Dans son « Nouvel éloge de la masturbation », le psychiatre et sexologue Philippe Brenot retrace l’histoire du tabou de la masturbation et clame haut et fort les bienfaits de « l’auto-érotisme ».
Dans Jeune et jolie, François Ozon cumule quelques scènes de relations sexuelles (et tarifées) mais filme également son héroïne, Isabelle (Marine Vacht), en train de se masturber. A l’heure de la sieste collective, le frère d’Isabelle traîne dans la maison et se rend jusqu’à la chambre de sa sœur. Là, par la porte entrebâillée, il la découvre avec stupéfaction de dos, en train de se frotter l’entrejambe sur un oreiller. La scène, érotique au possible, interpelle, tout simplement parce qu’on ne voit que très peu de scènes de masturbation (féminine ou masculine) au cinéma. Dernièrement, on en a aperçu dans des séries (Betty Draper et sa machine à laver dans Mad Men, Marnie dans les toilettes d’une galerie d’art dans Girls). Avant, on en avait vu, entre autres, dans Ken Park de Larry Clark, American Pie, American Beauty, Black Swan. Shame.
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Une scène de masturbation figurait également au scénario de L’Effrontée de Claude Miller, raconte Philippe Brenot, sexologue et psychiatre, dans son Nouvel éloge de la masturbation, nouvelle publication, enrichie, d’un premier éloge paru en 1997. Le réalisateur l’avait tournée mais n’a pas eu le courage de la monter. Une anecdote qui trahit, selon lui, le tabou entourant la masturbation, dont il retrace l’histoire dans son ouvrage.
Animalcule et onanisme
Aux XVIe et XVIIe siècles, la masturbation était largement ignorée voire tolérée, comme en témoigne la Vénus d’Urbino, peinte par Titien en 1538, qui représente une femme nue allongée sur un lit, la main au niveau de son entrejambe. « Au XVIe siècle ce n’est pas interdit, même s’il y a peu de représentations et qu’elles concernent les femmes » raconte Philippe Brenot, joint par téléphone. Le tabou entoure alors l’acte masculin car « on ne pouvait pas à l’époque montrer un sexe en érection, encore moins branlé« .
C’est en 1677 avec la découverte du spermatozoïde, alors appelé « animalcule » car perçu comme un petit animal, par Leeuwenhoek que débute véritablement la répression envers la masturbation. « Au même titre qu’aujourd’hui la contraception, toute méthode de dérivation du sperme en dehors des voies naturelles sera violemment condamnée par la morale chrétienne, le rapport fécondant étant alors le seul licite aux yeux de l’Église » écrit Philippe Brenot dans son essai. Pour lui, cette répression est à mettre sur le compte d’une « angoisse de la mort« : « Le meurtre de l’humanité et une menace de fin du monde surgissent maintenant en filigrane de tous les moralistes« . A commencer par le pasteur Membrini, auteur en 1758 de L’Onanisme, dans lequel il écrit: « Perdre ses germes ou les déplacer c’est en supprimer la destination, c’est violer la loi de la nature, la loi de Dieu… c’est ne faire rien moins que d’anéantir le système de la création« . Le terme biblique d' »onanisme » – qui désigne pourtant un coït interrompu – est alors substitué à celui de « masturbation », « tous deux concourant à un même résultat: la perte de semence » résume Philippe Brenot.
Mais les Églises catholique et protestante ne sont pas les seules à partir en croisade contre la masturbation : le milieu médical la prend lui aussi en grippe. En 1758 paraît ainsi le Testamen du médecin Samuel L.D Tissot, ami de Jean-Jacques Rousseau, qui assure que la masturbation engendre de graves maladies et s’en prend à l’imagination, mère de tous les maux : « Un coït modéré est utile quand il est sollicité par la nature. Quand il est sollicité par l’imagination, il affaiblit toutes les facultés de l’âme« , déclare-t-il.
Le mythe de la femme phallique
Si la morale médicalo-chrétienne reproche à l’homme de gaspiller son sperme en se masturbant, elle s’effraie également à la vue du clitoris et de ses ressemblances avec le pénis. Un discours qui débouche sur le mythe de la femme phallique, égale de l’homme et indépendante, ce qui ne plaît évidemment pas à la société patriarcale et misogyne de l’époque. « L’autosuffisance féminine signe en quelque sorte une indépendance qui n’est pas du goût des hommes« , analyse Philippe Brenot.
Au début du XXe siècle, c’est au tour de Freud de livrer bataille contre le clitoris. Le psychanalyste voit dans la masturbation clitoridienne un acte infantile, « une activité masculine« , et assure que « l’élimination de la sexualité clitoridienne est une condition du développement de la féminité ». Une pensée qui a débouché sur une distinction entre l’orgasme vaginal et l’orgasme clitoridien. Véhiculée encore aujourd’hui, elle serait tout bonnement inexistante selon Philippe Brenot, qui la résume à « une construction sociale« .
« Dangereux supplément«
L’histoire du tabou de la masturbation est également très bien résumée dans un « glossaire masturbatoire » qui clôt l’ouvrage avec originalité et humour. Y sont compilés les termes et expressions négatives utilisées dans les siècles passés pour renvoyer à la masturbation. Jean-Jacques Rousseau la qualifiait de « dangereux supplément » et de « funeste avantage », tandis que Diderot, lui, l’appelait « l’instant délicieux », « la chose douce ». D’autres employaient les mots de « divertissement enfantin », « esclavage habituel », « humiliation de la nature », « malheureux penchant », « lascivité secrète », « paroxysme hystérique », « offense à Dieu », « vice infantile », « tromperie de la nature », « turpitude funeste », « turgescence maladive »….
Plus qu’une histoire de la masturbation, l’ouvrage de Philippe Brenot est surtout, comme son nom l’indique, un véritable éloge, visant à « aider chaque femme, chaque homme, à se libérer des idées fausses et d’une culpabilité d’un autre temps. » Car, pour le sexologue, le tabou entourant cette pratique solitaire n’a que légèrement régressé depuis la parution de son premier ouvrage sur le sujet. Mais faut-il réellement parler de tout ? Certains tabous ne seraient-ils pas nécessaires ? « C’est le dernier tabou de la morale sexuelle occidentale qui doit rester tabou car la masturbation relève de l’intime. Mais le paradoxe c’est qu’il faut en dire un mot car sinon les gens ne savent pas quoi en penser et se sentent coupables » nous répond-il, avant d’affirmer : « la masturbation nous donne de l’énergie sexuelle et participe à notre équilibre« . Vous savez ce qu’il vous reste à faire…
Nouvel éloge de la masturbation, Ed. L’Esprit du Temps, 2013, 12€
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