Tendance cool, mode people ou orientation sexuelle assumée ? La bisexualité semble de plus en plus répandue. Témoignages de nouveaux convertis.
Dis, tu trouves pas qu’il y a de plus en plus de bi ? Surtout des filles ? Faut aller me vérifier ça de plus près. » Près… genre très près ? « Genre au plus près de l’info si tu vois ce que je veux dire. » Le problème avec les bi, c’est que dans la nature, ils sont quasi invisibles. En boîte de nuit ou dans la rue, un ou une bi en couple est catalogué soit hétéro soit homo. A moins de porter un T-shirt « Pride to be bi », le bi est donc difficile à chasser. Ensuite, et ce sont les chercheurs sérieux qui l’expliquent, une personne peut avoir un comportement bi, sans se dire bi ou se donner à voir comme tel.
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La mission bi une fois acceptée, on se rassure en se disant que rien n’est impossible à l’heure des Lady Gaga, Lindsay Lohan, de Pascal Brutal, des cow-boys de Brokeback Mountain, des calendriers homo-érotiques des rugbymen et des beuveries de la génération Skins – série ado anglaise déjantée. Garance, trendsetteuse bi en voie de lesbianisation, le certifie :« Le coming-out bi est cool, sexy, donne envie aux mecs, s’inscrit dans la tendance trash-cool-vomi-coke. » Sauvée.
Première étape, consciencieuse, trouver des données statistiques. Après des heures plongées dans les études sur la sexualité, bingo, les chiffres sont formels : en 1992, 2,6 % des femmes déclaraient avoir des partenaires du même sexe ; en 2006, elles sont 4 % (soit presque 50 % d’augmentation, en grande partie chez les 18-24 ans). Les nanas ont rattrapé les mecs (4,1 % en 2006) et les dépassent chez les jeunes.
« Au-delà des pratiques, les femmes de tous âges, mais surtout en dessous de 39 ans, se déclarent beaucoup plus attirées par des personnes du même sexe que les hommes, en particulier entre 25 et 34 ans, 9,4 % contre 5,9 % »,précise le sociologue Eric Fassin (Le Sexe politique, éd. EHESS, 2009 et Reproduire le genre, éd. BPI, 2010). On a compris, on croisera plus de filles.
Que signifie cette augmentation ? Libération de la parole ? Expérimentation plus répandue ? Davantage de liberté ? « Aventure mieux tolérée parce qu’on suppose qu’il ne s’agirait que d’une phase, avant que tout ne rentre dans l’ordre ? », nuance Eric Fassin.
L’effet The L Word, célèbre série lesbienne américaine ultrasexy, a-t-il ouvert les chakras des cerveaux faibles et formatés des hétérosexuelles en mal d’aventure ? Le génie de la série, à défaut de scénario, est tout d’abord d’avoir pris le contre-pied des films mainstream hollywoodiens qui traitent de bisexualité et d’homosexualité – où l’héroïne hétéro s’encanaille de la goudou de service avant de retomber dans les bras du gendre idéal parce que « vraiment, vraiment, c’est pas que les filles la dégoûtent mais elle préfère la bite ».
Dans The L Word, l’héroïne hétérote devient bi puis lesbos, sans billet retour. Le casting hétéronormatif ultra « fem » a su exciter toute l’échelle de Kinsey*, les femmes comme les hommes. Combien de fois avez-vous entendu des hétérotes rougissantes et frétillantes fanfaronner » Shane (l’androgyne « fem » de la série), c’est quand elle veut où elle veut » ?
Aujourd’hui, les frontières des sexualités fluctuent, la séparation binaire homo-hétéro est obsolète. La chasse aux bi est ouverte et passera de monsieur et madame Tout-lemonde à une soirée lesbienne, ou à la cour du lycée, jusqu’aux membres de Bi Cause, seule asso bi française. Comme disent ces bi qui réfléchissent sur leur(s) sexualité(s) : « Il y autant de définitions de la bisexualité que de bi. »
Voici donc une plongée vertigineuse dans le grand bazar bi avec, comme fil conducteur, la version réactualisée et modernisée 2010 de l’échelle du « bon » docteur Kinsey.
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Angoisse métabisique. Il n’est plus rare qu’une copine vous glisse : “Si ça se trouve je suis bi, j’arrête pas de rêver que je couche avec des meufs, j’ai même rêvé que ma psy me caressait.” Bonne pâte, vous la rassurez : “Non mais je te jure, y a pas plus hétéro que toi meuf, tu t’enfiles des bites par paquet de douze.”
Bi market. Elle s’est trémoussée sur I Kissed a Girl de Katy Perry tout l’été 2008 pour exciter son mec et se mettre en condition pour le plan à trois qu’il lui réclame depuis trois ans – d’après les enquêtes sexe, coucher avec deux femmes serait le fantasme numéro un de l’homme hétéro, ainsi prêt à tenir son rôle de maintien de l’ordre social en sauvant les pauvres femmes de l’homosexualité. Delphine, bisexuelle, s’offusque : “C’est hyper réducteur de dire que les meufs se disent bi pour exciter leurs mecs. En plus, ils s’imaginent que les filles se touchent gentiment alors que j’ai eu des rapports beaucoup plus violents avec des meufs. Ridicule.”
Bi allumeur(se). “Je te jure, j’ai trop envie de coucher avec une meuf, mais faut qu’elle soit super bonne, genre Denise Richards [la blonde siliconée de Sex Crimes], un plan à trois avec mon mec serait parfait.” Une fois en soirée lesbienne, la bi allumeuse ultra “fem” fait moins la maligne. Yeux de biche et minauderies attirent la butch qui tente vaillamment sa chance. Peine perdue évidemment. Lesbos tendance garçon manqué, Aurélie dégomme : “Les hétéros ont vu The L Word, elles en peuvent plus, Shane a créé chez elles la libido du clitoris. Elles sont dans un rapport de séduction permanent. Mais au final, tu peux même pas leur lécher l’orteil.”
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Dernier jeu à la mode chez les lesbiennes : détourner de l’hétérote. Par esthétisme, pour Louise, “parce qu’une fille, c’est objectivement plus beau qu’un garçon”. Par nécessité, pour Margot, “au début j’étais seule au monde donc je détournais mes meilleures copines”. Par défi comme Morgane : “Tu es contente de niquer une meuf qui se fait niquer par des mecs.”
Bi catin. Qui de mieux pour en parler que celles qui couchent avec. Les bi catins restent les meilleurs coups d’Aurélie : “Elles donnent tout, sont décomplexées, habituées à y aller. Y a pas de chichi du genre on se tourne autour pendant deux heures avant de se mettre deux doigts. Là, avec un gode, tu la prends en levrette, elle est à donf. Par contre elles te baisent pas ou te bouffent pas la chatte. Sinon elles auraient le nez dans leur homosexualité et ça, no way” Louise, grande blonde féminine, a eu la même expérience : “Elle se comportait comme avec un mec, hyper chaude, en mode Shakira. Elle considérait qu’elle devait me faire bander.” Une version contredite par Margaux (“C’est pareil”) et Camille (“Elles sont super timides”). Delphine, livre une autre version : “Je couchais avec une fille qui se mettait dans un rôle de mec. Elle avait peur que j’ai un manque, que son gode en plastique ne me suffise pas, tout tournait autour de la bite, mais c’était du super sexe.”
Bi ambianceur(se). Monique, lesbienne, raconte : “Côte Ouest, Etats-Unis, toutes les meufs sont bi. Si tu as un rapport avec quelqu’un du même sexe ici tu es gay, là-bas, tu as eu une expérience.” Cameron Diaz, incarnation de la blonde sexy et libérée US, déclare dans le Playboy américain de juillet : “Je peux être attirée par une femme, mais ça ne veut pas dire que je vais tomber amoureuse d’une femme. Si je couche avec une femme, ça ne veut pas dire que je suis lesbienne. On veut mettre les gens dans des cases mais tout cela reste très compliqué.” Sur les campus des Etats-Unis, le sexe entre filles l’emporte sur la fellation, et l’on retrouve cette tendance dans les cours d’écoles françaises. On est passé du roulage de pelles maladroit et humide – “pour apprendre hein, juré” – aux “Skins” parties ultratrash et no limit. “Beaucoup de filles s’embrassent en soirées”, confirme Marion, 16 ans, hétéro en couple sept mois avec une fille. Dans son lycée, au moins cinq couples de filles s’affichent. “Elles sortent avec des filles comme avec des mecs, c’est moins mal vu, on a envie d’essayer.”
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Lady Gaga, Britney et Madonna, Lindsay Lohan, Scarlett Johansson et Sandra Bullock ou plus près de chez nous les chanteurs Yelle et Alex Beaupain (auteur de la BO des Chansons d’amour de Christophe Honoré sur un trio amoureux) : la multiplication des représentations médiatiques – du coming-out aux baisers faussement provocateurs – contribuent pour Louise à légitimer la bisexualité : “Voir, en parler, ça donne envie, provoque un désir de liberté”, même si cela s’accorde plus au fantasme hétérosexuel masculin qu’à une érotique homo ou bisexuelle. De manière générale, il serait plus facile d’être une bi femme libérée, surtout avec un bon bagage culturel et un diplôme. Pour Eric Fassin, les hommes “sont nettement plus assujettis au partage binaire entre deux identités – l’alternative entre homosexualité et hétérosexualité”. Une façon chic de dire que les femmes ont moins de problèmes avec leur postérieur. Parallèlement, selon la chercheuse Nathalie Bajos (Enquête sur la sexualité en France, La Découverte, 2006), “les femmes sont plus soumises que les hommes à la contrainte hétéronormative, renvoyées à la répartition des rôles sociaux, à la sphère de la reproduction”. Delphine la bi estime ainsi “qu’il n’y a rien de plus exaspérant que d’être ramenée au rang de femme. Une liaison avec une meuf symbolise une sexualité plus libre, amusante, inventive”. Malgré tout, elle reconnaît qu’elle “fait un retour chez les hétéros car il y a l’animal qui se met à parler, l’envie de gosses”.
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Bi gourmande. Vanina, franco-italienne, croisée à une soirée lesbienne : “Il y a six milliards d’individus dans le monde, pourquoi je me contenterais de la moitié ? Est-ce que quinze centimètres de pénis font le plaisir ? Je ne pense pas. La seule chose sacrée, c’est l’amour, le partage. Je suis aimante, j’aime, j’aime trop, la personne, l’âme, l’autre ! Je pense être un grand coup. La maison est généreuse, la maison est sérieuse, la maison n’a jamais eu de plainte ! Je suis plus excitée avec les femmes cérébralement et avec les hommes j’adore la levrette… mmmmmmmm .” Coolos, Vanina, et calmos aussi, hein.
Bi simultané. Léo de l’association Bi Cause : “J’aime tous les sexes, j’en ai besoin, hommes, femmes, trans.” Tous les sexes en même temps donc. A l’opposé : bi alterné.
Bi de l’esprit. Nelly de Bi Cause “est déjà tombée amoureuse d’une femme mais n’a jamais été au bout”. “L’acte sexuel n’est pas le plus important”, juge la jeune femme qui a grandi en se demandant si elle était homme ou femme. “J’ai résolu le problème en me disant que j’étais un être humain, mi-garçon mi-fille.” Tendance humaniste et macramé des bisexuels.
Bichangiste. Alice et Jérôme de Bi Cause sont en couple avec enfants. “Notre sexualité est multiple, je me fais sodomiser par ma partenaire”, explique Jérôme. Alice sourit, visiblement heureuse. Ils vont se marier prochainement.
Bi trans. Nicolas de Bi Cause s’appelle parfois Gabrielle. “Il m’arrive d’avoir des relations hétéros avec des garçons. Une fois, j’étais gouine.” Jérôme tique : “Qu’est-ce que tu entends concrètement par relation hétéro avec un garçon ?” Nicolas : “Tous mes attributs anatomiques sont féminisés.” Alice : “Tu parles de ta queue comme d’une chatte ?” Nicolas : “Comme d’un clito.” Certes.
Biscriminé. Alice et Jérôme se sont connus sur le site de rencontre Gayvox. “Les lesbiennes brocardent les femmes bi, on m’a insultée”, raconte Alice. Jérôme a eu des contacts avec des lesbiennes qui cachaient leur bisexualité. A l’origine, Bi Cause doit sa création à des femmes bi “violemment rejetées dans un groupe de lesbiennes”, explique Nicolas, le président actuel. “Et insultées : sacs à foutre, traîtresses.”
Bi bio. “Nous sommes tous bisexuels”. Concept défendu par des psys bi qui prolongent la thèse de Freud (“la bisexualité est notre moule à tous”), mais en rejetant “l’arnaque oedipienne”. Branche naturaliste des bisexuels.
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“Les bi ne sont ni plus ni moins subversifs que la moyenne, en revanche l’idée dérange : elle perturbe une pensée trop binaire”, précise l’anthropologue Catherine Deschamps (Le Miroir bisexuel, socio-anthropologie de l’invisible, Balland, 2002). Surtout quand ils viennent chasser sur des terres balisées. Comme Alice : “Je sortais avec une lesbienne. A force de lui dire que je me sentais épanouie, elle m’a annoncé qu’elle avait eu une relation hétéro et qu’elle aimerait bien recommencer.” Son futur mari Jérôme renchérit : “Après une longue nuit d’amour avec nous, un gay a déclaré au petit matin qu’il était bi ! Depuis, il est en couple avec une hétéro qui n’accepte pas sa bisexualité !”
Gare à la contre-révolution, les homos ! Les bi prosélytes provoquent parfois des réactions biphobiques épidermiques. Fassin constate : “La bisexualité peut apparaître à certains gays ou à certaines lesbiennes comme une manière de ne pas assumer ce qu’on est, de refuser l’authenticité, de rester prisonnier de l’hétérosexisme – comme si les bi n’étaient pas de vrais homosexuels mais des faux. Ils apparaissent comme des traîtres à l’histoire, des infidèles.”
La dernière relation hétéro de Léo a été une catastrophe. “Elle ne voulait pas entendre parler de mes fantasmes masculins. Mais un jour, au lieu de la réveiller avec un cuni, je lui révèle que je me suis masturbé en pensant à des hommes.” Leur couple ne s’en remettra pas.
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Bi catin bis. Les lesbiennes aussi ont leur phase bi catin. Comme Aurélie : “J’attendais ma meuf chez un pote, elle me mettait des plans. Donc pour me venger j’ai couché avec lui. Mais dès qu’elle a rappelé, je suis partie la rejoindre, et j’ai laissé mon pote tout seul sur le canapé.”
Bi couverture. Pour Garance la trendsetteuse, pas de doute, Lady Gaga, la bi la plus powerfull du moment, “est une grosse gouine”. “Pour une star, s’afficher comme bi est une façon présentable de dire son homosexualité sans perdre de parts de marché, voir en gagner. Il n’y a qu’une gouine pour avoir un alter ego masculin qui s’appelle Jo Calderon.”
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Pour eux, la bisexualité est un passage spatio- temporel vers l’homosexualité. Violaine, jolie brune féminine : “Je ne couchais pas encore avec des nanas mais je me disais bi. C’était une étape pour m’accepter en tant que lesbienne. Vers 30 ans on penche vers un bord.”
Alexandre, la trentaine : “Chez beaucoup de pédés, la bisexualité représente une phase de transition entre 19 et 25 ans.” Longtemps, au lycée notamment, il a alterné filles et garçons. “C’était une façon d’éviter de me dire vraiment pédé, ça m’a servi de couverture, on garde l’identité rassurante de l’hétérosexualité en faisant de l’homosexualité une quête d’ouverture.”Jusqu’au jour où la perspective de “finir marié à baiser des mecs sur les aires d’autoroute” lui est devenue insupportable. Pédé tu es, pédé tu seras.
* L’Américain Alfred Kinsey a publié en 1948 la première étude sur la sexualité, dit Rapport Kinsey, un scandale à l’époque car il dévoilait une cartographie diversifiée des pratiques et orientations sexuelles loin des canons conservateurs et religieux de l’époque. Kinsey avait défini une échelle de 0 à 6 :
0. Exclusivement hétérosexuel(le) ; 1. Prédominance hétérosexuelle, expérience homosexuel(le) ; 2. Prédominance hétérosexuelle, occasionnellement homosexuel(le) ; 3. Bisexuel sans préférence ; 4. Prédominance homosexuelle, occasionnellement hétérosexuel(le) ; 5. Prédominance homosexuelle, expérience hétérosexuel(le) ; 6. Exclusivement homosexuel(le).
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