Trop « sale » pour mériter un nom propre ? La littérature érotique s’écrit souvent sous pseudonyme. Quand le nom d’emprunt sert de cache-sexe.
Derrière le masque, les fantasmes. Il suffit d’un loup, d’un bandeau de cuir ou de satin, de masques vénitiens, comme dans l’orgie baroque d’Eyes Wide Shut de Kubrick, pour que le visage disparaisse et qu’avec lui identité et inhibitions s’abolissent. Seuls subsistent le corps, la chair, abandonnés au désir et aux pulsions.
Lorsqu’ils s’aventurent sur le terrain de l’érotisme, les écrivains aussi avancent masqués. Ils préfèrent utiliser un nom d’emprunt. Un pseudonyme en guise de cache-sexe. Comme si leur nom propre ne convenait pas à des textes qui dégoûtent les défenseurs de la morale. Souvent, c’est d’ailleurs pour échapper à la censure ou aux poursuites pour outrage aux bonnes moeurs que les auteurs choisissent de dissimuler leur identité, hérauts anonymes de l’éros, obscurs sujets du désir. Honte ? Fausse pudeur ? Peut-être certains ont-ils aussi jugé ces écrits indignes du reste de leur oeuvre.
Guillaume Apollinaire (né Wilhelm Albert Wlodzimierz Apolinary de Waz-Kostrowitzky) n’a pas signé de son nom de plume ses textes érotiques. Mirely ou le petit trou pas cher, Les Exploits d’un jeune don juan ou Les Onze Mille Verges parurent sous couverture muette ou seulement signés des initiales G. A. Mais des raisons plus profondes, parfois intimes, peuvent se cacher derrière ce jeu de masques qui contribue à érotiser encore un peu plus le discours sexuel. En 1994, quarante ans après la publication d’Histoire d’O de Pauline Réage, Dominique Aury (Anne Desclos de son vrai nom) révèle au New Yorker qu’elle est bien l’auteur du chef-d’oeuvre sulfureux.
Ce roman est avant tout celui d’une femme éperdument amoureuse qui, à travers ce texte, s’est offerte – littéralement – corps et âme à son amant, Jean Paulhan. Il l’avait mise au défi d’écrire un tel livre. Toujours dans sa confession au New Yorker, Dominique Aury expliquait : « Je n’étais pas jeune, je n’étais pas jolie. Il me fallait trouver d’autres armes. » Ce sera la littérature.
En prenant le nom de Pauline Réage, la secrétaire de la NRF, discrète jusqu’à l’effacement, se dédouble. Derrière son masque, la « clandestine » provoque, excite et séduit.
Devenir autre, jusqu’à disparaître ? « J’écris pour effacer mon nom. » La phrase, qui rappelle la « disparition élocutoire du poète » prônée par Mallarmé, est de Georges Bataille. Archiviste à la Bibliothèque nationale, il ne souhaitait pas être reconnu comme l’auteur d’Histoire de l’oeil. Mais son désir d’anonymat relève davantage d’une démarche à la fois psychanalytique et littéraire.
C’est son analyste qui l’encouragea à écrire ce livre. Bataille le publie en 1928 sous le pseudonyme de Lord Auch (il en prendra d’autres), nom qui, raconte-t-il « se rapporte à l’habitude d’un des (mes) amis : il ne disait plus ‘aux chiottes !’, abrégeait, disait ‘aux ch ». En écrivant Histoire de l’oeil, récit des expérimentations sexuelles du jeune narrateur et de son amie Simone, Bataille se soulage de ses fantasmes et obsessions d’enfance. L’auteur s’efface, se retire, pour laisser le lecteur jouir pleinement du corps du texte.
Elizabeth Philippe