Dans « Le ‘nouveau’ Front national en questions », Alexandre Dézé, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Montpellier et Sciences Po Paris, démontre que contrairement aux stéréotypes, les invariants du FN à la papa l’emportent sur les nouveautés.
1 – Non, le FN n’est pas le « premier parti de France »
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Les résultats du Front national aux élections en 2014 ont été indéniablement très élevés. Il ne faut cependant pas les surévaluer. Alexandre Dézé rappelle ainsi que son score aux élections municipales, rapporté au niveau national, n’a atteint que 4,7 % des suffrages, comme en 1995. De plus, si l’on compare ces résultats avec ceux de Marine Le Pen à la présidentielle de 2012 dans les villes de plus de 10 000 habitants où il était présent, on constate qu’ils sont légèrement inférieurs en nombre de voix. Quant aux élections européennes, ce ne sont pas 29,4% des Français qui ont voté FN, comme on a pu l’entendre, mais 10% du corps électoral si l’on tient compte de l’abstention.
Etrangement, les résultats du FN aux élections départementales constituent eux une progression, mais ils ont été relativisés du fait des prévisions encore plus hautes des sondages. Pourtant, les candidats frontistes ont fini premiers dans 43 départements, et se sont maintenus dans 1107 cantons.
Ces résultats ne suffisent pas à faire du FN le « premier parti de France », comme le prétend un slogan frontiste. Alexandre Dézé remarque que la représentation du parti reste marginale au niveau municipal, très relative au niveau régional (118 conseillers sur 1 880, aucune présidence de conseil régional), départemental (62 conseillers sur 4 108, aucune présidence de conseil départemental) et parlementaire (2 députés sur 577). Pour finir, en termes de nombre d’adhérents, le FN est encore en dessous de l’UMP et du PS, avec 42 000 militants.
2 – Non, le FN n’est pas « aux portes du pouvoir »
Depuis l’élection de Marine Le Pen en janvier 2011 à la tête du FN, et la mise en œuvre de sa stratégie de « dédiabolisation », on n’en finit plus d’annoncer que le chemin jusqu’à l’Elysée lui est déjà tout tracé. C’est loin d’être le cas, temporise Alexandre Dézé, selon lequel « si cette lecture a fini par s’imposer à force d’être tout à la fois co-construite et relayée par un trop grand nombre de médias, elle n’en relève pas moins de la fiction politique ». Le FN manque encore cruellement de cadres pour accéder aux responsabilités nationales. Parmi les quelques prises récentes qui permettaient au parti d’afficher une « ouverture », certaines furent de très courtes durées (comme celles de Pierre-Marie Coûteaux et d’Aymeric Chauprade), ou très contestées en interne (Florian Philippot). De plus, les portes du pouvoir resteront inexorablement closes pour le FN tant qu’il sera isolé politiquement comme il l’est à l’heure actuelle, en raison du système électoral : « Cet isolement constitue un obstacle majeur pour accéder au pouvoir dans un système politique dominé par le scrutin majoritaire à deux tours ».
3 – Non, le FN n’est pas devenu un « nouveau » parti
Le FN est-il devenu un parti comme les autres ? Le lifting réalisé par Marine Le Pen a-t-il vraiment changé sa face ? La réponse est encore une fois négative selon Alexandre Dézé, qui démontre en comparant la stratégie, le programme et les soutiens du FN avant et après l’accession à sa présidence de Marine Le Pen, qu’« il existe bien plus d’invariants entre le FN mariniste et le FN lepéniste que de nouveautés ». La dédiabolisation ? L’histoire du FN est celle d’une entreprise de dédiabolisation éternellement renouvelée. Rien d’inédit donc dans les mains tendues du FN à la droite, ou encore dans les micro-partis périphériques censés accueillir de nouveaux adhérents en présentant un visage respectable.
Au niveau du programme, le FN repose toujours sur ses fondamentaux : critique anti-système, préférence nationale, défense de la nation, rejet de l’Union européenne, sortie de la zone euro, rejet de l’immigration et des immigrés, désignés comme étant la cause du chômage et de l’insécurité. La réorientation antilibérale du FN date de 1992, le discours social de Marine Le Pen fait donc office de continuité.
4 – Non, Marine n’est pas l’anti-Le Pen que l’on croit
Au niveau du leadership, force est de constater que la construction médiatique de Marine Le Pen s’est fait par opposition à l’image de son père. « Cette opposition supposée est devenue l’un des arguments avancés par les nouveaux électeurs frontistes pour justifier leur vote« , note Alexandre Dézé. Pourtant les différences sont plus ténues qu’il n’y paraît, selon le chercheur qui énumère une série d’homologies discursives, et d’occasions où Marine Le Pen n’a pas désapprouvé les propos de son père. Par exemple, lorsqu’il a affirmé en mai 2014 que l’intervention de « Monseigneur Ebola » pourrait régler « l’explosion démographique » et, partant, la question de l’immigration, ou lorsqu’il a déclaré en janvier 2015 : « Je ne suis pas Charlie, je suis Charlie Martel »… Tous deux ne bénéficient d’ailleurs plus de l’immunité parlementaire (une enquête contre elle est en cours pour « incitation à la haine racial »).
5 – Non, le « Front mariniste » n’a pas coupé les ponts avec les radicaux
Enfin, au niveau de son organigramme, le FN a exclu certains individus jugés trop extrémistes de son parti, créant l’illusion d’une « purge ». Pourtant, comme le remarque Alexandre Dézé, « le FN continue d’entretenir des rapports étroits avec certains militants et groupes de l’extrême droite radicale ». Le maire FN de Cogolin a ainsi recruté un des cofondateurs de Génération identitaire (GI), Julien Langella, pour être son chargé de communication en 2014 ; et le maire FN de Beaucaire a nommé Damien Rieu, porte-parole de GI, en tant que directeur adjoint de la communication de la ville – pour ne citer que ces deux exemples.
Le ‘nouveau’ Front national en questions, d’Alexandre Dézé, éd. Fondation Jean Jaurès, téléchargeable gratuitement ici
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