Une tête de bronze, apparemment posée la tête en bas, se voit dans un miroir placé derrière elle à l’endroit façon de tourner la tête au spectateur ? Si son exposition de gravures s’ouvre avec la sculpture Silhouettes (pour Ernst Mach, 1992), c’est surtout pour rappeler que Markus Raetz, artiste suisse né en 1941, […]
Une tête de bronze, apparemment posée la tête en bas, se voit dans un miroir placé derrière elle à l’endroit façon de tourner la tête au spectateur ? Si son exposition de gravures s’ouvre avec la sculpture Silhouettes (pour Ernst Mach, 1992), c’est surtout pour rappeler que Markus Raetz, artiste suisse né en 1941, n’est pas seulement graveur depuis plus de quarante ans, ayant employé près de vingt techniques différentes pour plus de trois cents oeuvres répertoriées en 1991 dans un imposant catalogue raisonné (Genève-Berne-Zürich, 279 pages, 500 f). Après le Cabinet des estampes de Genève, le Centre culturel suisse à Paris, le musée du Dessin et de l’estampe originale de Gravelines, une institution à vocation pédagogique accueille ce qui, par l’ampleur de la collection présentée, la variété des procédés représentés, ressemble d’abord à une magistrale leçon de gravure. Et pourtant, il ne s’agit pas d’une démonstration de virtuosité dont pourraient seulement profiter étudiants et amateurs. Ce serait compter sans la fantaisie de Raetz, tour à tour ludique, poétique, métaphysique sans avoir l’air d’y toucher. Car il a surtout l’art d’être là où on ne l’attend pas. Capable de se plier et d’échapper à des contraintes prises comme autant de stimuli, qu’elles soient liées à la technique, au sujet, à sa dénomination. Nowhere (1991), sept variations sur le thème bien balisé du paysage, peut se lire no where ou now here, mais il faut y voir plus qu’un jeu de mots, l’ambiguïté de « nulle part » ou d’« ici et maintenant » colorant chacune des images qu’on imaginerait peintes. L’invention des trois héliogravures de Réflexion (1991) montrant le reflet d’un visage dessiné sur un miroir et l’ombre de la main qui le tient, côtoie la rigueur des douze états de Profil iii pointe sèche (1982-83). Gravé dans l’Attentat à l’acide (1985-91), en seize aquatintes, Raetz fait disparaître Person C dans le noir comme il l’avait fait naître du blanc. Subtil dans ses Impressions d’Afrique (1980), il compose un possible portrait de Raymond Roussel. Jubilant, il imprime les truands Jim Strong et John Kling (1976) sur le plastique d’un sac poubelle, puis sur vélin. Jamais il ne sera plus léger que dans le rond de lumière qui fait pencher une Balançoire sous-titrée Nothing is lighter than light (1991). « Markus Raetz travaille à trois mains. L’une est visuelle, l’autre technique, la troisième est linguistique », note Rainer Michael Mason, précisant qu’on ne saurait « arrêter laquelle intervient la première (car) ensemble, elles ont la roue pour figure ». Il renvoie à Main-tenant
(1972), bois gravé unique qu’on a fait trois fois pivoter d’un tiers de tour en l’encrant à chaque fois d’une autre couleur le rouge, le jaune et le bleu d’un précédent portfolio (Dreifarben Mappe, 1977) dont chaque estampe résultait de la surimpression de trois planches ainsi Sphère et ombre dans son état final d’apesanteur. Ces mains se tenant mutuellement vaudraient-elles emblème pour Raetz ? Oui dans leur simplicité, les variations sur un même thème, la cohérence de l’expérimentation. Non pour ce qu’elles bouclent un circuit fermé, si peu comparable à une oeuvre faite d’échappées.
Anne Bertrand
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