Bien que foisonnants sur le net, rares sont les programmes courts qui se démarquent par leur créativité. Mais une fois la toile passée au tamis, quelques pépites surnagent.
Les webséries sont aujourd’hui, difficile de l’ignorer, l’eldorado des créateurs de contenu en ligne. Mais si personne n’ose encore remettre en question la qualité artistique des séries télé, on se pose rarement la question esthétique en ce qui concerne leurs petites soeurs présentées sur le web. On sait tout de leurs modèles économiques, des espérances d’audience et des stratégies cross-médias de leurs promoteurs, mais qui se préoccupe vraiment de leur contenu ? Quel discours critique pour accompagner la potentielle explosion créatrice incarnée par ce nouveau média ?
C’est tout l’intérêt d’un festival comme Cinémas tous écrans, qui se tient chaque automne à Genève. Il permet de trier le bon grain de l’ivraie, d’affirmer des choix esthétiques pour tenter d’y voir plus clair parmi les centaines de propositions annuelles d’une industrie de plus en plus bouillonnante, et souvent brouillonnante.
Cow-boy ahuri
Récompensée au palmarès, la websérie Enjoy the Silence a été coproduite en partenariat avec la Ferme du buisson, le “centre d’art et de curiosité” de Marne-la-Vallée et le groupe folk Moriarty – qui, en 2007, avait placé en bonus de son premier album une reprise d’Enjoy the Silence de Depeche Mode.
Mettant en scène un cow-boy ahuri dans un décor désertique et minimaliste, comme pris au piège d’oppressants cadres fixes, la minisérie (12 épisodes de 5 à 8 minutes) régénère habilement (bien qu’un peu lentement) le slapstick, cet art originellement théâtral qui fit les beaux jours du cinéma muet. Elle a surtout le mérite de ne ressembler qu’à elle-même, de ne pas chercher à singer la télé, dont les sous-produits pullulent sur le net.
Par “sous-produit”, il faut entendre moins les webséries produites par les chaînes de télé – plutôt de bonne qualité – que les dizaines de sketchs, plus ou moins amateurs, qui puisent leur (manque d’) inspiration dans leurs sempiternels “programmes courts”. En consultant, sur le blog webseries.fr, le box office Dailymotion (qui héberge la plupart des webséries françaises), ou en traînant sur la plate-forme anyfilm.tv, qui ne diffuse que des webséries et tente de les éditorialiser, on réalise ainsi le mal fait par Un gars, une fille ou Caméra café.
Tout se passe comme si la plupart des créateurs, bénévoles et débrouillards (Hello geekette, Le visiteur du futur, Les Aventuriers de 8 h 22, et leurs dizaines de clones plus ou moins populaires) n’avait retenu de YouTube que la brièveté et la soi-disant convivialité du format : esthétique “fait à la maison”, parler djeun’s, héros du quotidien, thématiques geek, etc. La sympathie ne peut pas tout masquer…
Arte et Canal + en tête
C’est finalement des “usines” traditionnelles que sortent les produits les plus stimulants. Arte fait figure de pionnière dans la création de contenu cross-media avec ses web-documentaires. Après les succès mérités du Twenty Show et de Gaza-Sderot en 2009, la chaîne franco-allemande vient de lancer une plateforme dédiée, Arte Webdocs, et promet d’y déposer entre six et huit projets, rien que pour l’année 2010. En ligne depuis le 22 février, Havana-Miami reprend le principe de Gaza-Sderot, à savoir la juxtaposition de portraits d’individus placés de chaque côté d’une frontière emblématique.
Misant sur la fiction avec des fortunes diverses (Kali, téléfilm d’action fauché, déguisé en websérie), Canal+ a de son côté débusqué un joyau : Kaïra Shopping, télé-shopping par trois “racailles” en 1 minute 30 chrono, où l’on trouve aussi bien “un grizzly de ouf” qu’un réalisateur kidnappé, “pour vos clips et bar-mitzva”. Pas sûr que la face du web en soit changée, mais c’est de loin ce qu’on a vu de plus drôle dans le genre.