Le bar le plus cul de la capitale russe, l’Hungry Duck, a fermé l’an dernier. Il laisse des souvenirs, et quelques vidéos…
L’Hungry Duck se méritait. Pour s’y rendre, il fallait s’extraire de la station de métro Kuznetsky Most, puis trouver son chemin dans l’obscurité. Il s’agissait ensuite de se confronter aux videurs, souvent armés, rarement causants. C’était déjà une aventure, mais elle en valait la peine. Au faîte de sa gloire, l’Hungry Duck (le canard affamé) était le lieu de perdition le plus dingue de Moscou.
Ouvert le 8 décembre 1995, par un mystérieux groupe de businessmen tchétchènes et kalmoukes, l’Hungry Duck avait très vite trouvé son créneau. « Un soir, peu après l’ouverture, raconte le canadien Doug Steele, ex-manager de l’établissement, nous avons reçu des salariés de Pepsi, des Russes, qui faisaient une fête entre collègues. Ils se sont mis à danser sur les tables et sur le bar. On a trouvé ça cool, on les a laissés faire et le mot a circulé que le Duck était le bon endroit pour rigoler… »
Trois soirs par semaine, mardis, vendredis et dimanches, des « Ladies Nights » sont instaurées. De 19 heures à 21 heures, l’entrée est réservée aux filles, gracieusement arrosées d’alcool. Entre elles, elles s’éclatent, grimpent sur le bar et en viennent à se dévêtir. « Il faisait très chaud dans le bar, les filles se mettaient à l’aise. Ensuite arrivaient les stripteaseurs. Et les filles se battaient pour monter sur scène avec eux. Nues, dans le noir, elles faisaient n’importe quoi… » C’est à ce moment-là, au beau milieu de l’orgie, que la clientèle masculine était autorisée à pénétrer dans le club…
Il se dit qu’à l’époque tous les Occidentaux en visite à Moscou, diplomates compris, atterrissaient dans l’établissement. Mais un jour, c’est un groupe de députés qui a débarqué. « Ils sont entrés au moment où nous jouions l’hymne national. Sur scène, des filles dansaient avec Dylan, notre stripteaseur d’origine nigériane… » Les députés porteront l’affaire devant la Douma.
Tous les services administratifs du pays vont se relayer dans l’établissement pour obtenir une fermeture devenue un enjeu politique et médiatique. Après une trentaine de procédures, ils obtiennent gain de cause en mars 1999. L’Hungry Duck rouvrira dixhuit mois plus tard, mais sans jamais retrouver son lustre. Définitivement clos depuis le printemps 2009, l’Hungry Duck fait aujourd’hui commerce de son passé. Sur son site, des vidéos et photos de la grande époque sont encore accessibles pour quelques dollars. On y voit Dylan. On y rencontre surtout des filles ordinaires dans des tenues et des positions qui le sont un peu moins. « Les Russes, dit Steele, sont beaucoup moins coincées que les Occidentales, elles savent s’amuser. » Elles savaient.