La critique sociale aigre-douce de Madani.
Vingt tablettes de chocolat, deux côtes de bœuf, du foie gras à la louche, un bateau pour aller dans le Pacifique… C’est ce que rêve de s’offrir un couple de RMIstes lorsqu’il aura découvert où le vieux voisin qu’il a kidnappé a caché son magot gagné au Millionnaire. Sur des airs d’accordéon, dans un décor kitsch composé de vieux meubles posés sur un patchwork de linos, les apprentis kidnappeurs vibrent de l’existence au soleil qu’ils se préparent. Mais le vieil avare ne veut pas parler. Ses hôtes s’emportent, deviennent ses tortionnaires. Endurcie à la douleur de l’existence, la victime ne crie pas, ne souffre pas. Par dépit, ils finissent par la détacher et découvrent qu’elle n’est pas la personne recherchée. Ahmed Madani, auteur et metteur en scène, parle de la dérive et du rêve des exclus, de ceux que la « solidarité » laisse malgré tout dans l’impossibilité de payer les factures, de leurs espoirs de liberté, de leurs recherches de solutions extrêmes. Implanté à Mantes-la-Jolie depuis la fin des années 70, il est parvenu à fidéliser un public dans les banlieues en fabriquant un théâtre qui, « sans jamais oublier d’être, avant tout, un grand divertissement populaire », parle de ses spectateurs. En se produisant généralement dans des lieux non conformes (entrepôts, magasins désaffectés…), il propose un reflet poétique et drôle d’une société en crise et dirige ses projecteurs vers ceux qui sont au régime nouilles-patates et pour qui horizon/évasion riment avec béton/télévision. La promenade quotidienne de Simone, c’est l’Inter (marché). Elle n’y achète presque rien parce qu’elle n’a plus d’argent, mais elle y va chaque jour « pour ne pas perdre l’habitude ».
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Avec leurs vies organisées petitement, leurs placards étriqués pleins à craquer par peur du manque, leur crainte du regard des autres, ces personnages pourraient constituer des clichés réducteurs. Mais le vieillard aigri souffre de solitude, Simone est toute tremblante d’amour pour son mari et le couple de tortionnaires se révèle généreux et fragile. Riton (Jean-Pierre Durand), Simone (Valérie Deronzier) et le vieux (André Chaumeau) savent faire appel avec talent à des ressorts burlesques insoupçonnés.
« L’exclusion, la mise au ban d’une frange (fange ?) humaine de plus en plus importante exige que ceux qui peuvent prendre la parole le fassent avec fermeté. Le théâtre se doit, particulièrement dans les périodes les plus difficiles, de participer à la réflexion sur l’état du monde », écrit Ahmed Madani. Sa critique sociale a une belle saveur aigre-douce et le regard qu’il porte est lucide et sévère mais aussi humoristique et généreux.
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