En 2012, peut-être aurez-vous le plaisir de rencontrer de drôles de paroissiens pendant leur croisade sur les routes d’Europe. Ils vous présenteront leur Eglise de la Madone de l’orgasme, qui prêche pour l’érotisation de la planète.
En Europe, sous l’impulsion de l’artiste Carlos Bebeacua, une poignée de fidèles a monté son propre culte : l’Eglise de la Madone de l’orgasme. Considérant la petite mort comme une émanation de Dieu, ils empruntent aux religions mots, rites et écritures. Alors que la justice suédoise a refusé de reconnaître leur culte, ils s’organisent pour répandre la philosophie de l’orgasme divin à travers l’Europe.
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Plus forts que les apocalyptiques, les orgasmiques. Eux ne prédisent pas la fin du monde, mais militent pour l’érotisation de la planète. « L’orgasme, c’est Dieu, explique très sérieusement Carlos Bebeacua, cardinal autoproclamé de cette nouvelle Eglise. « La sexualité, c’est notre fluide d’énergie divin. » Appliquant à la lettre le credo « Aimez-vous les uns les autres », l’artiste uruguayen de 56 ans, arrivé en Europe en 1966, est à la tête de ce culte depuis près de vingt ans.
« Les religions actuelles ont laissé tomber la question de la sexualité. Le seul moment où elles en parlent, c’est pour la réprimer », regrette-t-il.
Inventant une croyance sans curés ni saints, mais avec des prêtresses, une bible et des messes, il a réussi à réunir autour de lui près de trois cents fidèles, rencontrés au gré de ses voyages et répartis entre la Suède, le Danemark et l’Espagne. Ce sont pour la plupart des artistes, des amis d’amis ou des acteurs porno qui ont eu l’illumination. La doyenne, Ana, a 69 ans. C’est l’une des trois « prêtresses » de l’Eglise, même si, pour le moment, elle avoue ne pas trop savoir quel est son rôle exact.
« Carlos m’a donné ce titre de façon honorifique. Je ne sais pas encore vraiment quelle va être ma fonction », sourit-elle. Mais pour tous, un seul mot d’ordre : « Ni hétérosexualité ni homosexualité. Nous croyons en la force de la sexualité », explique Carlos.
« L’orgasme, c’est le moment de la vie pendant lequel on est le plus proche de Dieu », renchérit Maria Eriksson, 37 ans, membre de l’Eglise depuis cet automne. Cette art-thérapeute suédoise, qui connaît Carlos depuis plusieurs années, se considère comme une vraie croyante.
« Bien sûr que j’ai la foi ! Je crois dans la force de la vie. L’Eglise de l’orgasme me permet de me concentrer sur ma foi plutôt que de suivre les règles d’un clergé dépassé. Mais sans spiritualité, la vie serait ennuyeuse, rit-elle. L’orgasme, c’est la manière la plus rapide d’atteindre le divin. »
Pour trouver le point G(od), c’est simple. Il suffit « d’écouter ses désirs », explique Carlos. « Trop de gens sont frustrés parce qu’ils ont une vision de la sexualité qui est dépassée. Ils ne prennent pas en compte leurs désirs. Nous, nous essayons de donner au sexe d’autres perspectives, au-delà de l’aspect purement charnel de l’acte sexuel. » Attention, l’Eglise de la Madone de l’orgasme n’est cependant pas un prétexte pour organiser des partouzes mystiques.
« Nous ne sommes pas un club échangiste. Notre Eglise n’est pas un lieu où s’adonner à des relations sexuelles débridées », prévient Carlos.
Difficile d’ailleurs d’en apprendre plus sur les pratiques personnelles des différents adeptes. A peine saura-t-on que Carlos est hétérosexuel, sexuellement actif et qu’il a une compagne. Quant aux accusations de secte, il les balaye d’un revers de la main : « Nous ne demandons pas d’argent à nos fidèles. Nous nous autofinançons en vendant des oeuvres d’art et en faisant des quêtes à l’issue des messes. »
La censure de la Madone de l’orgasme, incarnation psychédélique de la Vierge
Tout a commencé en 1992, pendant l’Exposition universelle de Séville. Le pavillon danois commande une toile à Carlos, qui vit alors à Copenhague. Mais sa Madone de l’orgasme, incarnation psychédélique d’une Vierge qui tend fièrement son arrière-train au public, fait scandale. Classée comme pornographique, elle est censurée et retirée de l’expo. Un signe pour Carlos, qui décide de faire de sa Madone une sainte, martyre d’une société patriarcale figée dans des règles désuètes. Avec désormais une Vierge, une doctrine – « la libéralisation de la parole sur la sexualité » – et une poignée de fidèles, l’Eglise de la Madone de l’orgasme est née. Une chapelle est érigée à la gloire de la nouvelle sainte dans un petit village du sud de la Suède, Lövestadt – nom prédestiné – qui va rapidement devenir le « Vatican du plaisir divin ».
C’est dans cette chapelle qu’ont lieu les premières messes. Car bien que Carlos refuse de parler de religion en tant que telle pour désigner sa nouvelle Eglise – « nous sommes une croyance » -, il emprunte leurs rites aux religions traditionnelles. A la croix est préféré le triangle, « symbole de la vulve sacrée ». Les prêtres sont remplacés par des femmes pour animer les cérémonies, dont le déroulement est détaillé dans de « saintes écritures ».
Récitations de chants à la gloire de l’orgasme biblique, « source d’énergie divine », chorégraphies de la prêtresse qui doit s’incliner « harmonieusement » devant le pubis sacré de la Vierge : aucun détail n’est laissé de côté. Le vin de messe, « nectar de l’orgasme », est offert à l’issue de la cérémonie, après quoi est prévue – toujours selon les textes – une activité « pleine de spontanéité, à laquelle on participe librement : danser, manger, boire, discuter »… et baiser ? « Ça n’est encore jamais arrivé, affirme Carlos. Mais ça n’est pas interdit. »
Maria, elle, reste plus évasive : « On fait ce qu’on veut à la fin de la messe, on fait connaissance, on se rapproche… »
Posant régulièrement en soutane, Carlos prend des airs de prédicateur. « Nous avons trouvé une nouvelle Vierge. Une nouvelle sainte qui pourra illuminer le chemin vers une nouvelle voie. » Et pour défendre son Eglise, il n’hésite pas à refaire l’histoire, en adaptant le « Faites l’amour, pas la guerre » à l’ère de la spéculation financière.
« Tous les problèmes de la société sont dus à une frustration liée à la sexualité. Les dirigeants de la planète sont écartelés entre leurs désirs réels et ce que la société accepte. Si les gens de Lehman Brothers avaient été un peu moins frustrés, la crise financière n’aurait sûrement pas eu lieu. »
Carlos a déjà demandé plusieurs fois la reconnaissance officielle de la Madone de l’orgasme auprès des autorités. Après des allers-retours juridiques qui ont duré plus de trois ans, la cour d’appel administrative suédoise a finalement statué que « Madone » était généralement compris comme une référence à la Vierge Marie, et que ce nom « offenserait non seulement de larges pans de la population ayant des racines chrétiennes, mais aussi la société dans son ensemble ».
Un revers pour la Madone de l’orgasme, qui ne compte pas en rester là : Carlos et ses ouailles ont déjà prévu une croisade pour 2012. Equipés d’une chapelle transportable à l’effigie de leur sainte, ils veulent sillonner l’Europe pour faire connaître l’Eglise et répandre la philosophie de l’orgasme divin. Un documentaire est également en préparation.
Les Saintes Ecritures de l’orgasme, une soixantaine de pages illustrées de dessins naïfs et cochons, devraient sortir en librairie à l’horizon 2012. Le cardinal Bebeacua envisage aussi de poursuivre son combat auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Car pour Carlos, c’est sûr, « l’orgasme va contribuer à la construction européenne ». Amen.
Cerise Sudry-Le Dû
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