Los Angeles, 1966 : Love est le premier groupe de rock? signé par Elektra, le fameux label au papillon. Les vapeurs hallucinogènes de l’époque dissolvent surtout leurs textes. En effet, la musique de Love donnera toujours priorité à la rigueur du format chanson, aux mélodies, aux guitares acoustiques, aux voix plaintives des leaders, Bryan McLean le mignon, et surtout Arthur Lee le métis, sosie de Jimi Hendrix.
Un art qui culminera sur Forever changes, l’un des plus beaux disques de l’histoire. Vingt-cinq ans après, presque tout le monde a oublié Love, la formation la plus pastorale et la plus mélodieuse de la Californie lysergique des mid-sixties. Arthur Lee tente aujourd’hui un retour des limbes du souvenir avec un album solo. Retrouvé sur les lieux de ses méfaits, le Sunset Strip, il nous a juré que Morrison et Hendrix, c’était lui.
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Arthur Lee : Je ne suis pas californien d’origine. Je suis né à Memphis, Tennessee et j’ai atterri à Los Angeles à l’âge de 5 ans. J’ai donc vécu la majeure partie de mon temps ici Je ne me souviens pas trop de Memphis, j’avais 5 ans (rires)? Ma mère était institutrice, mon père musicien. Ma mère s’est remariée assez vite Aujourd’hui, mon père et mon beau-père sont morts. J’étais très tôt livré à moi-même. Pour être autonome financièrement, je faisais des travaux de maçonnerie, je bossais sur les chantiers’ Quand j’allais à l’école, une fois de retour à la maison, j’étais encore à l’école (rires)? Ma mère et ma tante vérifiaient que j’avais appris mes leçons. Je ne le regrette pas aujourd’hui. Elles m ont appris à parler correctement, elles m ont aidé dans mon éducation. J’ai même commencé une année de fac, mais très vite, je me suis mis à la musique Et je n’ai jamais arrêté depuis !
Quelles étaient tes premières influences, tes premiers chocs musicaux de l’enfance ?
Quand j’étais gamin à Memphis, j’adorais les fanfares de lycée. J’entends encore la grosse caisse, les cuivres, le son jazzy J’ai commencé à taper sur les casseroles, les lessiveuses, tout ce qui était disponible à la maison. Ma mère a fini par m offrir un accordéon’ J’ai donc appris l’accordéon très jeune. J’ai aussi essayé la clarinette, mais ça, c’était vraiment trop compliqué. Ma mère touchait un peu de piano D’une certaine manière, j’ai grandi dans un environnement musical. Il y avait aussi la musique de l’église, ma tante qui écoutait du blues presque tous les matins’ Quand je voyais des disques, j’étais excité comme une puce. Surtout les disques Capitol, avec le building Capitol imprimé en argent sur le label mauve. Je me disais Un de ces jours, je ferai des disques et je serai sur Capitol.? Juste à cause de leur putain de logo, man ! Et quand j’ai formé mon premier groupe, les Grassroots, à l’âge de 17 ans, j’ai signé chez Capitol (rires)?
Est-ce qu’il y a un groupe ou un chanteur particulier qui t’a convaincu que ton avenir serait la musique ?
J’ai passé mon adolescence à Hollywood. Dans les années 60, cet endroit dégageait comme tu n’imagines pas ! Les Byrds, les Beatles, James Brown, mon groupe, Love, jouaient et se croisaient sur ce petit périmètre. Mon pote, Sunset Strip brûlait C’était génial d’avoir vécu et grandi là et de voir tout le quartier exploser.
A quel moment as-tu appris la guitare ?
La guitare ? C’est bien la dernière chose que j’ai apprise. Johnny Echols (guitariste de Love, première mouture, la bonne) me charriait tout le temps : selon lui, je n’y arriverais jamais. C’est d’ailleurs pour ça que je me suis entêté ! J’écrivais mes chansons à la guitare, je me débrouillais en rythmique, mais je n’ai jamais été un dieu de la six cordes. Je connaissais juste les bases, je gratouillais pour composer, c’est tout.
Quand tu as commencé Love, c’était pour t’amuser ou dans l’idée de faire carrière ?
La première fois que j’ai pensé au mot Love , j’étais sur le Santa Monica freeway avec Johnny Echols, c’était en 65. Ça a fait un déclic dans ma tête. Love ! C’était le nom de groupe idéal. Je n’ai peut-être pas joué dans le plus grand groupe de tous les temps, mais sûrement dans le groupe au plus beau nom de tous les temps (rires)? C’est Bill Harvey, le graphiste d’Elektra à l’époque, qui a créé notre logo. Ce logo a survécu. Maintenant, c’est mon logo (rires)? On reconnaît les pochettes des disques d’Arthur Lee grâce à ce logo. J’attends avec impatience la réaction du public à ma musique actuelle. Ça fait un an que je bosse sur ce projet Il y aura des cordes, des cuivres, toutes ces choses que les gens avaient aimées sur Forever changes.
Tu te souviens du premier concert avec Love ?
C’était dans un petit club du Strip Quelqu’un est venu vers moi et m a dit On a entendu votre chanson à la radio.? C’était Hey M. Jones par les Grassroots. Le gars croyait qu’il s’agissait de mes Grassroots, mais non, c’était les autres. C’est pour ça que nous venions de changer notre nom en Love. On jouait sur tout le circuit des clubs hollywoodiens, c’était en 65? Mes copains et moi avons démarré toute la scène du Sunset Strip. A cette époque, de l’autre côté de la rue, les Byrds passaient régulièrement au Ciro s. Ils avaient un large following grâce à M. Tambourine man. Quand les Byrds sont partis tourner en Europe, tout ce public n’avait plus rien à se mettre sous la dent, du moins dans le genre folk-rock des Byrds. La party était terminée. Alors, nous avons auditionné au Ciro s et nous avons décroché le contrat. Nous étions sur les traces des Byrds ! A notre tour, nous avons commencé à avoir un public fidèle et régulier à Hollywood.
La signature chez Elektra, ça s’est passé vite ?
Jac Holzman (président d’Elektra et futur producteur de Love et des Doors) est venu nous voir à un concert et nous avons signé. C’était en 66. C’était donc très rapide. Love était le premier groupe de rock signé sur Elektra, les Doors sont arrivés après nous. Notre histoire est proche de la leur. Ronnie Haran, alors la petite amie de Jim Morrison, est devenue plus tard notre manager. Et Pamela Courson était ma copine avant de devenir celle de Jim ! J’habitais Laurel Canyon et Pam crêchait sur Kirkwood, une petite rue qui donnait sur Laurel. Elle squattait dans un garage, elle n’avait pas le rond. J’allais la voir, je lui refilais de la bouffe, puis elle est venue s’installer chez moi J’étais amoureux, je me suis bien occupé d’elle. C’était avant qu’elle ne rencontre Jim.
Décidément, tu as tout fait avant Jim Morrison : un groupe, Elektra, Pam
Absolument. Et c’est moi qui ai conseillé au président d’Elektra d’aller voir les Doors. Ils passaient au London Fog sur Sunset, nous y sommes allés à trois : Ronnie Haran, Jac Holzman et moi. Elektra était un label réglo dans les affaires, mais pas assez riche et puissant à l’époque pour faire de Love un numéro un. Au moins, nous avons ouvert les portes aux Doors (rires)?
Comment ressens-tu le fait que les Doors soient si célèbres et légendaires alors que peu de gens se souviennent de Love ou achètent vos disques ?
Ça ne me gêne pas du tout. S’il faut mourir pour devenir mythique comme Jim Morrison, non merci (rires)? Aujourd’hui, ça lui fait une belle jambe d’être célébré par un film. Je suis heureux d’être encore vivant, d’avoir la perspective de sortir un prochain disque. Et ça m’ennuie que Jim soit mort si jeune, il a vraiment contribué à toute cette histoire Tout ce mythe mourir jeune et faire un beau cadavre , c’est fini, out. Jimi Hendrix, encore un superbe cadavre sans rides. Ce n’est pas du tout mon truc. Ma seule passion, c’est créer et jouer de la musique Je sais faire le distinguo entre les drogues et la musique. Je connais la différence entre travailler dur sur un chantier et faire le con à prendre des saloperies qui peuvent t expédier direct au cimetière. C’est vrai qu’à l’époque, la drogue était présente Moi, je voulais bien m amuser, m éclater, mais pas au point de me tuer.
Mais vous étiez les premiers et vous êtes restés dans l’ombre des Doors.
On va s’employer à rectifier cette situation (rires)? J’ai vu le film sur les Doors. J’étais censé y apparaître, mais je n’ai reconnu aucun acteur qui jouait mon rôle. J’ai vécu cette période et j’ai partagé un bout de ma vie avec Pam. L’actrice ressemble beaucoup à Pam, d’ailleurs. Et le type ressemble complètement à Jim : sa tête, ses cheveux, sa démarche, son attitude C’était assez bien fait.
Quelle était la nature de la relation entre Love et les Doors ?
Le batteur des Doors m a un jour demandé s’il pouvait rejoindre mon groupe, c’était au London Fog. Je voyais souvent Jim, il traînait au Tropicana Motel avec Ronnie Haran’ Mais on ne sortait pas souvent ensemble, nous n’étions pas des amis intimes. Je savais qui il était, il savait qui j’étais, nous nous respections, c’est tout. Je ne dirais pas qu’il m a copié, mais il était comme mon ombre. Un matin, Jim était devant mon porche, il avait l’air de vouloir me parler. Je lui ai dit bonjour, puis je suis descendu sur Sunset : une énorme affiche des Doors avait remplacé notre affiche de Love !
Et les autres groupes de L.A. ?
J’aime bien Sky Saxon, c’est un type bien.
On a enregistré quelques demos ensemble il y a environ deux ans, elles ne sont jamais sorties.
Est-ce qu’il régnait un esprit de concurrence entre les groupes ?
Je n’ai pas connu la concurrence, j’ai juste fait mon truc dans mon coin. J’étais inspiré à chaque fois que les Beatles sortaient un disque. J’aimais leur bonne humeur, leur message positif et galvanisant, leur charisme A cette époque, c’était impossible de ne pas être galvanisé par leur musique.
Et quelle était l’atmosphère de l’époque ?
Le Los Angeles des sixties était génial. Les gens étaient libres, ils s’éclataient, il y avait ce mouvement Flower Children’ C’était les meilleures années de ma vie. Avoir la liberté de s’exprimer totalement, ne pas se préoccuper de son apparence, de ses vêtements ou des conventions sociales’ C’était ça, le plus important, cette sensation de pleine liberté? Il y avait Haight-Ashbury à San Francisco et ici, le Strip était animé tous les soirs. Ciro s, le Crescendo, le Whisky, tous les clubs du Strip étaient bourrés à craquer toutes les nuits. Nous avons même joué au Hollywood Bowl quand My Little red book, notre premier single, est sorti. Notre batteur, Don Conka, nous a posé un lapin, il a fallu que je le remplace à la batterie ! C’est à lui qu’est dédié Signed D.C.
Quelle était la différence avec le L.A. d’aujourd’hui ?
Les groupes ne sont pas aussi originaux et uniques que ceux de l’époque. Personne aujourd’hui ne possède l’envergure des Rolling Stones, des Byrds’ Que ce soit mon groupe, le groupe de Jeff Beck, Led Zeppelin, nous avions tous notre son propre, notre identité irréductible. Aujourd’hui, tout le monde sonne et beugle comme Guns n’Roses. Moi aussi, il m’est arrivé de beugler, mais seulement le temps de quelques chansons ou d’un disque, pas constamment. Chaque fois que j’allume la radio ou la télé et que j’entends les hits, les chanteurs gueulent à s’en arracher la langue.
Dès le premier album de Love, tu étais le principal songwriter crédité sur la pochette. Tu étais le leader incontestable ?
Je le suis encore ! (Rires)? Et Bryan McLean était road-manager pour les Byrds. Nous avions un gig au Brave New World, un bar d’Hollywood, c’était du temps des Grassroots. Nous avons essayé d’incorporer Bryan et ça a fonctionné. J’aimais bien ses chansons, son style, son jeu de guitare acoustique J’aimais bien le folk. Si tu écoutes bien Love ou mes albums solo, tu peux te rendre compte que ce n’est pas uniquement du blues, ou du reggae, ou de la musique orchestrale C’est un ensemble d’influences diverses. Et j’en suis très heureux. Je peux composer ou jouer dans tous les styles, je peux moduler ma voix et je crois que c’est l’essentiel pour un musicien. La musique, c’est oublier les barrières, les catégories, pouvoir tout écouter, tout jouer. Je n’ai jamais descendu les musiciens qui jouent dans un style différent du mien, j’aime la variété, c’est l’épice de la vie.
Bryan écrivait-il moins que toi parce que tu étais le leader ?
Personne n’était le patron dans Love. Simplement, c’est moi qui ai réuni les musiciens, trouvé le nom, fondé le groupe. C’était mon groupe, il était tout à fait normal que l’on joue ma musique (rires)? De toute façon, Bryan écrivait moins que moi. Le songwriting, j’adorais ça. Bryan est le demi-frère de Maria McKee. Je ne sais pas ce qu’il devient, je ne l’ai pas revu depuis une paye.
Sur ce premier album, il y a des chansons comme Gazing, Colored balls falling, Mushroom clouds : la drogue semblait beaucoup influencer tes textes.
Oh oui ! (Rires)? Colored balls falling ? Waow ! Je me demande bien ce que ça voulait dire (rires)? C’était une chanson sur des ballons de couleurs qui tombent du ciel, c’est tout (il est plié de rire)? Mushroom clouds parlait de la bombe atomique. Pas très psychédélique, comme sujet (rires)? Ça n’avait rien à voir avec les champignons psychotropes, non. Quand j’ai écrit ce morceau, je n’étais pas du tout stone, je pensais à la guerre. La haine, la guerre, les gamins qui crevaient, la peur de la bombe atomique, c’était ça, le sujet L’expérience psychédélique était plutôt du côté de Colored balls falling (rires)? A l’heure qu’il est, ces ballons ont sûrement arrêté de pleuvoir (il éclate de rire)? Ça fait un bout de temps que je n’en ai plus vu (il est plié en huit)?
C’est en fumant de l’herbe que tu as vu ces ballons ?
(Il se tape sur les cuisses, larmes aux yeux)? Non, il en faudrait un peu plus qu’un joint pour apercevoir ces putains de ballons de couleurs (fou rire)? Excuse-moi. Eh non, je n’étais pas influencé par Timothy Leary. Tu es un bon songwriter ou tu ne l’es pas. La drogue n’a rien à voir là-dedans. Mais j’aimais bien me défoncer une fois de temps en temps. Les jeunes d’aujourd’hui ne veulent plus se défoncer ! Ils veulent bosser et gagner de l’argent, c’est tout. C’est là leur idée du fun. Les temps changent Turn, turn, turn comme disait la chanson des Byrds. Tu sais qu’ils avaient repiqué ça dans la Bible ? Turn, turn, turn, le temps de partir, le temps de rester ? Il y a un temps pour tout, n’est-ce pas ? La drogue ou l’alcool ne sont pas tout dans la vie. Aujourd’hui, ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir arrêter de boire. L’alcool me faisait plonger, c’était un boulet, une prison permanente. Je n’en bois plus du tout, pas même une goutte. Toutes mes frustrations, mes déprimes étaient dues à l’alcoolisme. Je m’engueulais avec les gens alors qu’à la base, je suis un type adorable. Boire est une des expériences les plus égoïstes et les plus désastreuses de ma vie.
Tu n’as pas fait d’excès dans les sixties ?
J’allais dans des fêtes pratiquement tous les soirs. Toute ma vie n’était qu’une gigantesque party. Jouer dans un groupe, s’éclater avec le public, tout ça faisait partie de la fête perpétuelle. Dans les motels de Sunset logeaient un paquet de musiciens. J’ai écrit Seven & seven is dans un de ces building de Sunset. Il y a eu beaucoup de chansons écrites sur le Sunset Strip.
De quoi parle Orange skies sur Da capo ?
C’est Bryan qui a écrit celle-là. (Il fredonne)? ?Carnivals and cotton candy ? Je l’ai toujours charrié pour avoir écrit ces lignes. Enfin, c’était son style Mais j’adorais chanter Orange skies. Bryan composait de magnifiques mélodies. Alone again or en est une autre. C’est moi qui ai rajouté le or . Pourquoi pas ? Ça rend le titre plus ouvert, plus mystérieux.
Et She comes in colors ?
Tu sais quoi, j’y pensais encore l’autre jour She comes in colors (rires)? Les Hooters viennent de la reprendre, eux aussi m’en ont parlé. ?Elle vient en couleurs? (rires)? Tu connais les femmes’ Parfois, elles ont leurs règles’ Ça ne les empêche pas de faire l’amour C’est clair, non ? She comes in colors veut dire exactement ce que ça dit.
Les groupes d’acid-rock étalaient leurs morceaux sur des faces entières. Love restait fidèle à la rigueur du format chanson.
Il y avait quand même Revelation qui occupait toute la seconde face de Da capo. C’est vrai que c’était une exception’ J’essayais d’être unique, de ne pas faire comme tout le monde. Je n’écrivais pas mes chansons selon une grille unique et immuable. Avec Revelation, je voulais juste que chaque membre de Love ait une chance de s’exprimer plus complètement avec son instrument. Chacun a eu droit à son solo.
Votre musique était très acoustique, ce qui était rare parmi les groupes de Sunset Strip.
Je jouais surtout de la guitare acoustique et Bryan était meilleur en acoustique. Ça venait aussi de mon songwriting. Nos textes étaient peut-être plus psychédéliques que notre musique En tout cas, ils t ont marqué. Colored balls, She comes in colors (rires)?
Sur la pochette de Da capo, on peut lire que Love utilisait des guitares Mosrite et des amplis Vox. C’était une profession de foi ?
C’est juste que ces marques nous ont refilé le matos gratuit en échange. C’est la seule raison pour laquelle nous les avons choisies (rires)? Dans cette affaire, je n’ai rien eu, puisque je ne jouais pas de guitare électrique !
On t’a souvent comparé à Jimi Hendrix. Finalement, c’était plus une question de physique que de jeu de guitare.
J’aimais beaucoup Jimi. L’une des premières chansons que j’ai écrites, My Diary, était chantée par Rosalie Brooks et Jimi jouait sur ce disque ! C’était vers 63. Jimi était complètement inconnu, c’était juste un musicien de studio qu’un ami m avait présenté. C’est moi qui ai inventé les accoutrements psychédéliques. A ma connaissance, j’étais le seul noir qui se fringuait comme ça. Et en 66, qu’est-ce que je vois ? Jimi Hendrix, sapé et coiffé exactement comme moi ! Comment Jimi pouvait-il s’habiller de la sorte alors que j’étais le seul ? Il n’a pu que s’inspirer de moi. Cela dit, c’était un guitariste d’exception, le meilleur que j’aie jamais entendu. Il hypnotisait le public comme personne, il dégageait une énergie et un charisme immenses, magnétiques. Nous avons eu deux petites copines en commun, dont Rosalie Brooks. Il a joué sur un titre d’Everlasting first, un de mes albums solo Jimi aimait trop de choses, trop fort. Les modes passent, il y a eu le hoola-hop, le twist, le psychédélisme, il ne faut pas laisser ces choses-là te bouffer la vie. C’est ce qui est arrivé à Jimi Peut-être que j’ai eu un bol monstre. Si tu vis ta vie dans le style Walk on the wild side, tu ne peux pas gagner, c’est le wild side qui gagne On ne peut pas arpenter le wild side tous les jours : de temps en temps, il faut changer de trottoir. Jimi me disait Il y a un temps pour partir et un temps pour rester, mais je n’ai le temps ni pour l’un ni pour l’autre.? Moi, je suis resté les bras croisés pendant une décennie. J’ai traversé des périodes difficiles’ J’ai écrit un tas de chansons, j’ai vu des groupes apparaître et disparaître et je suis toujours là. J’ai autant d’énergie qu’il y a vingt ans. J’écris mieux que jamais, je veux que Love devienne un nom aussi familier que Doors ou Beatles. Bill Graham a trouvé cette jolie formule : Love est un sympathique mot de quatre lettres’ (en anglais, un mot de quatre lettres désigne un mot grossier comme shit ou fuck ). Pauvre Bill Graham ! Je me souviens encore de l’époque où il contrôlait les tickets d’une main et balayait de l’autre.
Que sont devenues ces fameuses bandes que tu as enregistrées avec Hendrix ?
Il y aurait matière pour un album, pas plus. C’est purement instrumental, il faudrait rajouter des vocaux. Sauf sur un morceau en fait : Jimi chante sur Easy rider. Sinon, c’est plutôt une longue jam J’ai donné cette bande il y a longtemps à Bob Krasnow, le big boss d’Elektra, j’ignore si ça sortira un jour.
Venons-en à Forever changes, le troisième album de Love que beaucoup tiennent pour l’un des chefs-d’ uvre de l’histoire du rock
J’apprécie le compliment. A cette époque, je croyais que j’allais mourir. Forever changes devait être mon dernier message à la planète (rires)? Sérieusement ! Je ne peux pas t expliquer pourquoi Un feeling, une intuition’ Je pensais dur comme fer vivre mes derniers instants sur terre. J’aime beaucoup mon style de composition et d’écriture sur cet album, les mélodies, les orchestrations de cordes et de cuivres. Sur le nouvel album, il y a des arrangements qui te rappelleront Forever changes. Pourquoi je refais ce genre d’orchestrations ? Parce que beaucoup de gens s’imaginent que le son de Forever changes était surtout dû à Bryan McLean. Bryan a fait Alone again or, point final. Tout le reste, c’est moi et David Angel qui l’avons arrangé et produit. Et sur mon nouveau disque, il n’y aura pas David Angel, juste moi ! Ce n’est pas moi qui écrivais les partitions de cordes et de cuivres, mais je les sifflotais, je les jouais à la guitare et je donnais les directives à David. Forever changes est-il un disque de musique psychédélique, de folk, ou bien de musique classique ? Je laisse la question ouverte, chacun peut apporter la réponse qui lui sied. En tout cas, quand je croyais ma mort imminente, je ne pensais pas me planter à ce point (rires)? C’est une grande surprise pour moi d’être encore vivant !
Il est étonnant qu’un natif de Memphis soit plus influencé par la musique classique que par le rhythm’n’blues.
J’ai toujours aimé la musique classique. Et le blues. Et le rock’n’roll. J’aime la bonne musique, quelle qu’elle soit. Je suis capable de tout jouer. La musique, c’est avant tout une mélodie séduisante, une bonne sensation’ Dans les années 60, je ne disposais pas de toute la technologie actuelle, j’expérimentais au jugé. Aujourd’hui, j’aime bien tous ces appareils, ils me simplifient la vie Ma nouvelle musique est parfois très atmosphérique, certaines chansons sont faites pour créer une sensation de bien-être. Je suis toujours en train d’essayer d’enregistrer la musique idéale que j’entends dans ma tête C’est ce que j’ai toujours tenté avec Love. J’aime tous les albums de Love, Forever changes n’est pas obligatoirement mon favori. Peut-être qu’un jour, j’arriverai à pondre le disque que j’aime par-dessus tout.
Sais-tu que des Anglais comme Damned reprennent tes chansons et que Jesus & Mary Chain portent des T-shirts à l’effigie de Love ?
J’aime beaucoup la reprise des Damned de Alone again or? Quant aux autres, comment tu dis, déjà ? Jesus & Mary Chain ? Jamais entendu parler. Je sais aussi que Liquid Jesus a repris Seven & seven is, on l’a utilisée pour la BO de Point Break. J’aime bien ces reprises, ça me plaît d’entendre différentes versions d’un même morceau, je ne suis pas du genre à être choqué par une relecture de mes chansons. Quand j’ai commencé Love, jamais je n’aurais imaginé qu’un jour, des types voudraient jouer ma musique. C’est très flatteur. Quand j’écrivais ces chansons, je ne le faisais pas en fonction de l’époque, je pondais des trucs que les gens pouvaient fredonner. C’est peut-être pour ça qu’on m a dit que j’avais vingt ans d’avance sur mon temps. Je composais ce que je ressentais, je n’écrivais pas Baby I love you, wop doo wop ? J’écrivais sur mon environnement, mon expérience, ma vie Finalement, il y avait très peu de love-songs dans Love (rires)?
Quel est à ton avis le plus bel héritage des sixties ?
L’amour, la paix, la liberté de s’exprimer étaient les grandes valeurs de l’époque. Mais il fallait toujours nourrir ses enfants et payer les factures. Tout le truc libérez ceci, libérez cela était génial, j’en ai bien profité, mais’ les responsabilités ont été un peu oubliées. Après, dans les 70 s, on a commencé à regarder de travers les types à cheveux longs. C’était pénible, ça a vraiment enlevé le putain de j’ au mot joie A la base, je crois que les êtres humains sont bons, que cette planète est un bon endroit où vivre. Les nouvelles qu’on entend aux infos sont gonflées par les chaînes de télé dans le but d’appâter le spectateur et de faire de l’audience. On monte toujours en épingle les nouvelles négatives, les meurtres, les viols’ Moi, je suis persuadé que tout le monde aime bien s’amuser et qu’on est tous là pour ça. Et jouer de la musique donne du plaisir aux gens. Les sixties étaient pour moi la période la plus propice pour écrire et jouer de la musique. Je suis fier de ma musique et du nom, Love. Ce nom ne dit pas d’aller tuer son voisin ou d’arnaquer son prochain. Ce nom s’épèle a-m-o-u-r. Et je m’en fiche si j’ai l’air ridicule ou dépassé dans cet entretien. Le mot Love n’est ni ridicule, ni absurde, ni dépassé. Mon nom est Love, le monde est Love, Dieu est Love… Et mon prochain album s’appellera Hate (nouveau fou rire)… Non, Arthur Lee & Love.
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