E Street Band encore : 18 tracks, condensé du coffret Tracks augmenté de deux inédits indispensables, The Fever et The Promise. Tel un vieux moteur diesel, Springsteen et son E Street Band roulent en cruising confort, accélérant par à-coups fumants mais trop rares. En concert cette année, Bruce Springsteen ne parle plus à son public […]
E Street Band encore : 18 tracks, condensé du coffret Tracks augmenté de deux inédits indispensables, The Fever et The Promise. Tel un vieux moteur diesel, Springsteen et son E Street Band roulent en cruising confort, accélérant par à-coups fumants mais trop rares.
En concert cette année, Bruce Springsteen ne parle plus à son public du moins selon les canons springsteeniens d’usage. Alors qu’on s’était habitué à le voir dérouler de longs monologues introductifs cinq ou six fois par concert, instaurant cette ambiance si particulière de veillée au coin d’un bar à l’écoute des histoires d’onc’ Bruce, notre homme se contente désormais de présenter ses musiciens et du traditionnel « Bonsoir, merci ». Pourtant, il aurait sûrement plein de choses à nous dire à l’occasion de ses retrouvailles avec le E Street Band dix ans après (quinze, même, dans le cas de son alter ego Miami Steve) : mais non, il se contente de laisser parler les chansons, se rapprochant quelque peu de la posture de son maître Dylan le sourire en plus, quand même, on ne se refait pas. Autre velléité dylanisante de cette tournée (mais celle-là n’est pas inédite), la relecture du répertoire. Même s’il se révèle en l’occurrence plus timide et moins iconoclaste (ou moins j’m’en-foutiste) que le génie du Minnesota, Springsteen semble tenir au réagencement de certains lopins trop piétinés de son domaine. Ce sera tel morceau de l’album Tom Joad (Youngstown) tout retendu d’électricité menaçante à juste raison pour un texte évoquant les industries de l’armement de l’Ohio , ou bien ce vieux jean râpé de The River mélodiquement redessiné pour un salutaire coup de neuf, ou encore un Factory de derrière les fagots, plus joué en France depuis 81, revu et corrigé en lamento country. Pourtant, malgré ces quelques retouches bienvenues, ces coups de balai notables dans le grenier, les concerts 99, du moins si l’on se fie à l’étape lyonnaise, semblent voués à un repli stratégique en territoire conquis, à un retour aux valeurs sûres de l’histoire du groupe. Censés épauler le coffret Tracks, Springsteen et ses boys (and girl) n’en débouchent qu’un ou deux morceaux (pas renversants), préférant se concentrer sur les étapes glorieuses de leur aventure. Telle une équipe de France articulée sur un axe breveté Mondial 98 Barthez/Blanc/Deschamps/Zidane, les E Streeters assurent leurs arrières et rassurent le besoin d’effet-reconnaissance de leurs fans en s’appuyant sur les albums Born to run, Darkness on the edge of town et The River, soit sur leur âge d’or. Le plus souvent, ça donne un effet cruising, confortable mais un peu monotone, la cylindrée springsteenienne déroulant à vitesse moyenne dans un paysage archiconnu, avec souvent un méchant bruit de soupapes en arrière-fond (Weinberg qui se lâche trop lourdement sur ses tambours). Evidemment, à bientôt 50 balais, on comprend que le Boss s’économise au diesel. Mais dès qu’il s’en donne la peine, dès qu’il tient le volant un peu plus fermement (10th Ave freeze out), dès qu’il intensifie le champignon (Hungry heart, Born to run), les pneus crissent, la gomme fond, la magie revient et la salle se lève enfin jusqu’au plafond il faut dire aussi à la décharge du groupe que la Halle Garnier est un hangar empli de courants d’air et que, peut-être, le Lyonnais est un spectateur réservé.
Springsteen et son gang nous font maintenant un peu penser aux cavaliers de La Chevauchée sauvage, beau western tardif (milieu des seventies) de Richard Brooks : ces cowboys-là ne galopaient plus que pour gagner un pari. C’est ça, Springsteen et le E Street Band en 99 : il n’y a plus d’Ouest à conquérir, plus d’Indiens à combattre, plus de communauté à fonder, plus de preuves à fournir… Reste seul le plaisir de la chevauchée, émouvante et nostalgique, certes, parfois grisante, mais complètement dépourvue d’enjeu véritable.