu’il est temps. A un moment je dis : « Etre fort ne veut pas dire être dur, pas de malentendus, être de pierre, c’est risquer d’être pendu, brisé, cassé, par l’inattendu ». A mes débuts, j’étais fermé et dur comme une pierre. Mais au final, il n’y a rien de plus facile à briser. Tu la jettes contre un mur, elle finit en morceau alors qu’une balle va rebondir. La souplesse est la véritable force.
Tu réécoutes tes anciens textes ?
Mauvais œil très rarement, Chaos et harmonie et le Rassemblement davantage.
Il y a des textes que tu regrettes ?
Il n’y a qu’un texte où je me dis que je suis allé trop loin c’est Le crime paie. Certains me disent : « C’est pas grave, c’est de l’art ». Pour moi, rien ne doit justifier cela. Humainement et intérieurement, je me dis que j’ai dépassé les limites. Mais je le savais déjà quand j’ai fait le morceau puisqu’à la fin, je conclus en disant : “Le crime est un piège, mon Dieu j’ai mordu l’appât”.
Le morceau Si tu kiffes pas, avait également été jugé violent à l’époque…
Oui mais il y a une proposition de ne pas écouter puisque l’on dit : « Si tu kiffes, tu écoutes pas et puis c’est tout ». Tandis que sur Le crime paie, on balance quand même “Aucun remords pour nos péchés”. Je trouve que c’est grave. Sans le réécouter, je me rends compte que je n’étais pas dans un bon élément, un bon parcours de vie. C’était un mauvais passage. Artistiquement il y a eu de bonnes choses mais sur le plan humain, je ne suis pas fier de ce que j’étais. Aujourd’hui, je suis heureux d’être libéré de tout ça.
Tu as des concerts prévus ?
Oui je suis en train de préparer une tournée. Normalement ça sera entre septembre et octobre.
Tu penses faire combien d’albums encore ?
Je sais ce que je souhaite faire mais je ne sais pas si j’irais jusqu’au bout donc je préfère rien dire. Je ne me fixe pas de limites d’âge. Je ne me pose pas de questions, j’essaye juste de faire les choses bien.
Propos recueillis par David Doucet
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