Comme des chats dans un jeu de quilles, les cinq Londoniens rigolos du Family Cat renversent les tendances. Exit les wah-wah amphétaminées et les beats à la mode : ici, c’est l’enthousiasme bon enfant qui rythme les soirées. D’où logique bouderie de la presse consacrée. Mais demain ? Cinquante millions d’amis ?
Les journalistes anglais ne nous aiment pas beaucoup. Nous n’appartenons à aucune hype, à aucun mouvement, nous ne sommes pas « cool », donc les journaux nationaux ne nous poussent pas particulièrement. Je crois que c’est d’autant plus flatteur de sortir du lot dans ces conditions plutôt précaires. En fait, nous devons notre succès à la scène, à nos concerts. Nous avons tout d’abord sorti un premier 45t qui nous a permis de trouver facilement des dates aux quatre coins du pays. C’était fin 1988. Puis le bouche à oreille a fonctionné, les gens qui nous avaient vus à Brighton comme à Leeds parlaient de nous à leurs amis, en des termes assez élogieux, je crois. Ce qui fait que pour le concert suivant, il y avait deux fois plus de public dans la salle (sourire)? Nous avons maintenant un statut de groupe reconnu bien que méconnu, nous recevons énormément de lettres de fans, mais notre succès conserve toutefois un caractère très underground. Nous avons cette réputation de groupe exceptionnellement bon sur scène, car nous y mettons tout notre c’ur. La presse nationale se contente donc de rédiger quelques chroniques de nos concerts, où les journalistes admettent nos qualités. Cela les débarrasse du cas Family Cat.
Ah, eux ? Ils sont très bons sur scène. Les disques ? Je n’en sais rien, je ne les ai jamais écoutés.?
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Tu sembles amer.
Non, pas vraiment, car je sais qu’ils y viendront. La force est de notre côté, pas du leur. C’est toujours comme ça avec les journaux, les types se réveillent deux ans après le début de la bataille. Regarde : Manchester, par exemple. La plupart des journalistes doivent croire que James s’est formé en 87? Dans quelques années, ils s’imagineront que Family Cat s’est formé en 92 (rires)? Je crois que si notre style de musique, la power-pop, était à la mode, nous serions énormes. Seul Ride a réussi à vaincre la hype Manchester, dans un style qui n’est pas si éloigné du nôtre, ce qui rend leur succès d’autant plus extraordinaire et admirable. Eux aussi se sont fait une réputation de groupe de scène, où je les trouve très bons. Les groupes pop comme Family Cat sont tout simplement aux antipodes des groupes à la mode, dont les disques se vendent parce qu’ils passent en radio. Les nôtres se vendent parce que nous sommes bons sur scène. Cela marque une grosse différence : le public de The Farm est passif, le nôtre est actif. Et le public actif, celui qui fait preuve d’intelligence, de rigueur dans ses choix, est toujours plus fidèle. C’était le cas du public de groupes comme The Clash, par exemple, dont je faisais partie. On n’allait pas à un concert de Clash comme on va à un concert de The Farm aujourd’hui, il y avait tout un culte, une adoration. Le public jouait un vrai rôle, c’était comme un cinquième musicien. J’aurais vendu ma petite s’ur pour les revoir une dernière fois sur scène.
Votre dernier concert londonien m a justement fait penser à Clash, par l’énergie que vous déployez et cet enthousiasme évident qui semble vous unir. D’où vient cette excitation ?
Elle vient de notre musique, tout simplement. Ça s’est toujours passé de la même façon, depuis notre tout premier concert, devant cinquante copains. Il y a une énergie ambiante incroyable, qui sort des guitares et se transmet au public. Ensuite, les gens nous renvoient cette force qui se met à tourner en boucle dans la salle, telle une tornade électrique Tu as l’air de douter de mes explications scientifiques ? (Rires)? D’un côté de la scène, Tim et Jelb, les deux guitaristes, sautent dans tous les sens tels des créatures venues d’un autre monde. Derrière, notre petit batteur Kevin bouge la tête comme un damné, et moi devant, je fais le malin (sourire)? J’ai toujours voulu me faire remarquer.
Les paroles sont-elles aussi un moyen de véhiculer cette énergie qui anime vos concerts ?
Les paroles peuvent exciter le public, tout comme elles peuvent le laisser froid. En fait, c’est davantage la façon de les interpréter qui peut permettre de déclencher l’excitation. Regarde les textes de Morrissey. Peux-tu imaginer Bon Jovi chantant I’m the last of the famous international playboys ? Le malheureux serait ridicule. Personnellement, j’essaie toujours d’éviter les clichés du rock. Prenons l’exemple de u2. Lorsque j’entends Bono déblatérer ses sermons à la radio, j’éteins tout de suite le poste, pas parce que le message est mauvais, car au contraire Bono a souvent raison, mais simplement parce que l’idée même du rocker moralisateur est un triste cliché. Je hais les paroles prévisibles, déjà entendues chez d’autres groupes. Je n’écris jamais de paroles liées à la politique car c’est un exercice très difficille. Je ne suis pas aussi bon que Costello, qui est capable, lui, d’écrire des textes engagés. Par contre, j’essaie d’innover, de chanter sur des sujets différents, originaux, avec des paroles accrocheuses qui peuvent exciter le public. Je trouve beaucoup de sujets en regardant la télé. Je crois que c’est aussi ce que fait Morrissey, que je trouve excellent, même si nos styles musicaux n’ont rien en commun. Voilà quelqu’un qui jongle avec les clichés sans jamais se laisser complètement absorber, il ne chante jamais l’amour comme d’autres avant lui, il sait toujours être drôle et cynique. What she asked of me, at the end of the day, Caligula would have blushed’?, dans Reel around the fountain, quelle grande phrase ! Morrissey se choisit toujours des sujets difficiles, hasardeux, presque tabous et il arrive à chaque fois à en faire des chansons au parfum doucereux. Je l’admire énormément, même s’il y a aussi quelques textes des Smiths que je n’aime pas, comme Oh, take me to the Moors’ dans Suffer little children. Là, il n’y a plus rien d’excitant, on dirait Joy Division.
Serais-tu blessé si je te disais que je vous trouve très drôles sur scène ?
Pas du tout, car je le conçois aisément. C’est dû à l’excitation ambiante, à la nervosité qui transforme certaines situations en moments très loufoques. Par exemple, Tim, le guitariste, portait des tongues pour le concert que tu as vu. Mais ce n’était pas pour faire le mariole, c’est parce qu’il avait oublié ses chaussures. Il est arrivé à la salle pieds nus, alors il est allé au magasin le plus proche. Comme nous ne sommes pas très riches, il s’est acheté une paire de tongues. Et il a fini le concert en jouant de la guitare à l’aide d’une de ses tongues, ce qui était hilarant.
Mais l’idée même de jouer dans Family Cat est très sérieuse. C’est d’ailleurs certainement la chose la plus sérieuse que j’ai faite dans ma vie. Il y a des tas de groupes tout à fait sérieux qui sont très drôles en concert. Un de mes groupes préférés était Birthday Party et lorsque mon copain Harry et moi allions les voir, on se mettait toujours sur la gauche de la scène pour épier chaque geste de Roland Howard, le guitariste, qui était à la fois hystérique et hilarant. Il jouait très sérieusement pendant cinq minutes, puis il balançait aux gens du premier rang une grimace à vous faire mourir de rire. J’adorais ça, son gros pif, ses mimiques, son enthousiasme. C’était un vrai spectacle. Je crois qu’il faut une bonne dose d’humour dans un concert, on ne peut pas se produire devant mille personnes en restant sérieux pendant une heure Family Cat n’est pas un groupe de clowns, mais l’humour finit toujours par s’emparer de nous. Cela me fait penser à Tommy Cooper. Tu connais Tommy Cooper ? C’est un Anglais qui voulait absolument être magicien. La bbc l’avait pris à l’essai pour un show de magie en direct mais Cooper était tellement nerveux et mauvais qu’il a raté tous ses tours. C’était hilarant. L’émission a eu un succès formidable, ce qui fait que Tommy a été maintenu au programme pendant six mois. Il ne réussissait toujours pas un seul de ses tours et tout le monde se marrait. Finalement, à force de travail, il a réussi un tour avec des lapins, involontairement. La semaine suivante, il était viré.
Vous avez l’air très unis’
Oui, nous sommes des copains depuis des années. Je pense que ça se voit sur scène.
Avez-vous grandi ensemble ?
Non, pas vraiment. Les deux guitaristes et le batteur viennent de Cornouailles et jouaient déjà ensemble avant Family Cat. Je viens de Southampton, sur la côte sud. John, le bassiste, est originaire de Bristol. Nous nous sommes tous connus à un match de football, à Arsenal, qui est l’équipe que nous soutenons. Et nous avons raison, puisqu’elle gagne (rires)? Nous sommes également très amis avec John, qui s’occupe du label Bad Girl et qui est un autre supporter d’Arsenal. Il nous connaît depuis longtemps et a toujours voulu nous signer. Ma manière à moi de ne pas travailler était de former un groupe de rock. Puisqu’il ne savait ni jouer ni chanter, sa manière à lui de fuir la routine du boulot était de monter un label.
Etes-vous satisfaits de son label, Bad Girl ?
Tout se passe très bien avec John, mais maintenant que nous avons vendu plus de dix mille albums en Grande-Bretagne, certaines majors voudraient nous récupérer. Je ne sais pas trop ce que nous allons faire J’aimerais rester sur Bad Girl pour ne pas trahir un des seuls labels indépendants réellement performants du pays. Les choses deviennent de plus en plus dures pour les indépendants car le système de distribution de ces petits labels fonctionne très mal. Nous sommes assez tentés par l’idée d’une distribution performante, que seule une major pourrait nous offrir.
D’où avez-vous tiré cet incroyable nom de groupe, The Family Cat ?
Ça vient du recto d’une pochette de Strawberry Alarm Clock, un groupe psychédélique et garage des années 60. Je trouve que c’est le plus beau nom de groupe du monde, à la fois drôle et charmant.
(Il balbutie en français) Le chat de la famille (rires)? C’est à partir du jour où nous avons trouvé ce nom que j’ai su que c’était le bon groupe pour moi. Je savais que ça allait fonctionner entre nous.
As-tu été surpris quand le moment d’enregistrer un disque est finalement arrivé ?
Non, pas vraiment. Quand j’y pense, il était tout à fait inévitable que je me retrouve un jour à chanter dans un groupe. J’y étais prédisposé. Je suis né pour ça. Lorsque j’achetais des disques de Bowie ou de T-Rex, je m imaginais chanteur. Je me confectionnais un micro en bois et je passais des heures devant la glace. Aujourd’hui, je passe toujours des heures devant ma glace, mais ce sont les disques de Family Cat qui tournent sur la platine (sourire)? A l’école, je me suis toujours senti particulier. Je n’étais pas vraiment rebelle, mais je me sentais spécial. C’est amusant, je suis actuellement en train de déménager et j’ai retrouvé en rangeant ma cave un carton plein de photos de mes années de collège. J’avais toujours une coupe de cheveux diamétralement opposée à celle de mes copains. Quand la mode était aux cheveux en brosse, je ressemblais à Bryan Ferry aux débuts de Roxy Music. Et quand la mode était aux cheveux longs, j’avais le crâne rasé. Je ne voulais rien faire comme les autres. J’écoutais des trucs à part, je claquais tout mon fric dans les disques et la bière brune.
As-tu conservé cette passion pour les disques ?
Oui, mais j’ai quelques difficultés à me concentrer sur les nouveautés. Je ne me sens pas très excité par le nouveau single de Swervedriver ou par ces idiots de Manic Street Preachers. J’ai toujours tendance à vouloir analyser leurs disques et je les trouve souvent très mauvais. Je continue par contre à explorer les richesses des sixties. J’ai acheté deux disques hier. Un de Tim Rose et un des Misunderstood. Et ces deux albums sont fabuleux. Le type du magasin m a dit : Je suis très étonné que tu ne connaisses pas Tim Rose ? Je lui ai répondu que j’étais ravi de ne pas connaître Tim Rose, parce que j’allais pouvoir le découvrir avec l’innocence du gamin qui entend London calling pour la première fois. Tu ne crois pas que ce serait très excitant d’entendre Andy Warhol du Velvet Underground pour la première fois ?
Tu sembles fasciné par Nico, ainsi que par Tom Verlaine, qui donne son nom à une de vos chansons.
Je suis fasciné par ce côté underground qui semble les posséder pour toujours. Il est clair que si Tom Verlaine vendait des millions de disques, il perdrait à mes yeux une grande partie de ses qualités. J’aime les gens qui échouent. Et ces deux-là se sont bien plantés (sourire)? La mort de Nico est la chose la plus triste et la plus déprimante au monde, mais au fond, cette mort nous arrange bien. Nous préférons tous la savoir morte d’une chute de vélo plutôt que de mort naturelle à 82 ans sur l’île de Wight, non ? Cette mort stupide ajoute un petit quelque chose à son personnage, un côté dérisoire qui ressemble fort à un clin d’œil du diable, une dernière blague satanique. En ce qui concerne Tom Verlaine, je tenais à lui rendre un humble hommage, car je suis peut-être le plus grand fan du monde de Television. Marquee moon est ma chanson préférée de tous les temps. C’est le premier maxi que j’ai acheté de ma vie, je me souviens, il coûtait 57 pence. Quelle claque, ce disque ! C’est lui qui m a donné envie de jouer et d’écrire mes propres chansons.
Je vous trouve meilleurs sur vos singles que sur la durée d’un album
L’album Tell’em we’re surfing a été malheureusement un peu bâclé. Petit budget, manque de temps, d’expérience. Cet album a coûté 8 000 F, une vraie misère. Le véritable problème avec ce disque, c’est qu’il est moins produit que ceux des autres groupes indépendants, comme Primal Scream qui passent des jours et des nuits en studio pour faire une face A de single. Mais il y a dix ans, personne ne nous aurait reproché la médiocrité apparente du son de notre album car il était courant d’entendre les amplis ronfler sur la bande. J’écoutais ce matin la compilation du label Zoo, de Liverpool. As-tu entendu le son des premiers morceaux d’Echo & The Bunnymen ou des Teardrop Explodes ? Ces chansons étaient enregistrées en une demi-journée. C’était brut, pur, immédiat, comme les disques de The Jam ou de Big Star. Aujourd’hui, les disques sont trop produits, tout y est réfléchi et clinique.
D’où tenez-vous le titre de votre premier album ?
C’est une expression de Cornouailles. Elle signifie que quelqu’un n’est pas disposé à faire ce que les autres attendent de lui. Il est parti faire du surf.? C’est une sorte de blague, de boutade, car bien sûr personne au sein de Family Cat ne fait de surf en Cornouailles, il y fait trop froid pour nous. Tell’em we’re surfing, c’est ce qu’on dit à ses copains quand on sèche l’école. Dites au prof qu’on est parti faire du surf !?
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