Vertigo (Sueurs froides) est peut-être le film d’Hitchcock le plus achevé sur l’un de ses thèmes favoris : le voyeurisme. Dans la première partie, Scottie, le détective interprété par James Stewart, ne fait rien, si ce n’est suivre une femme, Madeleine (Kim Novak), et tomber petit à petit amoureux d’elle. Dans la seconde, Scottie s’évertue […]
Vertigo (Sueurs froides) est peut-être le film d’Hitchcock le plus achevé sur l’un de ses thèmes favoris : le voyeurisme. Dans la première partie, Scottie, le détective interprété par James Stewart, ne fait rien, si ce n’est suivre une femme, Madeleine (Kim Novak), et tomber petit à petit amoureux d’elle. Dans la seconde, Scottie s’évertue à transformer son fantasme en réalité, ramenant la femme aimée « d’entre les morts » pour reprendre le titre du roman de Boileau et Narcejac dont Vertigo est l’adaptation en l’occurrence Judy, son double parfait. Malheureusement, les efforts de Scottie se révèlent illusoires car le double parfait et la femme morte ne font qu’un. Plus que les autres films d’Hitchcock, Vertigo lie le voyeurisme au fétichisme et à l’impuissance que dénote cette peur du vide dont souffre Scottie. Une impuissance que l’on ne peut séparer de la mort : la fascination de Scottie pour Madeleine trouve son origine dans la fascination de celle-ci pour la Grande Faucheuse, et leur relation se termine deux fois par la mort. Madeleine meurt une première fois lorsqu’elle fait semblant de se suicider en tombant du haut du clocher. Créée dans le seul but de le décevoir, celle-ci peut disparaître tranquillement puisque Scottie la croit morte. Elle meurt une seconde fois, lorsque Scottie, comprenant que Judy et Madeleine ne font qu’une, l’entraîne de force en haut du clocher, surmonte son vertige, et voit la jeune femme terrorisée tomber dans le vide. Curieusement, la structure en deux parties de Vertigo, rythmée par les deux morts d’une même femme, ne se trouve pas dans le roman de Boileau et Narcejac, mais dans Aurélia de Gérard de Nerval, qui apparaît rétrospectivement comme la face immergée de l’iceberg Vertigo. La lecture du livre de Nerval nous oblige à considérer Vertigo comme un film palimpseste où, derrière Scottie, se dissimulerait Nerval. Aurélia fait le récit des visions d’un personnage, Nerval probablement, pendant une période de folie. Si Nerval interroge sa folie sous un patronyme féminisant, c’est parce que la femme symbolise l’espace autour duquel se cristallise le délire. Aurélia n’est pas, à vrai dire, le personnage féminin du récit, mais la forme nominative d’une absence : « Une dame, que j’avais aimée longtemps et que j’appellerai du nom d’Aurélia, était perdue pour moi. » Une perte réitérée au début de la deuxième partie de l’ouvrage : « Une seconde fois perdue ! Tout est fini, tout est passé. C’est moi maintenant qui dois mourir et mourir sans espoir. » Dans Aurélia, la mort n’est pas le néant, mais la mort dans la vie, quelque chose qui est à vivre. Hitchcock ne disait pas autre chose dans son livre d’entretiens avec Truffaut : « Il y a un autre aspect que j’appellerais « sexe psychologique » et c’est ici la volonté qui anime cet homme de recréer une image sexuelle impossible ; pour dire les choses simplement, cet homme veut coucher avec une morte, c’est de la pure nécrophilie. »
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