Fureur contrôlée, guitares inifugées, double basse réactive, chansons en pirouettes et contre-pirouettes électrocutées, néo-dirty sound contaminé, voici Ned’s Atomic Dustbin, dernière sensation britannique en date. Après une dangereuse série de singles en fission, l’album déçoit déjà, trop monochrome, trop propre (la douche décontaminante, peut-être ?). De Tchernobyl à Chinon, le monde entier s’interroge : groupe thermonucléaire ou déchet irradié ?
Et quand les fûts seront coulés dans le béton six pieds sous terre, que deviendra Ned ?
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(Jonn, chanteur) Nous avons formé ce groupe sans but ni raisons particulières. Nous ne pensions qu’à court terme, donner un concert un jour, peut-être sortir un disque, nous amuser Aucun de nous n’envisageait le moindre succès, pensait que nous pourrions vivre un jour de notre musique. Nous étions au lycée, nous préparions le bac.
Je suis le seul à l’avoir finalement passé, les autres ont dû arrêter à cause du groupe et des tournées. C’est assez drôle, nous avions tous des notes horribles en musique.
Comment expliques-tu votre succès éclair ?
Nous avons bénéficié de la conjoncture. Soudain, les gens ont redécouvert la musique live, sont revenus aux concerts. Et nous, nous sommes capables de tenir la scène, nous insufflons beaucoup d’énergie à nos chansons, nous sautons dans tous les sens’ Voilà pourquoi nous avons décollé : les gens voulaient un groupe de scène, nous étions là. En plus, nous avons tourné en première partie de groupes dont le public était fait pour nous, Pop Will Eat Itself, Wonder Stuff, Mega City 4, Jesus Jones’ Nous avons piqué une partie de leurs fans à force de jouer avec eux. Et puis, les guitares sont revenues à la mode, beaucoup de guitar-groups entrent dans les charts aujourd’hui, Ride, les Pixies, REM Même si je n’écoute pas leurs disques, ces gens-là me parlent plus que tous les groupes de dance-music. Je suis content que des groupes comme Carter usm aient du succès.
Vous avez démarré en pleine vague dance-music. Votre musique était-elle une réaction à ce mouvement ?
Jouer de la guitare était presque devenu illégal, c’était donc très jouissif d’en utiliser. Mais il existe dans chaque lycée un microcosme qui continue, quoi qu’il arrive, à écouter de guitar-groups, Joy Division, New Order, Wedding Present Moi, mon préféré, c’était Julian Cope. Nous faisions partie de cette bande, nous étions donc préservés de la dance-music. C’était le moment idéal pour commencer un groupe comme le nôtre : la dance-music était tellement omniprésente qu’elle nous a donné l’inspiration, l’envie de bouger. Sans elle, nous n’aurions jamais démarré. Mais là, il fallait réagir, faire quelque chose de différent. Nous voulions réhabiliter les guitares, prouver au monde qu’elles peuvent être mélodieuses.
Vous avez été exposés très jeunes. Allez-vous pouvoir évoluer, grandir tout en conservant votre public ?
C’est un sujet d’inquiétude, car nous avons été exposés alors que le groupe n’avait pas encore atteint sa maturité. Des gens s’attendent à ce que notre album, God fodder, soit une réplique exacte de nos concerts, c’est-à-dire âpre, électrique, rugueux, bourré d’énergie. Mais nous avons compris très tôt que les disques et les concerts seraient deux choses totalement séparées. En studio, il fallait faire un disque qui se suffise à lui-même, plus mûr, acceptable par des gens qui ne nous ont jamais vus live. Ce n’est pas le même groupe, celui-ci peut évoluer. En concert, nous fonctionnons à l’adrénaline, c’est l’excitation du moment présent qui nous pousse. En studio, nous nous concentrons beaucoup sur les chansons, nous essayons de tirer le meilleur de chacune, de donner à chacune un traitement particulier. Quitte à utiliser parfois une guitare sèche ou à me saouler pour mieux chanter une chanson agressive. C’est mon problème, je suis trop doux pour être agressif. Alors qu’en concert, je n’ai pas à me forcer, je suis porté par l’énergie du groupe, comme un sportif par son équipe. C’est dur de retrouver cette force en studio. Mais je crois que c’est mieux ainsi : les gens achètent le disque pour entendre les chansons, les paroles et quand ils nous voient sur scène, ils les découvrent sous un autre angle, les ressentent différemment.
Votre son a énormément évolué, beaucoup plus produit et léché aujourd’hui, acceptable pour le grand public.
Nous avons beaucoup travaillé, ce qui ne nous était jamais arrivé auparavant. Il a fallu bosser très dur, faire des tournées minables où nous couchions à même le sol, enregistrer des singles en deux jours’ Nous nous sommes tellement investis dans ce groupe que nous n’avons jamais remarqué qu’il évoluait, nous manquions de repères. Et soudain, notre single Happy se retrouve en haut des charts nationaux, nous sommes invités à Top of the Pops’ Ça a été un choc terrible. Nous étions tellement accaparés par le groupe que nous n’avions jamais pris le moindre recul pour savoir où nous en étions. Mais le choc passé, il a fallu s’habituer à ce nouveau statut. On nous avait jetés à la rivière, il fallait donc nager.
Beaucoup de vos fans, au nom d’un snobisme lié à tout ce qui touche aux labels indépendants, ne vous pardonneront jamais d’avoir quitté votre petite maison de disques pour une énorme major-company.
Des fans m ont déjà insulté, c’était affreux. Quelle étroitesse d’esprit ! Je n’arrive pas à les comprendre. Comment le fait d’enregistrer pour telle ou telle compagnie pourrait affecter notre musique ? L’unique raison pour laquelle Columbia nous a signés est que nous vendions déjà beaucoup de disques. Voilà, pour eux, le seul intérêt de Ned’s Atomic Dustbin. Mais nous aussi y trouvons notre compte : nos disques sont enfin disponibles partout, nous avons les moyens de les enregistrer, de faire des tournées’ Ces fans qui nous insultent sont les mêmes qui se plaignaient, il y a quelques mois, de ne jamais trouver nos singles chez leur disquaire. Je ne vois pas de quoi on m accuse, je serais incapable d’écrire différemment, même si on me le demandait. De toute façon, on nous laisse tranquille, car nos disques vendent bien. Tout ce qu’on m a réclamé, c’est de conserver ma coupe de cheveux, ma longue mèche. C’est la seule pression que j’ai subie, les gens de notre maison de disques pensent que c’est bon pour l’image du groupe, que c’est notre marque Je vais donc m’empresser de couper cette mèche (rires)? Je ne veux pas qu’on prenne cette coupe de cheveux pour un gimmick.
Le succès a complètement changé nos vies. Nous avons enfin de l’argent. Pas beaucoup, mais plus que nous n’en avons jamais vu et suffisamment pour bien vivre. Pour la première fois de notre vie, nous ne dépendons plus de nos parents, l’argent nous a donné liberté et indépendance. Mais le revers du succès, c’est la célébrité. Et ça, c’est récent et très gênant. Tout a démarré après que nous soyons passés à Top of the Pops. C’est l’étalon de la célébrité : tu passes à cette émission, tu es donc connu’ Depuis quelques semaines, je ne peux plus sortir en Grande-Bretagne sans être reconnu dans la rue. Je touve ça effrayant, surtout quand je pense que nous ne sommes pas exactement grand public à la base. Enfin, je ne suis pas Madonna, non ? Je déteste être reconnu quand je vais faire mes courses (rires)? Mais d’un autre côté, je peux enfin sortir seul. Où que j’aille, je suis certain de trouver quelqu’un à qui parler. C’est à la fois très utile et dérangeant, je ne comprends pas vraiment pourquoi ces gens veulent me parler. C’est la fin de la solitude, c’est difficile de s’y habituer. Même mes parents ont changé. Pour la première fois de ma vie, j’ai quitté la maison, j’ai un appartement. Mon père me considère enfin comme un individu, il me respecte beaucoup plus que lorsque je vivais avec eux. Parfois, il me fait signer des autographes pour les enfants de ses collègues’ Mais les gens qui me connaissaient bien n’ont pas changé envers moi. Ce sont ceux que je ne connaissais pas très bien qui me traitent différemment. Eux, ils voudraient bien me connaître aujourd’hui (rires)? Au début, nos parents nous ont rendu la vie impossible. Mais dès que le succès a commencé à poindre, ils se sont rangés derrière nous. Mes parents adorent la situation, ils parlent du groupe sans arrêt. Mais au départ, nous mettions toute notre énergie dans la musique et ils ne voyaient pas ce que nous en tirions. Ils ne voyaient pas ce qui nous motivait : ce n’était pas l’argent, ce n’était pas la célébrité, qu’était-ce alors ? (Rires)? Les autres ont eu beaucoup de mal à faire admettre le groupe à leurs familles. Ils étaient plus jeunes que moi, toujours lycéens, il fallait prendre des décisions difficiles. Tout ça était typique de l’adolescence. Ce qui explique pourquoi God fodder est un disque adolescent.
Arrives-tu à t habituer à ce statut de pop-star ?
C’est très bizarre. Je ne m aime pas beaucoup moi-même Et tous ces gens disent Jonn, quel type exceptionnel, il est vraiment génial.? Alors que moi, qui me connais bien, je sais que je ne suis pas mieux qu’un autre, je ne suis absolument pas fan de moi-même. C’est effrayant d’être le héros de qui que ce soit. Je me dis parfois que je devrais faire très attention, car je suis dans une position où je pourrais influencer des gens. Je peux imaginer des parents en train de sermonner leurs enfants Je ne veux pas te voir secouer ta tête dans tous les sens comme ce type à la télé, ne t habille jamais comme ces crasseux (rires)? Et j’imagine ensuite les gamins s’habillant exactement comme nous, se coiffant comme nous, secouant leur tête comme nous le faisons sur scène. Et je me sens responsable, ces gamins vont peut-être souffrir de problèmes cérébraux à force de secouer leur tête (rires)? Des pauvres gosses vont se faire refuser des emplois parce qu’ils s’habillent comme nous, ce sera notre faute.
N’était-ce pas gênant, pour un groupe comme vous, de jouer le jeu à Top of the Pops, de faire un play-back pour des enfants ?
Nous méritions d’y passer, notre chanson y avait largement sa place. Nous ne connaissons qu’une façon de nous comporter, de bouger, de chanter, que ce soit à Top of the Pops, en répétition ou sur scène. Où que nous soyons, nous donnons à nos chansons la même énergie. Au début, nous étions gênés d’être invités à cette émission, comme si nous n’aurions pas dû être là. Mais nous sommes fiers de nos disques, nous voulons les jouer à la télé, même si l’univers des pop-stars n’a rien à voir avec le nôtre. Ces gens-là vivent très loin de nous, ils n’ont pas les pieds sur terre. Ce soir-là, à Top of the Pops, les autres groupes nous ont traités avec dédain, ils nous méprisaient. Ils étaient choqués de partager l’émission avec nous. Mais qu’est-ce que ces paumés, ces pouilleux font là ?? Alors que nous vendons plus de disques qu’eux, que nous avons beaucoup plus travaillé qu’eux pour en arriver là, que nous avons écrit nous-mêmes nos chansons, que nous jouons sur nos disques, que nous sommes capables de tenir la scène Ils se prennent tous trop au sérieux, ce qui les détruit. Nous avons une chance incroyable d’être dans notre position : nous travaillons dur, mais nous nous amusons aussi, nous nous moquons sans arrêt les uns des autres. Dans notre région, les Midlands, les gens évitent de se prendre au sérieux. Ça empêche l’ego de gonfler, ça cloue les pieds au sol.
Votre image est curieusement devenue à la mode, vous à qui on interdisait il y a quelques mois encore l’entrée dans les pubs, les clubs.
Je ne comprends pas ce qui se passe, nous avons toujours été le groupe le moins à la mode du monde. Je ne sais pas comment nous allons réagir à ce nouveau statut. Je me souviens que j’étais degoûté par le côté mode de la scène mancunienne, ça peut condamner à court terme ta musique. On met tout dans le même sac : les vêtements, une attitude et la musique C’est un peu comme ce qui s’était passé dans les sixties, un mouvement global, mais qui maintenant naît et meurt en une seule année. C’est inquiétant et c’est pour cette raison que nous avons toujours fait de gros efforts pour ne pas être à la mode, pour n’avoir aucun style, pour négliger nos cheveux. Et nous voilà dans les pages mode des magazines’ C’est ridicule de voir en nous les fers de lance d’un style nouveau, nous n’avons rien inventé, plein de gens s’habillent comme ça, depuis des années’ A cause de nos dégaines, on nous a interdit l’accès de beaucoup d’endroits. Mais c’est le cas de tous les gens qui appartiennent au microcosme des fans de guitare, au lycée. Une fois arrivés en seconde, ils se sentent plus libres, ils veulent affirmer leur personnalité, leur indépendance. Tout ça se traduit par une image, des coupes de cheveux, des disques bruyants’ Je suis passé par là moi aussi. Je voulais qu’on me remarque en tant qu’individu. A l’école, la plupart des gens de ma classe ne me voyaient même pas, je n’existais pas. J étais invisible, effacé, timide, insignifiant Mais ensuite, au lycée, j’ai eu le pouvoir de décider pour moi-même, de prendre des décisisons sans être inquiété par le maître d’école. Moi, ce qui me plaisait dans ces vêtements, c’est qu’ils étaient différents. Je n’aimais pas les gens autour de moi, je ne voulais pas être comme eux. D’un autre côté, je n’avais guère plus de sympathie pour moi-même Tout ce que je voulais, c’était échapper au travail. Je préférais encore être au chômage toute ma vie plutôt que d’aller à l’usine, je ne voulais pas gâcher mon existence. Peut-être que dans quelques années ce groupe deviendra lui-même une routine, un travail abrutissant Mais au moins, j’aurais voyagé, j’aurais réussi à m’exprimer. Comment aurais-je pu m’exprimer dans une usine ?
Comment le faisais-tu avant ce groupe ? Tu donnes l’impression de surtout le faire par tes chansons.
Je voulais être acteur, car j’adorais être quelqu’un d’autre que moi-même. J étais faible, timide et je m obligeais à jouer des rôles agressifs, qui ont fini par m influencer, par me rendre plus fort. Ce type qui chante avec Ned’s Atomic Dustbin, ce n’est pas vraiment moi, c’est un rôle que je joue. C’est Jonn le chanteur, qui saute dans tous les sens, pas celui qu’on retrouve sur les disques ou qui te parle en ce moment. Mais bon, j’ai dû me faire une raison, il est plus facile d’écrire des paroles que de jouer au théâtre. Ce qui ne veut pas dire que je traite mes paroles à la légère, elles comptent beaucoup pour moi. Même si je suis certain que la plupart des gens qui écoutent notre musique ne leur prêtent aucune attention’ Pour le moment, le groupe communique surtout par l’énergie, nos concerts donnent au public comme à nous-mêmes un moyen de se défouler, de se relaxer. Si nous sautons en l’air comme des crétins, c’est que ce geste vient naturellement. Ce n’est pas une pose, une danse stylisée, mais une réaction physique, épidermique à notre musique. Mais un jour, je le sais, les gens écouteront aussi mes paroles, je communiquerai avec eux. Je ne pourrais pas le faire autrement qu’en chantant, j’aurais l’air débile si je me promenais dans la rue en hurlant ce que j’ai sur le c’ur (rires)? Car c’est ainsi que je me sens, il faut que je crie, que je hurle.
Nos fans ont beaucoup compté pour nous, ils ont été très importants pour le groupe et ils le demeurent, à une moindre échelle, aujourd’hui. Mais un fossé s’est creusé entre eux et nous, inévitablement. Certains nous suivent depuis le début, nous ont vus des centaines de fois sur scène. Ils se sentent très proches de nous, ont l’impression de faire partie du groupe. Et maintenant, c’est difficile pour moi d’aller les rencontrer, de leur parler comme avant. Si je sors de la salle de concert, cinquante fans vont me tomber desssus, je serai obligé de partir en courant et ils me prendront pour un prétentieux. Je le regrette beaucoup, mais je vois la distance entre eux et nous se creuser. Je sais qu’ils nous en veulent, mais nous avons des raisons de leur en vouloir aussi. Ils pensent avoir tous les droits avec nous, considèrent le fait que nous les invitons à chaque concert comme un dû. Parfois, ça me choque. Non pas que je veuille qu’ils payent ? ça, non, Dieu merci, j’ai assez d’argent ?, mais pendant qu’eux entrent sans payer à leur 150e concert, des gamins qui ne nous ont encore jamais vus restent dehors, parce qu’il y a trop d’invités à l’intérieur.
On décrit vos fans, les Crusties, comme des hordes de pouilleux, dormant dans les gares avec leurs chiens, vous suivant partout en auto-stop, sales et nauséabonds’
Tout ça vient d’un article paru dans un quotidien populaire, qui a tout déformé, exagéré. Les pouilleux, c’est plutôt New Model Army qu’ils suivent, pas nous (rires)? Nos fans n’ont jamais eu de chiens, ils ne dorment pas sous les ponts et en plus, ils se lavent. Ils ne peuvent pas être si idiots qu’on le dit, il faut être sacrément malin pour nous suivre à travers tout le pays en auto-stop sans jamais monter dans la mauvaise voiture. Si on avait dit des horreurs comme ça à mon sujet, j’aurais été fou de rage. Mais eux l’ont bien pris, ça les fait rire, les Crusties’ Tu sais d’où vient leur nom ? Du mot crust , qui veut dire croûte ? Ça doit pas être drôle tous les jours de se faire appeler les croûteux (rires)? Ça m énerve quand la presse utilise des mots comme sales’, idiots’ à notre propos. Nous sommes le groupe le plus raillé du monde et pourtant, je suis certain que nous avons eu de meilleurs résultats scolaires que tous les autres groupes du Top 50 réunis. A part Queen, bien sûr (rires)? Les gens jugent trop les livres sur leur couverture. Quand ils nous rencontrent finalement, les journalistes sont toujours étonnés. Ils pensent avoir affaire à des abrutis, le nez crotté, puants et agressifs et ils se retrouvent face à moi. Et je ne suis pas un idiot, je suis bien élevé et je sais me servir d’une salle de bains.
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