Mue par la force du collectif et le désir de continuer à porter des projets communs, la promo 2017 du Conservatoire national d’art dramatique de Paris imprime de sa présence rafraîchissante la 71e édition du Festival d’Avignon. Rencontre au Cons’ avec une microsociété pleine d’avenir.
Cette année, le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris plane plus que jamais sur le Festival d’Avignon. En plus des deux créations signées Julie Bertin et Jade Herbulot, issues de la promo 2014 (Memories of Sarajevo et Dans les ruines d’Athènes du Birgit Ensemble), la promo 2017 participe à cinq mises en scène – trois dirigées par des metteurs en scène reconnus intervenants du Conservatoire, une autour du feuilleton théâtral On aura tout conçu par Anne-Laure Liégeois et Christiane Taubira, et une dernière dont les élèves eux-mêmes ont l’entière responsabilité.
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Au terme d’une troisième année sans cours car uniquement consacrée à la fabrication de spectacles, les trente-deux élèves ont touché à tout : danse, cirque, théâtre classique et contemporain. Nourrie de ce vécu commun, cette génération de comédiens semble très attachée à l’importance du groupe.
Une microsociété qui va s’achever en apothéose
Si certains (comme Louise Chevillotte, actrice du dernier Philippe Garrel, L’Amant d’un jour) ont un orteil dans la vie d’après-Cons’, leur désir est de poursuivre une aventure ensemble. Une partie de la promo a déjà mis en place une association et créé un festival.
Une microsociété engagée sur le chemin de l’autonomie et rompue à la rigueur de l’exigence théâtrale
Bien qu’ils aient chacun traversé ces trois années très différemment, ils ont connu et partagé des moments forts – des attentats du 13 novembre 2015, durant lesquels ils étaient en voyage de groupe au Canada ou en Russie, à Nuit debout en passant par les manifestations contre la loi travail. Petit à petit engagée sur le chemin de l’autonomie et rompue à la rigueur de l’exigence théâtrale, la microsociété qu’ils ont fini par constituer va donc avoir droit, avant de se jeter dans le grand bain, à une fin en apothéose.
Quatre des pièces précédemment citées semblent d’ailleurs présenter un résumé des enjeux d’une formation théâtrale : la construction d’un personnage (Juliette, le commencement, créée par les élèves), la mise en abîme de la fabrication d’une pièce (Impromptu 1663, mise en scène par Clément Hervieu-Léger), la crise d’identité et le jeu poussé dans ses derniers retranchements (Roberto Zucco, dirigée par Yann-Joël Collin) et l’utilisation au plateau de leur mémoire tant intime que culturelle (Claire, Anton et eux, écrite et mise en scène par François Cervantes).
Juliette, le commencement : un ambitieux début
Ecrite par Grégoire Aubin (non-élève du Conservatoire mais dont c’est la première pièce), qui en assure la mise en scène avec Marceau Deschamps-Ségura, Juliette, le commencement est le volet inaugural d’une trilogie “d’à peu près William Shakespeare”, comme le revendique l’auteur. La pièce convoque une foule de personnages shakespeariens pour les faire se rencontrer dans le même espace-temps. Mais loin de rejouer les trames classiques du génie anglais, Grégoire Aubin a choisi d’isoler les caractéristiques principales de chaque personnage.
Dans une démarche proche de l’Actors Studio, il a défini pour chacun des objectifs et des névroses. Le but de cette ambitieuse recomposition étant de créer un théâtre où l’acteur aurait tellement intégré la psychologie d’un personnage qu’un récit préétabli deviendrait obsolète et pourrait varier d’un soir à l’autre, au gré des propositions et des improvisations de chacun.
Autour d’un fil rouge narratif ténu, composé de scènes picorées dans l’œuvre de Shakespeare, qui suit la production d’un festival de théâtre, il est question de préservation de l’environnement, d’inégalités sociales, de lutte de pouvoir et d’engagement politique.
Le manifeste d’un théâtre libéré du texte
Titania, devenue une militante écologiste haïssant les humains, y croise une Juliette prolétaire, un Coriolan transhumaniste, un Macbeth frustré et une Mab révolutionnaire. Véritable manifeste d’un théâtre libéré du texte, la pièce a pour vocation d’être jouée dans des durées, des distributions et des lieux variables, allant de la rue à la cour du palais des Papes et oscillant d’un petit nombre de comédiens aux 28 (sur les 32 qui composent la promo) de la double distribution qui jouera à Avignon.
Juliette, le commencement est à la fois une tentative de réappropriation contemporaine d’un immense auteur, mais aussi du monde par une génération qui cherche à trouver sa place et ses combats. A l’heure où nous écrivions ces lignes, la pièce était encore en répétitions. Gageons que ce joyeux et téméraire abordage politique décantera d’ici le jour J.
Impromptu 1663… ou la vie en coulisses
Avec cette pièce, Clément Hervieu-Léger est au plus près de la fabrication du théâtre. Ce précipité du dramaturge classique devient le terreau d’un questionnement sur l’incarnation et la construction d’une pièce en rapport avec son public. Mise en abîme du théâtre, puisque les acteurs y répètent une pièce et réfléchissent à sa réception, cet Impromptu fonctionne selon une logique de l’affrontement entre comédiens.
La vie collective d’une troupe y est éprouvée au fil de scènes qui abolissent la limite entre coulisses et plateau, entre répétitions et représentations. Derrière les rideaux, les angoisses affleurent et les jeunes comédiens sont invités à se livrer à la réactualisation de ce texte classique.
Roberto Zucco et la folie enfouie
En choisissant de mettre en scène Bernard-Marie Koltès, Yann-Joël Collin semble avoir poussé chaque comédien à partir à la recherche de sa propre folie, comme s’ils devaient épouser la démence meurtrière du héros de la pièce. Il a recours à une mise en scène dépouillée (table, caméra, écran de projection), comme pour mieux nous mettre face à la violence sourde et à l’hystérie sous-jacente qui habitent les corps.
La schizophrénie et la tragédie pointent dans cette plongée anxiogène dans la folie
Brisant le quatrième mur autant que possible, Collin crée un système organique où circulent images projetées depuis l’intérieur ou l’extérieur du théâtre, adresses au public et affrontements sur scène. Roberto, rare personnage théâtral de serial-killer, y insémine son désir de destruction, son incapacité à contrôler ses pulsions, sa crise d’identité et son incandescence macabre. La schizophrénie et la tragédie pointent dans cette plongée anxiogène dans la folie.
Claire, Anton et eux : un melting-pot mémoriel
Ici, la méthode de travail de François Cervantes part du passé des élèves, envisagés comme des réceptacles infinis d’influences, de traumatismes et de chocs. Convoquant leurs origines familiales, leur passé amoureux, autant que l’histoire qui les a marqués ou les œuvres qui les ont nourris, Cervantes se transforme en sage-femme veillant au bon accouchement d’un héritage théâtral et personnel, d’une mémoire accumulée et parfois enfouie.
Le plateau devient un espace mental multiple où s’entrechoquent les mémoires individuelles et les corps. La pièce abolit les frontières de l’espace et du temps, n’ayant dès lors pour seule limite que l’imagination des interprètes. Et Cervantes, loin de transformer cet exercice en douloureuse mise-bas, est d’une bienveillance toute tchekhovienne. Si ces reliquats sont ramenés vers le jour, c’est d’abord pour en prendre soin, les panser pour mieux avancer.
Impromptu 1663 – Molière et la querelle de L’Ecole des femmes de Molière, mise en scène Clément Hervieu-Léger, le 19 juillet à 14 h, gymnase du lycée Saint-Joseph ; Claire, Anton et eux mise en scène François Cervantes, le 19 juillet à 18 h, gymnase du lycée Saint-Joseph ; Juliette, le commencement texte Grégoire Aubin, mise en scène Marceau Deschamps-Ségura, les 23 et 24 juillet à 17 h, le 25 à 14 h et 18 h, gymnase du lycée Saint-Joseph
Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès & Prologue sur le théâtre de Didier-Georges Gabily, mises en scène Yann-Joël Collin (représentations terminées à Avignon)
Portraits de quelques élèves du Conservatoire
Asja Nadjar
Contrairement à bon nombre de ses camarades, la vocation d’Asja n’est arrivée qu’à l’âge adulte. Née dans le Tarn, elle commence le théâtre au collège, puis poursuit en option au lycée, mais n’envisage pas d’en faire son métier. “J’adorais l’allemand, je pensais à l’époque devenir traductrice et j’ai commencé une fac de langues à Toulouse.”
Au bout d’un an dans la Ville rose, elle réalise qu’elle ne peut s’en passer : “Le théâtre me manquait énormément. J’ai réalisé que j’avais grandi en faisant du théâtre, j’avais grandi même à travers lui, à travers la découverte du monde, de soi, des émotions, des textes, de l’autre et de l’humain, qui est quand même la matière première du théâtre.”
Après quatre années au Conservatoire de Lyon et une supplémentaire en tournée avec Gwenaël Morin, elle intègre le Conservatoire de Paris. “Je suis contente d’être rentrée relativement tard car j’avais déjà une idée du théâtre que j’aimais et un vrai désir de profiter de cette formation que je n’aurais pas forcément eu à 20 ans.”
Amoureuse d’un théâtre militant – “Il doit être pensé comme une responsabilité vis-à-vis de la société et comme un moyen de résistance” – mais également friande de cinéma documentaire, elle reste fidèle à sa considération pour la maturité quand elle évoque la suite de sa carrière : “J’ai l’impression que je serai vraiment une bonne actrice quand j’aurai 40 ans, dit-elle amusée, sans doute parce que j’aime le mélange de féminité, de vécu et d’aisance qui caractérise cet âge-là.”
Hugues Jourdain
“Au départ, je voulais être comédien pour des raisons très futiles, je voulais être une star !”, nous raconte l’énergique Hugues, qui vient d’écrire et de mettre en scène sa première pièce au Conservatoire, Mon corps qui frissonne, dont le récit nous plonge dans un jouissif jeu de massacre en plein défilé de mode.
Comme plus de la moitié de la promotion, il a fait le Cours Florent avant d’intégrer le Conservatoire. Il y découvre Copi et se passionne pour un théâtre ludique : “Le seul intérêt de faire du théâtre, c’est que l’expérience collective soit partagée par les spectateurs.”
Bien qu’il aime se plonger dans l’univers des différents intervenants-metteurs en scène, son univers à lui semble déjà bien affirmé. Affectionnant les aphorismes et le comique poussé jusqu’au grotesque et à l’absurde (“je ne comprends pas la différence entre tragique et comique”), il cite volontiers Madonna, Ionesco, la série Nip/Tuck et John Waters comme références. Affirmant un fort lien avec le monde actuel, il désire mettre en place un théâtre pop et prenant à bras-le-corps la jeunesse contemporaine.
Louise Guillaume
Louise est venue au théâtre dans un second temps. Née à Poitiers dans une famille d’enseignants, elle pratique très tôt la musique et la danse : “Que cela soit la danse ou le piano, c’était la scène qui me plaisait, l’adrénaline, le rapport au public.”
Alors quand elle se blesse avant de rentrer au lycée, elle se redirige naturellement vers le théâtre, option lourde. Après le choc esthétique qu’elle vit en assistant aux Naufragés du Fol Espoir d’Ariane Mnouchkine, elle fréquente assidûment les théâtres et réalise qu’elle veut devenir actrice.
Le bac en poche, elle renonce à l’université pour passer une année tranquille au Conservatoire de Poitiers avant de rentrer en Cepit, un cycle de deux ans qui prépare à l’entrée aux grandes écoles de jeu : “Nous étions seulement huit élèves, nous avions cinquante heures de cours par semaine, c’était très intense.”
Puis elle rentre au Conservatoire dès la première année préparatoire et découvre Paris : “C’était un peu rude de me retrouver d’un seul coup à Paris dans une classe de trente personnes que je ne connaissais pas, j’avais jusque-là un rapport très intime au théâtre.” Parfois frustrée par les lectures, elle s’affirme véritablement sur le plateau.
Lucide, elle s’estime encore trop jeune pour avoir des désirs de mises en scène mais son vœu le plus cher est de poursuivre l’aventure avec les gens rencontrés pendant ces trois années au Conservatoire : “Nous avons construit quelque chose de très beau ensemble, je m’y sens à l’aise et j’ai envie de continuer à travailler avec eux.”
Florent Hu
“Mes parents m’ont inscrit en théâtre pour canaliser mon énergie, nous confie-t-il, mais je vivais dans un tout petit village dans le Nord où l’accès à la culture était très difficile.” Pendant longtemps donc, sa seule fenêtre sur le théâtre sera constituée de cette troupe amateur qu’il retrouvait chaque semaine et qu’il suivra pendant neuf ans.
“Avec notre professeur Anne Lepla, nous avons énormément travaillé sur l’improvisation et le théâtre contemporain, notamment celui de Rodrigo García. Ce qui fait que, quand je suis arrivé au Cours Florent, à 19 ans, je n’avais quasi aucune formation classique. J’ai pris une claque !”
Bien qu’il n’ait jamais été amateur de l’enseignement scolaire, il a apprécié son retour au Conservatoire : “Contrairement à Florent, le Cons’ dispense un enseignement théorique et une histoire du théâtre très riches. Je me suis mis à beaucoup lire et à avoir envie de monter ma propre mise en scène.”
Il a d’ailleurs commencé à monter Roberto Zucco avant que Yann-Joël Collin ne lui propose d’en diriger la mise en scène, tout en lui donnant une place privilégiée de co-metteur en scène.
Toutes les photos sont de Bruno Deruisseau
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