En un court essai, l’écrivain italien propose une caractérisation détaillée du fascisme et une analyse linguistique du terme. Aussi pertinent que salutaire.
“En 1942, à l’âge de 10 ans, j’ai remporté le premier prix aux Ludi Juveniles (un concours à la libre participation forcée pour jeunes fascistes italiens – lisez, pour tous les jeunes Italiens). J’avais brodé avec une magistrale rhétorique sur le sujet : ‘Faut-il mourir pour la gloire de Mussolini et le destin immortel de l’Italie ?’ Ma réponse était affirmative. J’étais un petit garçon très éveillé.” C’est ainsi qu’Umberto Eco commence Reconnaître le fascisme. Souvenirs peu glorieux d’un enfant qui ne connaît pas encore le sens des mots liberté et démocratie.
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Si l’auteur du Nom de la rose décide, pour cette conférence prononcée à l’université de Columbia en avril 1995, de revenir sur cet épisode sombre de l’histoire de son pays, révélant au passage sa propre histoire, c’est pour une raison bien précise.
Silvio Berlusconi vient en effet de prendre le pouvoir en Italie. Certains voient dans il Cavaliere et son parti Forza Italia, proche de l’extrême droite, la résurgence, sous une forme plus soft, du Duce Mussolini.
Quatorze archétypes identifiés
Eco commence par distinguer le fascisme tel qu’il existait en Italie, de 1920 à 1940, de ses dérivés, semblables à plusieurs égards, dans d’autres pays : nazisme, stalinisme, etc. C’est surtout en linguiste, sa spécialité universitaire, qu’il analyse la spécificité de la mésaventure italienne. Avec ces questions essentielles : pourquoi le terme de “fascisme” s’est-il davantage imposé alors que l’on parle de totalitarismes stalinien, franquiste ou hitlérien?
Pourquoi les Américains emploient-ils, encore aujourd’hui, l’expression fascist pig quand ils pourraient dire “cochon nazi” ou “cochon phalangiste” ? Si le fascisme est “devenu une synecdoque, la dénomination pars pro toto de mouvements totalitaires différents”, c’est parce qu’il était “un totalitariste fuzzy” explique l’intellectuel italien, un imbroglio de notions et d’éléments disparates et parfois contradictoires (anticléricalisme, mais également catholicisme, nationalisme, élitisme populaire, jacobisme, etc.), capable de ratisser plus largement que l’idéologie monolithique hitlérienne, par exemple.
Après avoir relevé cette caractéristique, l’écrivain et sémiologue identifie les quatorze archétypes de ce qu’il appelle “l’Ur-fascisme”, ce “fascisme primitif et éternel”. Du “culte de la tradition” au “refus du modernisme” en passant par “l’action pour l’action”, “l’obsession du complot” ou “la guerre permanente”, il inventorie des spécificités terriblement pertinentes pour distinguer et définir, aujourd’hui, certains régimes et courants politiques qui sévissent de par le monde.
Reconnaître le fascisme traduit de l’italien par Myriem Bouzaher (Grasset poche), 56 pages, 3 €
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