Le siècle nous a donné deux arts majeurs, le jazz et le cinéma. En 1917, Duke Ellington et John Ford font leurs premières armes. Ils ont en commun l’invention d’un style et d’un langage. Dès les années 20, Ellington initie un son qui rompt avec la tradition du dixieland, et ouvre la voie à toutes […]
Le siècle nous a donné deux arts majeurs, le jazz et le cinéma. En 1917, Duke Ellington et John Ford font leurs premières armes. Ils ont en commun l’invention d’un style et d’un langage. Dès les années 20, Ellington initie un son qui rompt avec la tradition du dixieland, et ouvre la voie à toutes sortes d’explorations musicales dont le jazz moderne est aujourd’hui tributaire. Il compose des standards qui seront repris par tous les jazzmen. John Ford est aussi le créateur de grands standards du cinéma américain qui auront droit à une interprétation bien particulière par la suite. Après Griffith, Ford s’impose comme le plus grand cinéaste américain de son temps, apportant avec lui un genre, le western. Chez les grands classiques (Vidor, Mann) aussi bien que chez les modernes (Leone, Eastwood), le cinéma de John Ford tient lieu de repère clé. Ellington et Ford sont des pionniers, mais aussi des inventeurs. Ellington introduit très tôt dans ses compositions une idée de couleur dans les orchestrations qui annoncent dix à quinze ans à l’avance le travail d’arrangeurs-compositeurs modernes comme Stan Kenton et Gil Evans. Happy go-Lucky local ou Mood indigo ont sans cesse évolué au cours de la carrière d’Ellington, qui retravaillera ses compositions avec de nouveaux instrumentistes. A l’image d’Ellington, Ford fera des retours fréquents sur son uvre et sur sa propre thématique. Ses standards sont le décor de Monument Valley, mais aussi les Indiens, les personnages récurrents qui subiront avec les années nombre de métamorphoses.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans The Sun shines bright, remake de l’admirable Judge priest, Ford nuance l’humour de la première version (déjà superbe) et enrichit les enjeux politiques du film. De même, Ellington fait d’une de ses plus célèbres ballades, In a sentimental mood, le plus mélancolique des chants quand il le réinterprète avec John Coltrane en 1962, année d’une autre grande uvre mélancolique, L’Homme qui tua Liberty Valance. Observateurs privilégiés d’un art dont ils sont presque fondateurs, Ellington et Ford en seront parmi les plus grands critiques. Les deux hommes se rejoignent aussi dans les méthodes de travail, la volonté de créer une famille : d’acteurs et de techniciens chez Ford, de musiciens et de solistes chez Ellington. Harry Carey sera le grand compagnon de route de la troupe de John Ford tandis que… Harry Carney (!) restera dans l’orchestre du Duke pendant trente-sept ans. Ford et Ellington couvriront ainsi toute l’histoire de leur art, de ses balbutiements jusqu’à ses bouleversements : l’arrivée du parlant et du microsillon longue durée, le passage à la couleur et l’apparition de la stéréo, la rupture esthétique du free-jazz (Ornette Coleman) et l’explosion de Cassavetes. Ces deux génies ne se laisseront jamais prendre de court. Liés à la grande tradition de leur discipline, ils l’ouvriront à la modernité. « Ce qui fait la grandeur de Duke, ce n’est pas son succès d’auteur de thèmes qui ont connu une belle carrière, mais bien ce qu’il a accompli dans le domaine du jazz pur » (Leonard Feather in La Mystique ellingtonienne). C’est en des termes comparables que Ford trouve aujourd’hui une telle place dans le cinéma américain.
{"type":"Banniere-Basse"}