Plus elle est grande, mieux c’est. Si le fantasme des macrophiles a de tous temps nourri l’art, il trouve avec le web, un véritable exutoire.
On s’était habitué à voir Selena Gomez jouer les pom-pom girl dans des séries niaises pour ados, mais sur le web, l’amie de Justin Bieber apparaît dans un autre registre. Traversant New York du haut de ses talons compensés, Selena écrase des voitures d’un simple mouvement de pouce et domine les hommes d’un regard céleste. En l’espace de quelques années, l’ancienne égérie de Disney est devenu le fantasme préféré des macrophiles, ces hommes qui rêvent d’un monde peuplé de déesses plus hautes que la Tour Eiffel. A coup de photomontages, ces web-fétichistes parviennent à donner l’illusion que Selena Gomez tutoie les gratte-ciel.
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Si, à en croire Jacques Séguéla, internet est responsable d’une grande partie des maux de notre société, l’attirance pour les femmes géantes n’a pas attendu le web pour éclore. Depuis longtemps, elle nourrit l’imagination des écrivains et des cinéastes. « J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante, comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux », écrivait Beaudelaire dans Les Fleurs du mal. Dans le septième art aussi, les géantes ont eu leur quart d’heure warholien. On songe à L’Attaque de la femme de 50 pieds de Nathan Juran, petit bijou de série B mais aussi au fameux film à sketches italien sixties Boccace 70. Dans l’épisode réalisé par Fellini, c’est une affiche publicitaire géante d’Anita Ekberg vantant les bienfaits du lait, qui rend fou le prude docteur Antonio, jusqu’à ce que le modèle s’anime et que la vamp de 10 mètres ne descende de son panneau pour poursuivre et affoler le vieil homme.
Un fantasme imaginaire qui devient possible grâce au web
Mais c’est véritablement sur le web que ce fantasme imaginaire a trouvé une forme d’exutoire. Regroupés sur des sites de porn autour du tag (mot clé-ndlr) « giantess », ce petit groupe de fétichistes partagent le même fantasme impossible : celui de faire l’amour en compagnie d’une femme géante quitte à prendre le risque de périr écrasé sous ses pieds ou asphyxié entre ses seins.
Le site Clips4sale.com sert d’eldorado à la « communauté macro « . Sur ce qui est devenu la plus grosse plate-forme de vidéos fétichistes à la demande au monde, des producteurs – professionnels mais surtout amateurs – proposent de vendre directement aux consommateurs leurs clips. Pour réduire les hommes à leur plus petite condition, celle d’un lilliputien soumis, les actrices X ont recours à différents subterfuges : utilisation de petits soldats verts en plastique, de Lego ou bien encore de maisons de Polly Pocket. « Sur Clip4sale, des femmes se filment en super contre-plongée en plaçant la caméra au sol pour donner l’impression d’être gigantesque, explique Stephen des Aulnois, créateur du Tag Parfait, site spécialisé dans la culture porn. Certains vidéastes ont même recours à la représentation 3D ou à l’incruste vidéo sur fond vert en contre plongée pour réussir ce tour de passe-passe ».
Aux États-Unis et au Japon, la macrophilie bénéficie d’une véritable visibilité. Sur le web, les « Gulliverian » échangent des images, des détournements photos et même des études scientifiques pour étudier les conditions de viabilité des « Giantess » sur la planète bleue. Au sein de cette communauté, Ed Lundt fait figure de père tutélaire. En 1988, il édite le premier magazine au monde uniquement consacré aux femmes géantes. Interrogé par Libération, Ed Lundt justifiait ainsi ce fétichisme : « Aux USA, la macrophilie est un véritable phénomène de société parce que les hommes en ont assez d’être des héros virils qui assurent en permanence. Ils veulent remettre leur volonté entre les mains d’une maman symbolique. »
Les macrophiles prennent du plaisir à cultiver leur sentiment d’infériorité
Quels sont les ressorts de cet étrange fantasme ? Parfois bousculés dans leur virilité par des businesswoman qui leur tiennent la dragée haute, les macrophiles prennent du plaisir à cultiver leur sentiment d’infériorité. Sur le forum Doctissimo, véritable confessionnal de la sexualité francophone, un macrophile s’épanche :
« Je suis fasciné par les géantes : l’idée d’une femme immense (genre 50 mètres ou plus) m’excite au plus haut point ; mon plus grand fantasme demeure la destruction d’une ville par une femme, façon Godzilla, celle-ci semant la terreur, brisant et piétinant tout sur son passage, disposant des minuscules humains à sa merci comme de jouets, d’insectes ou de friandises ».
Le psychanalyste Jacques André, auteur de La sexualité masculine (Édition PUF) estime que ce fantasme renvoie à une image d’enfance. « C’est comme si le macrophile regardait toujours les femmes avec ses yeux d’enfant, explique t-il. Lorsque vous avez cinq ans, votre mère est toujours une géante face à vous. Disproportionnée par la taille et l’amour qu’elle dégage. Tout au long de votre vie, votre inconscient se demande comment répondre à cette démesure. »
Victime de leur imagination ?
En son temps, Lacan avait expliqué que le fétichisme est avant tout la recherche par l’homme chez la femme d’un phallus symbolique dont il ne parvient pas à imaginer l’absence. Cela fait dire à Jacques André que « le gigantisme de la femme géante renvoie à cette recherche d’un phallus gigantesque et puissant chez la femme. N’importe quel fétichisme porte les réminiscences de l’enfance mais dans le cas de la macrophilie, l’infantilisme semble très marqué. Comme dans leur jeunesse, la femme sera toujours une grande personne aux yeux des ‘macro‘ ».
Le sociologue Philippe Rigaut, auteur de Fétichisme perversion ou culture ? (Édition Belin) explique que ce fantasme gynocratique en regroupe d’autres: « La vénération des pieds d’une géante chez les macrophiles renvoie au fétichisme du pied ou bien à celui de l’écrasement« , explique t-il. Une manière d’expérimenter ce type de fétiche est d’ailleurs possible aux États-Unis où des grandes escortes bodybuildées organisent des séances de fétichismes privés dans lesquels elles piétinent et malmènent leurs clients à coups de jeux de rôles et de séances domination. Et si les macro étaient finalement victimes de leur trop plein d’imagination ? C’est l’hypothèse qu’avance Philippe Rigaut.
« Toute la singularité des macrophiles tient au fait que l’objet de leur désir ne peut tout simplement pas exister et supposent qu’ils doivent le créer pour l’assouvir. C’est une situation très démiurgique. »
Si dans les cinquante ans à venir, l’avenir du sexe réside dans la virtualité, les casques orgasmiques et les hologrammes 3D à en croire les prévisions pessimistes du philosophe Milad Doueihi, il se pourrait bien que les « macrophiles » aient un temps d’avance avec leurs déesses ex machina de 50 pieds.
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