En un discours à l’Assemblée nationale, Adrien Quatennens est devenu l’un des visages de l’opposition. A 27 ans, ce député du Nord, rompu à l’art de la joute oratoire, apparaît en première ligne contre la réforme du code du travail.
Au nombre de plis qui barrent le front de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, ce 10 juillet à l’Assemblée nationale, on mesure l’inquiétude qui la submerge.
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A la tribune, d’une voix grave et sonore au débit bien calibré, un jeune député à la silhouette longiligne pilonne son projet de réforme du code du travail. “Depuis quand juge-t-on l’efficience d’un document à son épaisseur ? Trouvez-vous aussi que l’annuaire soit trop épais ? Si tel est le cas, je vous laisse me dire quelles sont les pages que vous verriez bien arrachées !”, lance Adrien Quatennens, 27 ans, en parfait équilibre sur la corde raide de l’irrévérence.
Sur le qui-vive
Pendant trente minutes, l’élu lillois du groupe parlementaire de La France insoumise (LFI), chargé de défendre la motion de rejet préalable à la loi travail, boxe sans relâche avec les mots.
Après avoir cité l’abbé Lacordaire – “Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit” –, il harangue une dernière fois les bancs macronistes, désormais sur le qui-vive : “Désirez-vous vraiment que l’histoire retienne que votre marche fut d’abord et avant tout un piétinement général d’un siècle de lutte sociale ?”
Les réseaux sociaux s’emballent
Ce jour-là, la diatribe du benjamin du groupe, à la coupe en brosse impeccable, porte bien au-delà de l’hémicycle.
Derrière son écran d’ordinateur, Antoine Léaument, le community manager de Jean-Luc Mélenchon, voit les réseaux sociaux s’emballer : un tweet de LCP (La Chaîne parlementaire) avec un extrait de son discours fait sept cents retweets, tandis que la vidéo intégrale cumule quelque 120 000 vues sur YouTube.
“L’aisance et le culot pour briller”
“Il a un impact très fort sur les réseaux sociaux parce qu’il assume une conflictualité, et qu’il utilise des mots qui claquent, surtout dans le ronron de l’Assemblée nationale”, analyse le geek de LFI, qui avait remarqué son caractère “méthodique et rigoureux” lors de la convention nationale du mouvement à Lille en octobre 2016, dont Adrien Quatennens était le coordinateur.
Même son adversaire dans la première circonscription du Nord, l’ancien ministre socialiste François Lamy, n’y est pas insensible : “Lorsque j’ai entendu son discours, j’ai dit : ‘Chapeau !’. Sur le fond, j’en partage le contenu, et sur la forme, il a l’aisance et le culot pour briller et pour être entendu.”
Dix points de retard
C’était pourtant loin d’être gagné. Le 11 juin, au soir du premier tour des législatives, l’ambiance n’est pas jouasse à l’Etoile Coffee, bar lillois où les insoumis se sont réunis.
Qualifié au second tour avec un taux d’abstention drastique, Adrien Quatennens accuse plus de sur le candidat La République en marche ! Christophe Itier (qui n’a pas souhaité répondre à nos questions).
“Nous, on va faire tout l’inverse”
Au moment de prendre la parole, le visage anguleux du Nordiste est indéchiffrable. “Il n’est pas sans émotions, mais c’est quelqu’un qui bout intérieurement”, remarque son camarade Julien Poix, qui l’a connu quand il a adhéré au Parti de gauche (PG), en 2013.
“Les amis, ce soir on a fait 5 200 voix, alors que Jean-Luc en avait fait 13 000 sur la circonscription, annonce solennellement Adrien Quatennens. On connaît les quartiers où se trouvent les réserves de voix. Certains partis ont théorisé qu’il ne fallait plus y aller parce qu’ils ne votaient pas. Nous, on va faire tout l’inverse.”
D’une courte tête
Le soir-même les insoumis lillois passent une nuit blanche à mettre en place leur plan de bataille. Le candidat ne s’économise pas, conciliant son agenda de conseiller clientèle dans le secteur de l’énergie avec celui de militant.
“Il bossait sur sa plate-forme d’appel jusqu’à la fin de la journée, et répondait aux mails concernant les activités militantes jusqu’à 3 heures du matin”, se souvient Julien Poix, qui a participé avec lui à des dizaines de réunions politiques “dans des kebabs”, à défaut de local. Au second tour, Adrien Quatennens l’emporte d’une courte tête, à 46 voix près.
Pas un hasard
Depuis, ce fils d’une employée d’optique et d’un agent EDF, lecteur de Trotski (Comment vaincre le fascisme est son livre de chevet), est passé en quelques semaines du statut d’inconnu du grand public à celui de héraut de la contestation de la loi Pénicaud.
Membre de la commission des Affaires sociales avec deux de ses collègues insoumis (Caroline Fiat et Jean-Hugues Ratenon), ce n’est pas un hasard s’il a été désigné porte-parole du groupe LFI pour défendre la motion de rejet. “Il fallait que ce soit quelqu’un de cette commission, et c’était le plus à l’aise, personne n’a contesté”, relate Eric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis et coordinateur du PG, qui l’a encouragé à gravir les échelons. L’intéressé ne s’est pas fait prier : c’est lui qui avait eu l’idée de brandir le code du travail dans l’Assemblée avant le vote de confiance au gouvernement.
Chicon Gratin
Passé par Attac et par le NPA (Nouveau Parti anticapitaliste) à sa fondation, avant d’opter pour le PG suite à la campagne présidentielle de 2012, celui qu’Alexis Corbière a rebaptisé “Adrien le Rouge” n’a pas cogité bien longtemps pour coucher sur le papier les mots qui ont piqué au vif les “marcheurs” de l’Assemblée. “Deux, trois heures”, nous dit-il. C’est qu’il n’en est pas à son premier essai littéraire : “Gamin, j’étais passionné de musique, et à 14 ans j’ai passé tout un été à rédiger dans ma piaule une biographie détaillée de Bob Marley”, confie l’élu au regard bleu cristallin.
Ancien batteur et guitariste dans un groupe de ska-punk nommé Chicon Gratin (“chicon” signifie “endive” en ch’ti), il ne jure encore que par Hubert-Félix Thiéfaine et Noir Désir. “Y a-t-il un incendie prévu ce soir dans l’hémicycle ?”, chantait Bertrand Cantat sur le titre A l’envers à l’endroit. Avec Adrien Quatennens, une étincelle y a au moins vu le jour.
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